« Apprendre » : un regard inédit sur l’école dans ce documentaire de Claire Simon #221
Dans le documentaire Apprendre, la réalisatrice Claire Simon pose sa caméra dans une école primaire d’Ivry-sur-Seine. Son film, sorti en salles le 29 janvier 2025, nous plonge au cœur des classes et de la cour de récréation. Ici, pas de voix off ni de mise en scène. Juste la vie, brute et authentique.
Depuis plus de trente ans, la réalisatrice explore le monde de l’éducation. Après Récréations (1992), où elle filmait une cour de maternelle, elle revient avec une nouvelle immersion. Cette fois, elle capte les premiers apprentissages, les joies, les hésitations et les liens entre élèves et enseignants.
Avec ce film, Claire Simon livre un regard singulier sur l’école. Loin des discours alarmistes, elle montre un lieu où l’on grandit, doute, apprend. Comment son approche cinématographique renouvelle-t-elle notre perception de l’éducation ?
Claire Simon : une cinéaste engagée dans la représentation de l’enfance
Claire Simon filme l’école depuis plus de trente ans. En 1992, elle signait Récréations, un documentaire captant la vie d’une cour de maternelle. En 2018, Première Solitude donnait la parole à des lycéens d’Ivry-sur-Seine, en classe de première option cinéma. Toujours le même regard : brut, sincère, sans artifices.
Avec Apprendre, elle revient à l’enfance. Pourquoi ce choix ? Quand sa fille était en primaire, elle lui avait déjà soufflé l’idée :
Maman, tu devrais filmer la cour de récré en primaire. C’est dingue.
Plus tard, le confinement a ravivé ce désir. Elle voulait montrer une école, capter son énergie, filmer les enfants au plus près.
Avant de poser sa caméra, elle a visité plusieurs établissements. Certains avaient repensé leur cour pour une meilleure égalité entre filles et garçons. Mais elle cherchait autre chose : une école en banlieue, un lieu où l’on apprend malgré les difficultés.
Au cours d'une rencontre avec une directrice d'une école de Montrouge, elle comprend qu'en primaire, le rapport des enfants avec leurs professeurs, pendant la récréation, est très important. Elle finit par poser son regard sur l’école Makarenko.
Bande-annonce du documentaire « Apprendre » de Claire Simon
Apprendre : une immersion unique dans une école primaire
L’école Makarenko est située dans une zone d'éducation prioritaire, à Ivry-sur-Seine. Dans ses classes, les enfants apprennent à lire, compter, chanter, débattre. Loin des clichés sur l’échec scolaire, Claire Simon montre une école vivante, où l’apprentissage est une aventure quotidienne.
Son approche est immersive. La caméra se place au plus près de leur regard, à hauteur d’enfant, une expression qui va au-delà d'un simple positionnement dans l'espace. Marion Cuerq, spécialiste de l'éducation en Suède, nous avait expliqué dans un épisode, ce que revêt la notion de hauteur d'enfant en éducation.
Je trouve qu'on filme à hauteur d'adulte les adultes. Je ne vois pas pourquoi on ne filmerait pas les enfants à hauteur d'enfant.[...] Je pouvais les filmer comme les autres les voyaient. La caméra est à hauteur de leurs yeux. Et c'est important, explique Claire Simon.
Aucun commentaire, aucune voix off. Les images parlent d’elles-mêmes.
Pour Claire Simon, faire du cinéma,
c'est montrer comment ça se passe ;
c'est aussi émouvoir ;
c'est voir la beauté d'un visage d'un enfant :
qui veut apprendre ;
ou qui s'est trompé ;
ou qui ne comprend pas et qui cherche à comprendre et le rapport entre un professeur et cet enfant qui ne comprend pas.
Certaines scènes marquent. Un élève s’applique sur une dictée. Un autre hésite avant de lever la main. Une classe se lance dans un chant collectif pour une reprise de Beyoncé. Derrière ces moments simples, on ne peut être insensible au lien fort qui se tisse entre les enfants et avec les enseignants. Un regard, un encouragement, et parfois, cette petite victoire : comprendre enfin ce qui semblait impossible.
À travers ces moments, le film rappelle que l’enthousiasme naturel de l’enfant est un moteur puissant d’apprentissage. Dans un précédent épisode, André Stern expliquait que cet enthousiasme, lorsqu'il est nourri, favorise un développement harmonieux.
Apprendre, un documentaire qui interroge la place de l’école dans la société
Lutter contre les inégalités
Dans un contexte où l’école est souvent décrite comme en crise, Claire Simon avec son documentaire Apprendre propose un regard différent. Elle filme une école qui tient debout, malgré les défis et des enfants qui souffrent sans aucun doute de reconnaissance hors de l'école, mais pas à l'intérieur.
