Les enfants, ces grands philosophes - Frédéric Lenoir #160

Un atelier philo pour enfants ? Bien sûr que c’est possible et vivement recommandé. Parce que non, la philo n’est pas réservée aux adultes. Non, il n’est pas nécessaire d’attendre la terminale pour philosopher. Frédéric Lenoir, philosophe et sociologue, auteur de Philosopher et méditer avec les enfants, le prouve par l’action avec les ateliers philo pour enfants proposés via l’association SEVE qu’il a fondée.

Cette association forme des animatrices et animateurs d’ateliers philo pour enfants et de pratiques de l’attention. Elle met cette discipline entre les mains des plus jeunes. Au cours de cet entretien, Frédéric Lenoir a partagé son expertise sur les bienfaits des ateliers de philo pour enfants, les thèmes abordés, les actions de son association, ainsi que les défis et opportunités que pose l'intégration de la philosophie dans le système éducatif.

Atelier philo pour enfants : une approche pédagogique innovante

Qu'est-ce que la philosophie pour enfants ?

Il n’y a pas d’âge pour philosopher, disaient les philosophes de l’Antiquité. Frédéric Lenoir explique que la philosophie, c’est ce qui nous conduit à la vie bonne, c’est-à-dire à bien mener sa vie, à essayer de la réussir et non la subir. 

La philosophie pour enfants, ce n’est pas l’histoire de la philosophie. A 6-7 ans, les enfants ne sont pas en âge de comprendre les concepts de la critique de la raison pure de Kant ou de l’éthique de Spinoza. Par contre, ils sont en mesure de s’étonner. Et Aristote le disait : la philosophie commence avec l’étonnement. De cet étonnement naît l’interrogation, puis l’argumentation.

Offrir des ateliers de philo aux enfants, c’est les aider à philosopher ensemble autour des grandes questions qui les préoccupent. 

Les ateliers de philosophie avec les enfants existent depuis plus de 50 ans, avec des animateurs qui mettent les enfants en cercle et un bâton de parole qui circule.

Le point de départ d’un atelier philo pour enfants, c’est une question, un texte. Puis les enfants apprennent à développer des habiletés de penser, d’argumenter, de s’écouter. 

Frédéric Lenoir s’en est inspiré pour mettre au point une méthode qui a cette spécificité, qu’elle fait précéder l’atelier philo d’un petit temps de méditation. Cet exercice de pratique de l’attention permet aux enfants d’être beaucoup plus présents et attentifs lors de la partie philo à proprement parler. 

Quels sont les bienfaits des ateliers philo pour les enfants ?

Frédéric Lenoir cite Montaigne qui expliquait que l’école apprenait à avoir une tête bien pleine. Mais il serait encore plus précieux qu’elle apprenne à avoir une tête bien faite. D’autant plus qu’être capable de penser par soi-même est très bénéfique pour sa construction personnelle. Cela permet de :

• Développer la pensée critique

Et ceci est d’autant plus important que dans le monde actuel, les enfants sont sur internet toute la journée. Ils ont besoin de discernement par rapport à toute l’information qu’ils reçoivent. Ils doivent exercer un esprit critique, pour pouvoir discerner une vraie information d’une fake news, d’une théorie du complot, etc. 

Ils doivent apprendre à remettre en question, à analyser et à évaluer les idées, les valeurs et les croyances. 

• Favoriser la réflexion personnelle

Les ateliers de philo encouragent les enfants à développer leur propre système de valeurs et à réfléchir à ce qui compte réellement pour eux. En s'interrogeant sur des questions profondes, ils apprennent à mieux se connaître et à définir leurs convictions personnelles.

Quand Thierry Paquot invite les politiques et les architectes à impliquer les enfants dans l’aménagement du territoire pour qu’ils aient leur place à part entière dans les villes, il va dans le même sens :

• faire confiance aux enfants ;

• faire confiance à leur esprit critique ;

• faire confiance à leurs idées ;

• les laisser s’exprimer ;

• construire avec eux.

Frédéric Lenoir fait référence à Aristote qui dit que « la plupart des hommes descendent le fleuve ». C’est-à-dire qu’ils suivent les idées dominantes d’une époque, les modes.

« Le philosophe, c’est celui qui remonte le fleuve à contre-courant », explique-t-il. Philosopher, c’est une façon d’opposer une résistance au courant dominant par la pensée. 

• Améliorer les relations

Parmi les mesures d’impact des ateliers philo pour enfants, l’amélioration des compétences psychosociales est une des bénéfices principaux.  Ainsi, les participants développent :

• de l’empathie ;

• de la tolérance ;

• une grande qualité d’écoute.

Ils apprennent à se respecter, parce qu’on leur transmet cette idée que l’autre est un interlocuteur valable. La pensée se construit ensemble. Lors d’un atelier philo, les enfants s’aperçoivent que l’autre peut dire des choses qui le touchent, qui le font bouger et réfléchir.

