Les Adultes de Demain

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Comment éduquer et poser un cadre, sans violence ni laxisme avec Isabelle Filliozat #206

Actuellement, l’éducation fait l’objet de nombreux débats, et les parents se demandent souvent comment éduquer leurs enfants dans un cadre respectueux, sans tomber dans la violence ni le laxisme. Les approches bienveillantes, comme l’éducation positive, apportent des réponses claires à ces questions, prouvant qu’il est possible d’établir un cadre éducatif structurant tout en respectant les besoins des enfants. Isabelle Filliozat, psychothérapeute et autrice engagée, explique dans son livre Éduquer, tout ce qu’il faut savoir que l’éducation sans violence ne doit pas être confondue avec du laxisme.

Elle propose des méthodes qui allient bienveillance et cadre pour permettre à l’enfant de s’épanouir tout en apprenant à respecter les règles. Elle invite à se recentrer sur les besoins de l’enfant, le respect de leur développement. Dans son guide, elle démontre, preuves scientifiques à l’appui,

  • les conséquences néfastes de la violence ;

  • l’urgence à changer de regard sur les enfants 

  • le travail à mener pour réparer l’enfance fréquemment blessée de nombreux adultes.

L’éducation positive, bienveillante, quel que soit le nom qu’on lui donne, devrait être la voie à suivre, celle qui offre un cadre et un environnement propices au développement harmonieux des enfants

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Qu’est-ce que l’éducation positive ?

L’éducation positive est fréquemment mal comprise. Ce n’est pas une méthode permissive ou une absence de cadre. Elle ne consiste pas à « laisser faire » ou à ne pas poser de limites. Elle vise à accompagner l’enfant dans son développement en prenant en compte ses besoins émotionnels et cognitifs, tout en maintenant un cadre éducatif clair et bienveillant. Il est possible d’éduquer sans violence, en respectant le développement naturel de l’enfant.

« L’éducation positive est dite positive parce qu’elle obtient des résultats positifs pour l’enfant comme pour les parents ».

Ce qui la distingue n’est pas une attitude toujours joyeuse ou complaisante, mais sa capacité à créer un environnement propice au bon développement de l’enfant. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle ne laisse pas l’enfant faire ce qu’il veut

« Dans la parentalité positive, il y a évidemment beaucoup de contraintes aussi. On respecte les lois, on respecte les règles. On va juste accompagner l'enfant pour qu'il puisse le faire :

sans se sentir blessé,

sans se sentir humilié,

sans se sentir dévalorisé,

sans avoir l'impression que c'est le parent qui décide et que lui n'a pas d'espace ».

Ainsi, l’enfant comprend les règles et les suit non par peur, mais par respect et compréhension de celles-ci.

Objectifs de l’éducation positive

L'éducation positive repose sur une compréhension profonde des besoins de l'enfant. Elle vise à offrir un cadre sécurisant et à co-réguler les émotions de l'enfant plutôt que d'imposer l'obéissance par la peur ou la punition. L'idée est de respecter le développement émotionnel et cérébral des enfants

Comme le souligne Isabelle Filliozat, « les enfants ont envie de faire ce qui est bien. Ils ont envie de bien se comporter. À condition qu'on les respecte, ils vont respecter. ». 

En leur offrant des règles justes et adaptées à leur âge, on les aide à s’épanouir tout en leur inculquant le respect des règles et des autres.

Comment poser un cadre éducatif sans violence ?

L’éducation positive s’appuie donc sur des règles claires et cohérentes, adaptées à l’âge et au développement de l’enfant. Ce cadre permet à l’enfant de se sentir en sécurité tout en apprenant à gérer ses émotions. Poser un cadre éducatif ne signifie pas être autoritaire, mais plutôt établir des repères et accompagner l’enfant dans leur compréhension.

Isabelle Filliozat souligne que les enfants apprécient les règles, lorsqu’elles sont présentées de manière bienveillante. C’est-à-dire lorsqu’elles ne sont pas imposées comme des ordres stricts. En expliquant pourquoi certaines règles sont nécessaires, on évite les frustrations inutiles.

L’éducation positive n’est pas du laxisme

Une confusion fréquente est d’associer l’éducation positive à une éducation laxiste. Or, le laxisme se caractérise par l’absence de règles et de structure, laissant l’enfant évoluer sans repères. Cela diffère profondément de l’éducation positive, qui établit un cadre tout en respectant l’individualité de l’enfant. L’idée n’est pas de laisser l’enfant « faire ce qu’il veut », mais de poser des limites avec bienveillance et respect.