L'école, pour eux, c'est un abri. C'est un endroit où tout le monde est égal, où tout le monde est considéré de la même manière, et où il faut arriver à apprendre, à se débrouiller, à apprendre à penser, à apprendre à discuter, etc. Mais tout le monde est égal. Et ça, c'est tellement fort. C'est quand même ça, l'école républicaine. Tout le monde est égal. Et c'est par là qu'on devient citoyen.
Loin du déclinisme ambiant, son film rappelle que l’école reste un espace d’apprentissage et de partage, un lieu où l’on grandit ensemble.
Mais le documentaire ne masque pas les inégalités scolaires. Une scène, en particulier, est frappante : la rencontre, dans le cadre d'un partenariat bien installé, entre les élèves de Makarenko et ceux d'une classe de cinquième, à horaires aménagés (CHAM) de l’école Alsacienne, établissement privé parisien.
On voit ce que c’est que la lutte des classes, explique Claire Simon.
Face à des enfants initiés à la musique depuis le CP, ceux de Makarenko peinent à suivre. Certains doivent arrêter de jouer pour « mieux écouter ». La caméra capte le décalage, le malaise.
Les enfants des classes CHAM ont appris depuis le CP la musique. Alors évidemment, ça leur donne une aisance énorme. Mais une aisance dans une certaine culture. Parce que quand on voit les enfants de Makarenko chanter soit Big Flo et Oli ou Rihanna, ils sont très très à l'aise eux aussi. Et ils donnent de la voix et de la passion dans leurs chants.
Mais j'étais contente de pouvoir filmer ça, de pouvoir filmer le contraste social très fort.J'ai pensé que certains enfants de Makarenko étaient un peu humiliés par le savoir, le talent des enfants de la classe CHAM de l'école alsacienne. Mais je pense que les enfants de l'école alsacienne étaient aussi parfois mal à l'aise.
Montrer la réversibilité du verbe « Apprendre »
Quand on demande à Claire Simon pourquoi elle a donné le titre Apprendre à son film, elle répond :
Parce que c'est l'histoire des premières fois. Et puis c'est apprendre du point de vue des enfants et apprendre du point de vue des adultes.
Car oui, le verbe « apprendre » est réversible en français :
On dit que les professeurs apprennent aux enfants à lire et que les enfants apprennent à lire avec leurs professeurs.
Ça fonctionne dans les deux sens et pour Claire Simon, cela fait partie de la beauté de ce mot.
Au cœur du film, les enseignants occupent une place essentielle. Beaucoup ont choisi ce métier après une reconversion.
Un maître, ce n'est pas quelqu'un qui sait tout. C'est quelqu'un qui ouvre le monde pour les enfants, souligne Claire Simon.
Dans Apprendre, ce principe d'ouverture au monde, à l'autre est au cœur du film : les enseignants transmettent leur savoir, mais ils reçoivent aussi beaucoup des enfants. Parce que oui, les enfants nous enseignent, comme l'expliquait Sophie Marinopoulous au micro du podcast dans un précédent épisode.
L'engagement, la bienveillance, la volonté de transmettre des enseignants forment le socle de cette école. À travers eux, Claire Simon rappelle que l’éducation est une mission collective.
Apprendre plonge au cœur de l’école avec une simplicité rare. Claire Simon capte l’énergie des élèves, la patience des enseignants, les petites victoires du quotidien. Son film montre l’apprentissage tel qu’il est, sans artifice ni discours dramatique. Il montre les premières fois et la beauté de l'enfance.
Dans une période où l’on parle souvent de crise éducative, ce documentaire apporte un regard apaisé et lumineux.
Votre documentaire tranche avec les récits déclinistes souvent associés à l'école républicaine. Vous captez une réalité à la fois douce et résiliente où l'amour des apprentissages et du lien humain prend le pas sur la violence, et la démission dont on parle souvent, témoigne Stéphanie d'Esclaibes.
Il rappelle que l’école est un lieu d’égalité, de transmission et d’émancipation. Il donne aussi une place essentielle aux enseignants, ces « civilisateurs » souvent oubliés.
Ce film interroge, touche et pousse à réfléchir.
En montrant une école qui fonctionne, Apprendre questionne aussi l’avenir du système éducatif. Comment améliorer l’école, comment la faire évoluer pour répondre aux besoins des élèves et des enseignants ? Emma Bertoin, Juliette Doberva et Marie-Laure Viaud avaient apporté leurs idées sur le sujet au cours d'une table ronde organisée par Les Adultes de Demain.
Et vous, quel regard portez-vous sur l’école aujourd’hui ? Partagez votre avis en commentaire !
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