Ces ateliers trouvent par exemple une application très positive pour aborder les problèmes de harcèlement. Ceux qui ont pu mener de telle expérience ont constaté que la qualité de vie dans l’établissement, la qualité relationnelle des enfants s’amélioraient.

• Renforcer la confiance en soi

Les enfants apprennent par ailleurs à formuler leurs idées de manière claire et à participer activement aux discussions. Cette compétence en communication est transposable à de nombreux aspects de leur vie, de la salle de classe à la sphère sociale.

Être reconnu comme quelqu’un qui a une pensée qui intéresse les autres, oser prendre la parole devant un groupe, être entendu renforcent la confiance en soi des enfants.

Leur capacité à exprimer leurs pensées et à défendre leurs points de vue s'accroît au fil du temps, ce qui les prépare à une vie adulte plus assurée et résiliente.

Témoignage de Frédéric Lenoir sur son expérience avec les ateliers philo

Frédéric Lenoir l’affirme, comme a pu le faire Diderot : il est urgent de rendre populaire la philosophie. C’est le langage commun de l’humanité, explique-t-il. Nos croyances sont extrêmement diverses, en fonction des individus, des cultures. Ce qui réunit par contre, c’est la raison. 

À noter que des philosophes comme Marie Robert, interviewée sur les réflexions philosophiques qu’avait suscitées en elle le fait de devenir mère et sur la philosophie dès l’enfance, travaille à cette popularisation de la philosophie. 

Promouvoir la philosophie dès le plus jeune âge, c’est combattre cette idée dominante que les enfants ont tout à recevoir. Notre société les voit comme un vase qu’on doit remplir. Or les enfants nous questionnent, nous dérangent, notamment par rapport à l’écologie, à la souffrance animale, etc. Flore Vasseur, réalisatrice du documentaire Bigger than us, peut en témoigner suite aux projections débats qu’elle mène dans les établissements : les jeunes face à la crise sociale et environnementale se posent des questions et se désespèrent du silence des adultes.

Quels sont les thèmes abordés lors des ateliers philo pour enfants ?

Généralement, Frédéric Lenoir aime laisser la possibilité aux enfants de choisir les thèmes qu'ils souhaitent explorer lors de l’atelier philo.

• La question de la mort

Elle revient 9 fois sur 10 comme premier choix. Si on ne peut pas avoir de réponse philosophique concernant « y’a-t-il quelque chose après la mort ? », il est possible de réfléchir au phénomène de vie et de mort. Frédéric Lenoir formule la question ainsi : « mieux vaut-il être mortel ou immortel ? ». Ainsi formulée, nous obtenons une question philosophique sur laquelle se jettent les enfants. 

Et ce qui est incroyable, c’est qu’on peut croire que l’immortalité remporte les suffrages, eu égard à ces jeux vidéos qui permettent de gagner des vies. Finalement, c’est tout le contraire. Les enfants disent préférer être mortels, parce qu’en étant immortel, on ne pourrait pas vivre sur Terre. Notre planète est petite, limitée. Si tous les gens qui ont vécu avant nous étaient encore là, il n’y aurait pas la place. Il ressort que sur la Terre, c’est la mort qui permet la vie.

Sans compter que certains disent qu’heureusement qu’on meurt, sinon les méchants comme Napoléon, Hitler, seraient toujours là à faire des guerres et à persécuter. Il est heureux qu’on puisse mourir pour choisir de quitter la vie si on souffre trop. Les réflexions sont poussées à des niveaux qu’on n’image pas. 

• Le bonheur et sa signification

Parmi les thèmes les plus fréquemment abordés lors des ateliers de philo pour enfants, les questions du bonheur et du sens de la vie occupent également une place centrale. Les enfants se penchent sur des interrogations telles que : « Qu'est-ce que le bonheur ? », «  Que signifie réussir sa vie ? ». 

Frédéric Lenoir rapporte un atelier philo qui a eu lieu quelque temps après les attentats du Bataclan. Le thème avait été maintenu et rapidement, il est apparu que « réussir sa vie, c’était être heureux, mourir heureux ». 

Puis un enfant a expliqué qu’il n’était pas d’accord, parce que les terroristes du Bataclan étaient morts heureux, pensant aller au ciel, au Paradis. Mais pour lui, ils avaient raté leur vie parce qu’ils ont fait du mal aux autres. La confrontation est primordiale dans le débat. Le groupe a donc conclu que « réussir sa vie, c’est être heureux sans faire du mal aux autres, sans construire son bonheur sur le malheur des autres ».  

Et c’est ainsi qu’est introduit le concept de vie bonne, c’est-à-dire, le bonheur plus la justice.

Qu’apportent ces ateliers de philo à celles et ceux qui les animent ?