Le parent laxiste n’a pas d’attente envers son enfant. Il lui laisse tout faire, persuadé qu’il apprendra tout seul. Il est certes affectueux, mais il ne fixe pas de règles. Il laisse l’anarchie faire son œuvre et pense que l’enfant va se développer tout seul.  

Or, comme le rappelle Isabelle Filliozat, « c'est prouvé aussi scientifiquement que ça (l’absence de cadre, NDLR) ne fonctionne pas. Les enfants sont un peu perdus et n'ont pas suffisamment de structures pour pouvoir se développer ». 

 « La parentalité laxiste est une parentalité négative. »

L’éducation positive instaure des règles cohérentes et bienveillantes, tout en tenant compte des capacités de l’enfant. Il ne s'agit pas de laisser l’enfant faire ce qu’il veut, mais de lui offrir des repères et un cadre structurant qui lui permettent de comprendre les attentes.

D’où vient ce mythe qui associe l’éducation positive au laxisme ?
En partie de la désinformation menée par certains partisans de l'autoritarisme, qui associent à tort l’éducation bienveillante à une absence de cadre. Selon elle, cette confusion est souvent le résultat d'une compréhension superficielle de ce qu'implique réellement une parentalité sans violence. Peu de pédagogie a été faite autour de la loi interdisant les violences éducatives. Certaines personnes pensent que ne pas donner d'ordres signifie tout permettre à l'enfant. Et il y a cette idée que lorsqu’on dit non à un enfant, on le stresse.

Isabelle Filliozat insiste : la parentalité positive impose des règles claires et structurelles, comme le fait de dire « non » lorsqu'un enfant veut un deuxième bonbon, ou de mettre la ceinture de sécurité, pour assurer un environnement sain et sécurisant.

Elle ajoute que beaucoup de parents ayant eux-mêmes grandi dans des environnements autoritaires refusent d’adopter ce modèle avec leurs propres enfants, sans pour autant avoir appris des alternatives. Cette peur d'être autoritaire et de ne pas être aimés par leurs enfants conduit certains à une forme de laxisme, où ils évitent de dire « non » par crainte de déplaire. Ils essaient de leur faire plaisir. Ils pensent mener une éducation positive. Mais ça n’en est pas : « c’est juste qu’ils ne disent pas non parce qu’ils ont peur que leurs enfants ne les aiment plus s’ils leur refusent un bonbon, une heure de télé, etc. »

Une éducation bienveillante doit allier affection et cadre pour guider l'enfant dans son développement.

La différence entre éducation positive et autoritarisme

Isabelle Filliozat explique qu’il existe 3 formes de parentalité négative, qui s’opposent à l’éducation positive : 

  • le laxisme, qui résulte dans certains cas, comme nous l’avons vu, d’une réaction plutôt consciente d’opposition à l’éducation autoritaire que l’on a reçue ;

  • la démission totale, lorsque le parent ne s’occupe pas du tout de son enfant ;

  • l’autoritarisme qui a tendance à « générer des enfants soit trop soumis et qui perdent confiance en eux, soit agressifs, qui développent des comportements débordants ».

Autoritarisme vs éducation bienveillante

L'autoritarisme, toujours présent dans de nombreux foyers français, repose sur la hiérarchie stricte et l'obéissance aveugle. Ce modèle éducatif, souvent associé à des méthodes coercitives comme la punition, place l’adulte en position de pouvoir, et l’enfant en soumission.

Comme l'explique Isabelle Filliozat, cette approche est encore très répandue en France : « C'est comme si, en France, le parent et l'enfant se construisaient, l'un face à l'autre, quasiment en opposition ». Elle ajoute que la psychanalyse a contribué à renforcer cette idée de l’enfant, vu comme « un petit diable qu'il faut arriver à dompter » pour éviter qu'il ne devienne un « enfant roi ».

En opposition à cela, l'éducation bienveillante se base sur :

  • l'empathie, ;

  • l'écoute des besoins de l'enfant ;

  • la communication.

Plutôt que de contraindre l'enfant à obéir, cette approche cherche à co-réguler ses émotions, c'est-à-dire à accompagner l’enfant dans la gestion de ses ressentis

Contrairement à l'autoritarisme, l'éducation bienveillante considère l’enfant comme un être en développement, qui doit être guidé, mais respecté dans son individualité et ses besoins.

L’importance de co-réguler les émotions de l’enfant

Dans le modèle autoritaire, les émotions de l’enfant sont souvent perçues comme des obstacles qu’il faut contrôler. L'enfant est alors confronté à des ordres stricts, sans explication, ce qui engendre frustration, rébellion ou soumission. Isabelle Filliozat rappelle que « toute la science nous dit que les enfants sont très empathiques depuis le début », et qu’ils cherchent naturellement à s’adapter et à respecter les règles. Plutôt que de forcer l’obéissance, l'éducation bienveillante préconise une approche où l'adulte aide l'enfant à comprendre ses émotions, à les exprimer et à les réguler. Il crée ainsi un environnement où les règles sont acceptées et respectées naturellement.

Isabelle Filliozat partage que « les enfants sont friands de règles », mais qu’ils résistent aux ordres qui ne tiennent pas compte de leur besoin d’autonomie. Elle précise : « Ce qu'ils n'aiment pas, ce sont les ordres, les punitions, les impositions ». En proposant des règles sous forme de procédures, et non comme des ordres, l'enfant s'engage de manière volontaire dans le respect de celles-ci, sans ressentir de contrainte autoritaire.

La contre-productivité des punitions

L’un des piliers de l’éducation autoritaire est l’usage de la punition pour corriger les comportements jugés inappropriés. Toutefois, les recherches, ainsi que l'expérience d'Isabelle Filliozat, montrent que cette approche est souvent contre-productive. Les punitions, qu'elles soient physiques ou émotionnelles, ont un impact négatif sur le développement psychologique des enfants. Elles ne résolvent pas les problèmes de comportement, mais les renforcent la plupart du temps, en créant un climat de peur et de méfiance.

Roseline Roy l’explique d’ailleurs très bien dans l’épisode #152 :
les punitions, ça ne marche pas. Il vaut mieux éduquer sans punir !

Comme l’explique Isabelle Filliozat, « ceux qui deviennent tyrans sont plutôt ceux à qui on a imposé trop de règles de manière autoritaire ». En effet, l'autoritarisme exacerbe fréquemment les comportements agressifs ou rebelles, car les enfants soumis à un cadre trop rigide cherchent à reprendre du pouvoir sur leur vie. De plus, les punitions répétées peuvent entraîner une perte de confiance en soi chez l’enfant, qui se sent dévalorisé ou incompris.

L'éducation positive, à l’inverse, préconise d’éviter les punitions et de les remplacer par des solutions plus respectueuses de l’enfant, comme l’écoute active et la résolution de problèmes en coopération. En co-régulant les émotions de l’enfant et en offrant des règles bienveillantes, cette approche permet d’atteindre des résultats positifs, tant sur le plan émotionnel que comportemental. L’enfant évolue dans un environnement où il se sent en sécurité, ce qui est essentiel à son épanouissement.

Comment éduquer sans violence ?

Pour éduquer sans violence, il est donc essentiel de comprendre que l’usage de la force physique, verbale ou émotionnelle a des effets néfastes sur le développement de l’enfant. Isabelle Filliozat rappelle que même les punitions considérées comme « petites » peuvent laisser des traces profondes sur l’estime de soi de l’enfant. La clé réside dans l’accompagnement et la co-régulation des émotions de l’enfant, plutôt que dans l’imposition de la peur ou de la contrainte.

Éducation positive sans violence éducative

Malgré la loi de 2019, censée contribuer à stopper les violences éducatives ordinaires, le second baromètre sur les VEO, porté par la Fondation pour l’enfance, donne à voir des résultats peu reluisants.

  • 81% des parents reconnaissent avoir encore recours à différentes formes de violences éducatives ordinaires, contre 79% en 2022… dans la semaine précédant l’enquête.

  • 45% sont conscients des effets néfastes et durables de ces violences sur la santé et le développement des enfants. Mais ils ne savent pas comment faire. Ils se sentent démunis. Et ils ont cette croyance qu’il faut que l’enfant obéisse

Qu’appelle-t-on violence éducative ?

Pour rappel, la violence éducative, qu'elle soit physique, verbale ou émotionnelle, repose sur l'utilisation de la force ou de la contrainte dans le but de faire obéir un enfant. Isabelle Filliozat s’appuie sur la définition donnée par le philosophe Jean-Marie Muller : « la violence, c'est l'usage de la force pour contraindre quelqu'un ».