Frédéric Lenoir partage sa propre expérience en la matière. Il explique que la joie des enfants est communicative. Ce temps qu’il donne bénévolement, le rebooste. Les pensées des enfants l’enrichissent.

Pour en revenir à cette question sur « qu’est-ce qu’une vie réussie ? », un enfant de 8 ans avait donné comme première réponse : c’est mourir sans regret. Cette fulgurance, cette formulation a occupé l’esprit du philosophe pendant plusieurs semaines. 

L'association SEVE : promouvoir la philosophie avec les enfants

SEVE est l’acronyme de Savoir Être et Vivre Ensemble. Cette association est dédiée à la promotion de la philosophie auprès des enfants. Fondée par Frédéric Lenoir en 2017, elle vise à aider les jeunes à grandir en développant leur discernement et leur humanité.

Pour atteindre cet objectif, l’association forme des animateurs et animatrices d’ateliers philo. Ce parcours SEVE se dirige sur 8 jours pleins pendant 4 week-ends, sur 6 mois. Les gens formés peuvent ensuite intervenir dans les classes, les médiathèques, les associations, etc. Quelques enseignants se forment, des retraités, des personnes qui œuvrent dans le domaine de l’éducation. Certains en font leur métier, d’autres le conservent comme loisir. Des stages sont organisés une fois qu’on a suivi les trois parcours, afin de mettre en pratique les apprentissages sur le terrain. 

Plus de 5000 animateurs ont pu être formés et plus de 200 000 enfants ont pu suivre des ateliers philo. La limite vient notamment du nombre de formateurs, une soixantaine. Il en faudrait beaucoup plus. 19 villes en France proposent des parcours. Ils sont à retrouver sur le site de l’association. 

Comment les parents et les enseignants peuvent intégrer la philosophie à la maison et à l’école ?

À l’école, à la maison, comment offrir à ses enfants, à ses élèves, l’opportunité de philosopher ? 

L'importance de la formation pour animer des ateliers philo

Avant d'engager des discussions philosophiques avec les enfants, les parents et les enseignants ont tout intérêt à se former. Un atelier philo n’est pas la même chose qu’une discussion de type citoyenne.

Beaucoup d’enseignants mènent des discussions dans le cadre des cours d’éducation morale et civique. Très souvent, cet échange est organisé pour arriver à un certain résultat : par exemple, faire comprendre aux élèves qu’il ne faut pas être violent, qu’ils doivent respecter la laïcité, etc.

Or, ce n’est pas de la philosophie. L’atelier philo vise à développer la pensée personnelle et l’esprit critique. Cela demande une tout autre posture, parce qu’on n’est pas là pour amener les enfants à penser comme il faut. On est là pour les aider à penser par eux-mêmes et à les rendre autonomes. 

La posture de l'animateur et les compétences psychosociales nécessaires lors d’un atelier philo

Pour les enseignants, il est généralement difficile de passer de la posture du maître, de celui qui sait et transmet à la posture de l’animateur qui aide les enfants à s’éveiller par eux-mêmes.
On anime des débats et cela demande une réelle formation. La posture, que l’on soit parent ou enseignant, est très particulière. Elle n’est pas si simple, si facile que ça à adopter.

Quand on anime un atelier philo, on ne doit :

• jamais dire ce que l’on pense ;

• jamais être dans le jugement ;

• jamais exclure un enfant.

On doit toujours accueillir ce que dit l’enfant et ne le contredire que par la raison et la pensée, pas par une moralisation. 

On doit également faire attention à ce que tout le monde puisse parler, ce qui n’est pas évident avec les enfants timides, apeurés, parce qu’il ne faut pas les forcer non plus. 

L’enfant, l’ado doit sentir que l’adulte animateur est aligné, qu’il est bien dans sa peau. Il doit montrer qu’il a confiance en lui et qu’il est à l’écoute. « Il y a tout un savoir-faire qui repose sur un savoir-être », explique Frédéric Lenoir. La relation bienveillante à l’enfant est essentielle. 

L'importance de la pratique de l'attention et de la méditation

Au cours de la formation, les participants sont sensibilisés aux compétences psychosociales et doivent être en mesure de développer les leurs. C’est ainsi qu’ils pourront devenir de bons transmetteurs, capables d’animer un atelier philo, dans une posture juste et pas autoritaire, ni de sachant. 

Les apprenants se forment également au petit temps de pratique de l’attention qui précède les ateliers philos. « C’est une forme de petite méditation laïque tout simple où on aide l’enfant à prendre conscience de son corps, à bien respirer et à écouter sa respiration », explique Frédéric Lenoir. On l’aide à se poser. 

Vous souhaitez en savoir plus sur les ateliers philo pour enfants ?
Vous pouvez : 

• lire le livre de Frédéric Lenoir, Philosopher et méditer avec les enfants ;

• parcourir le site de l’association SEVE ;

• écouter l’intégralité de ce riche épisode sur votre plateforme de podcast préférée.

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