« En fait, la violence envers les enfants, c’est tout ce qui va faire mal à l’enfant et le contraindre ».

Cette force peut se manifester de manière évidente, comme par une fessée, ou plus subtilement à travers des mots dévalorisants ou un manque d’écoute. Dans tous les cas, ces formes de violence créent des blessures profondes chez l’enfant.

Isabelle Filliozat pointe du doigt le fait que beaucoup d’adultes ne considèrent pas certaines formes de contrainte comme de la violence. Elle souligne que la loi reste ambiguë, puisque « à aucun moment, on ne définit ce qu'est une violence ». Cela crée une confusion qui empêche une réelle prise de conscience des conséquences de ces pratiques.

Enfin, elle nuance en rappelant qu’il y a des violences parfois utiles. Mettre la ceinture de sécurité à son enfant en est typiquement une. Il n’est pas rare que l’enfant se rebelle. Tous les humains ont un besoin de liberté et tout ce qui vient entraver nos mouvements engendre du stress. À première vue, on tombe donc dans la définition de la violence.

Effectivement, on peut dire que ça fait violence pour l’enfant et du coup, Isabelle Filliozat conseille de l’écouter et de lui dire que oui, ce n’est pas agréable. Afin que cette violence diminue, on fera en sorte de donner de plus en plus de liberté à l’enfant afin qu’il mette lui-même sa ceinture quand il en sera capable. 

Il faut bien comprendre que le stress, c'est l'effort d'adaptation de l'organisme à toute situation. Donc, on stresse finalement sans arrêt. Si le stress reste un effort d’adaptation, alors, il est positif. C’est notamment celui qui permet de réussir, de se surpasser. Parfois, le niveau de stress augmente, mais il reste tolérable. Le métabolisme intérieur du corps parvient à préserver son équilibre.

ar contre, à chaque fois qu’on ne parvient pas à s’adapter à une situation, le stress devient négatif, toxique. Il y a violence. Elle laisse des traces, des traumas.

Quels sont les différents types de violences éducatives ?

Il existe plusieurs types de violences éducatives, certaines visibles, d'autres plus sournoises, mais tout aussi destructrices. Par ailleurs, cette notion de violence reste à nuancer, car contraindre l’enfant est parfois nécessaire pour sa sécurité, comme vu précédemment.

  • Les violences physiques : La plus connue reste la fessée, souvent justifiée par certains parents comme un moyen « éducatif ». Cependant, Isabelle Filliozat rappelle que cette méthode est non seulement inefficace, mais aussi dommageable à long terme pour l’enfant. L'utilisation de la force physique, même minime, est perçue par l'enfant comme une agression, et non comme une leçon.

  • Les violences verbales : Les insultes, les humiliations, ou encore les critiques répétées sont des formes de violence verbale qui marquent l'enfant. Ce type de violence touche directement l’estime de soi de l’enfant, qui finit par intérioriser les jugements négatifs. Dire à un enfant qu’il est « nul » ou qu’il « ne fait rien de bien » peut paraître anodin à certains adultes, mais ces mots laissent des cicatrices psychologiques profondes.

  • Les violences émotionnelles : L'absence d’écoute, l’isolement forcé (comme enfermer un enfant dans sa chambre), ou encore les punitions répétées entrent dans cette catégorie. Ces violences touchent l'enfant au niveau émotionnel, en générant chez lui un sentiment d'insécurité ou d’incompréhension. Lorsqu'un enfant est puni sans explication ou que ses émotions sont ignorées, il peut ressentir un sentiment d’abandon émotionnel, ce qui est particulièrement néfaste pour son développement affectif.

Lors de la promulgation de la loi de 2019 sur l’interdiction des violences éducatives, le gouvernement n’a pas été très proactif, regrette Isabelle Fiolliozat. Il n’a pas assorti la loi de définition de la violence. Ce texte qui a eu beaucoup de mal à être adopté, qui est finalement bien léger, n’a pas été assorti d’un accompagnement des parents. Pour comprendre ce que l’on entend par violence, il faut s’en remettre à la convention internationale des droits de l’enfant. 

Impact sur l’enfant de la violence éducative

Or, les effets des violences éducatives, qu'elles soient physiques, verbales ou émotionnelles, sont durables et peuvent s'étendre bien au-delà de l'enfance. Comme le rappelle Isabelle Filliozat, « les punitions et les violences répétées sapent la confiance en soi des enfants ». À court terme, ces violences peuvent provoquer de la peur ou une soumission forcée. Mais à long terme, elles contribuent à l’émergence de traumatismes psychologiques.

Un enfant qui subit des violences éducatives régulières développera des mécanismes de défense pour se protéger

  • Certains enfants se suradaptent, devenant « sages comme des images », ce qui peut sembler positif, mais qui est en réalité le signe d’une souffrance profonde. 

  • D’autres, au contraire, peuvent devenir plus agressifs, exprimant ainsi leur douleur intérieure à travers des comportements violents ou asociaux. Comme le souligne Filliozat, « un enfant qui est déconnecté va forcément être plus demandeur, plus exigeant, plus agressif ».

Les traumatismes causés par la violence éducative peuvent également affecter les relations futures de l’enfant, avec des difficultés à faire confiance, à exprimer ses émotions ou à gérer le stress. Ils influencent aussi la manière dont ces enfants, une fois adultes, éduqueront à leur tour leurs propres enfants, recréant ainsi un cycle de violence et de contrainte.

L’éducation positive, en revanche, vise à rompre ce cycle en offrant aux enfants un environnement où :

  • leurs besoins sont respectés ;

  • ils peuvent exprimer leurs émotions sans crainte ; 

  • les règles sont claires, mais bienveillantes. 

Il s’agit d’apprendre à vivre ensemble, en communauté, sans avoir recours à la violence ou à la contrainte.

Place de l’éducation positive dans le monde

Les politiques éducatives en France

En France, la politique éducative est marquée par des choix qui influencent directement le développement du lien parent-enfant, et ce dès la naissance. Isabelle Filliozat pointe notamment du doigt la courte durée des congés maternité et paternité. Selon elle, ces congés ne laissent pas assez de temps aux parents pour 

  • établir un lien d'attachement fort avec leur enfant ;

  • apprendre à décoder ses signaux ;

  • construire un langage commun. 

De plus, Filliozat critique l'influence persistante de la psychanalyse dans la culture éducative française. Cette approche voit souvent l’enfant comme un être cherchant à dominer ses parents. Selon cette « doctrine », l'enfant serait dominé par des pulsions qu'il faudrait réprimer pour qu’il devienne un adulte raisonnable. Cette perception, profondément ancrée dans la culture française, contraste avec les données scientifiques récentes qui montrent que les enfants, dès leur plus jeune âge, sont naturellement empathiques et cherchent à se conformer aux règles.

Le manque de pédagogie et d’information sur le développement de l’enfant et sur ce qui se passe dans son cerveau conduit à des attentes disproportionnées vis-à-vis des comportements des tout-petits. Il est courant de s'attendre à ce qu’un enfant de deux ans se comporte déjà comme un petit adulte, en suivant des normes qui dépassent ses capacités de développement. Cette incompréhension alimente une culture d’opposition entre parents et enfants, plutôt qu’une relation fondée sur l’empathie et la coopération.

 La France apparaît donc en retard par rapport à d'autres pays où des politiques éducatives plus claires et plus soutenues par le gouvernement ont permis de réduire les violences éducatives.

Exemples de pays pratiquant l’éducation positive

Plusieurs pays, notamment les pays nordiques et l'Allemagne, ont su mettre en place des systèmes éducatifs basés sur des principes de parentalité positive, dans lesquels la bienveillance envers les enfants est centrale.

  • Les pays nordiques : Dans ces pays, les enfants bénéficient d'une grande liberté dès leur plus jeune âge. Isabelle Filliozat note que dans ces sociétés, « il y a une ambiance générale de soutien mutuel », et les adultes interviennent avec bienveillance lorsqu'ils sont témoins de scènes de violence. Contrairement à la France, où l’on tend à juger le parent violent, les pays nordiques privilégient une approche d’entraide. De plus, ces pays accordent beaucoup plus de temps aux parents pour tisser des liens d’attachement avec leurs enfants, ce qui renforce le développement émotionnel et social des enfants. « Ils sont plus encouragés à faire leurs expériences », ajoute Isabelle Filliozat, ce qui leur permet de grandir avec davantage de confiance en eux.

    • Quand Isabelle Filliozat évoque la nécessité de changer de regard sur l’enfant, cela fait écho aux propos de Marion Cuerq, spécialiste de l’éducation en Suède et qui rappelle que dans ce pays, l’adulte se place à hauteur d’enfant.

  • L'Allemagne : dans ce pays, les enfants jouissent également d'une plus grande autonomie. Ils sont libres de prendre des risques, d'explorer leur environnement, tout en étant respectueux des règles. L’éducation allemande accorde une importance majeure à l’attachement parental, renforcé par des congés parentaux plus longs. Contrairement à la France, où les parents peuvent parfois être trop sur le dos de leurs enfants (« ne fais pas ci, attention à ça »), les parents allemands laissent davantage d'espace à leurs enfants pour apprendre par eux-mêmes.

L’éducation positive ne peut se limiter à une simple question de méthode ou d’autorité. Comme le souligne Isabelle Filliozat, pour véritablement transformer notre approche de la parentalité et de l’éducation, il est essentiel de changer notre regard, non seulement sur l’enfant, mais sur l’ensemble de son environnement. Ce que nous devons viser, ce n’est pas de contrôler ou de punir, mais de comprendre. Face à un comportement difficile, il est nécessaire de se poser la question : « Qu'est-ce qui t'est arrivé ? » plutôt que de réagir par la réprimande et de juger.

« Les enfants d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier ».

Ils sont confrontés à de nouveaux défis, liés à :

  • la sédentarité ;

  • une alimentation moins saine ;

  • un manque de lumière naturelle ;

  • des interactions sociales impactées par l’usage des écrans.

Ces conditions influencent directement leur développement émotionnel, cognitif et physique, souvent au détriment de leur capacité à gérer la frustration ou à exprimer leurs émotions de manière adéquate.

Ainsi, pour Isabelle Filliozat, l’intolérance à la frustration ou les comportements « débordants » chez les enfants ne sont pas nécessairement dus à un manque d’autorité des parents ou des enseignants. C’est plutôt l’environnement qui est inadapté à l’épanouissement de l’enfant. La solution réside dans un cadre bienveillant où leurs besoins sont respectés, où ils ont le temps de grandir à leur rythme et où ils peuvent pleinement vivre leur vie d'enfant.

FAQ - Comment éduquer sans violence, ni laxisme ?

Comment réagir lorsqu’on est témoin de violences envers un enfant ?

  • Intervenir sans jugement, avec bienveillance

C’est une question qui revient fréquemment : comment intervenir lorsqu’on assiste à une scène de violence envers un enfant, un ado ? Doit-on réagir ? Si oui, comment ? On hésite parce qu’on redoute que le parent le prenne mal et se sente jugé.

Pourtant, comme le souligne Isabelle Filliozat, « c’est vraiment important d’intervenir, d’agir », mais cette intervention doit se faire avec empathie et non avec jugement envers le parent. Critiquer directement le parent violent risque de l’amener à se braquer et à empirer la situation, provoquant ainsi l'effet inverse de ce que l'on souhaite.

Isabelle Filliozat recommande de « partir avec une attitude d’empathie pour le parent » en lui offrant du soutien. Ne jamais s’opposer.

« Ce que j'ai utilisé le plus et qui a le mieux fonctionné, c'est de partir avec une attitude d'empathie pour le parent. C'est-à-dire qu'au lieu de vouloir se précipiter vers l'enfant et protéger l'enfant, on va s'occuper du parent. »

En effet, un parent qui agit avec violence est souvent un parent désespéré, qui se sent dépassé. « Personne ne désire se montrer violent », rappelle-t-elle, en insistant sur le fait que, bien souvent, la violence survient lorsqu’un parent n’a plus les ressources nécessaires pour gérer une situation. 

Néanmoins, ne soyez pas étonné·e si votre offre d’aide reçoit une fin de non-recevoir. En France, c’est ainsi, on dit non. « On est dans une civilisation du chacun pour soi… notre société est tellement individualiste », surenchérit Isabelle Filliozat. 

  • Ne pas s’opposer, mais aiguiller

Néanmoins, il faut réagir, en insistant avec douceur et respect pour le parent : « Je suis là pour vous fournir du soutien ».

Et si le parent se justifie en disant qu’une fessée n’a jamais tué personne, on commence par dire oui. Puis on ajouter, en piochant parmi les pistes suivantes : 

  1. « Ah oui, tu as raison ! C’est ce qu’on disait avant. Avant que les neurosciences n'identifient ce que ça fait réellement, on croyait que ça ne faisait rien.

  2. Bien sûr, ça ne t'a pas tué. Heureusement, je suis contente que ça ne t'ait pas tué. Mais peut-être que ça a tué une petite partie en toi. Peut-être que de temps en temps, tu n'as pas l'aisance ou la confiance que tu pourrais avoir dans certaines situations. Peut-être que ça t'arrive de te soumettre face à un patron, face à quelqu'un de plus important. Et peut-être que, tiens, tu sais, j'avais repéré, tu m'avais parlé de ta difficulté avec l'autorité, peut-être que ça a un lien.»

  3. Offrir une aide concrète et, à défaut, un regard

Une manière constructive d’intervenir serait de proposer une aide concrète : offrir de prendre en charge l’enfant pendant un moment pour que le parent puisse se reposer, ou simplement tendre une oreille attentive pour que le parent puisse exprimer son stress. Isabelle Filliozat raconte ainsi avoir proposé à une maman d’aider son enfant à faire ses devoirs, lors d’un voyage en train. 

Face à un parent qui disjoncte, se met à crier, frapper, punir, on peut proposer de faire autrement. Et si on n’a ni le temps, ni l’espace, on peut donner un petit regard empathique, tendre et surtout pas jugeant, à l’enfant, aux parents. 

« Rien qu’un regard, l’enfant s’en empare ».

Isabelle Filliozat raconte ainsi une anecdote marquante à ce sujet : une de ses patientes, alors enfant, se faisait hurler dessus par sa mère dans un train. Elle croisa alors le regard d’une femme. Ce regard bienveillant a changé sa perception de la situation : « J'ai lu que ce n'était pas ma faute, que c'était ma maman qui avait un problème », se souvient cette femme. Ce moment lui a permis de ne pas internaliser la culpabilité ou la honte que la violence de sa mère aurait pu lui inculquer.

Ce geste simple mais puissant montre qu'un regard plein de compréhension et d’empathie peut, à lui seul, offrir à l’enfant un soulagement émotionnel et lui donner une nouvelle perspective sur la situation. Le rôle de l’observateur, même discret, peut être décisif pour aider l'enfant à ne pas se sentir responsable de la violence qu'il subit.

Au sujet des devoirs, qui peuvent s’avérer être source de conflits, d’autant plus si l’enfant présente des difficultés, vous pouvez écouter l’épisode avec Etienne Porche, sur le thème du soutien scolaire.

Comment guérir des traumatismes de l’enfance pour qu’ils n’impactent pas notre parentalité ?

  • Comment les traumatismes affectent la façon d’éduquer ?

Les traumatismes subis pendant l’enfance laissent des marques profondes qui influencent directement la manière dont un adulte éduquera ses propres enfants. Or « la prévalence du trauma est phénomènale : on sait aujourd’hui que 2 personnes sur 3 ont vécu au moins un trauma dans leur vie. »

Les parents ayant eux-mêmes vécu des violences, qu'elles soient physiques, verbales ou émotionnelles, ont souvent tendance à reproduire ces schémas malgré eux. Isabelle Filliozat explique que « plus on a subi de blessures, plus on peut avoir tendance à justifier la façon dont nos parents nous ont éduqués ». Ces parents, même s’ils souhaitent offrir une éducation bienveillante, peuvent reproduire des comportements autoritaires ou violents qu’ils ont intégrés durant leur propre enfance.

Ce phénomène est parfois inconscient : les parents peuvent croire qu'ils agissent pour le bien de l'enfant, pensant, comme ils l'ont entendu, qu’« une gifle, ça ne fait pas de mal », ou que la punition est nécessaire pour que l’enfant comprenne. 

En réalité, ces schémas, enracinés dans les traumatismes de l’enfance, perpétuent la violence d’une génération à l’autre. Sans un travail de réflexion et de guérison, il est difficile de rompre ce cycle.

Isabelle Filliozat souligne également l’influence des normes culturelles et sociétales. En France, les parents sont souvent encouragés à adopter un modèle éducatif autoritaire, basé sur la domination et l’obéissance, car la culture valorise l’autorité parentale. Cette situation rend encore plus complexe la prise de conscience des traumatismes et de leurs effets sur la parentalité.

Isabelle Filliozat était intervenue dans l’épisode #83 des Adultes de Demain
sur le fait de s’inspirer des cultures ancestrales pour élever ses enfants.

  • Comment reconnaître les traumatismes ?

Pour sortir de ce cycle, il est essentiel de reconnaître les traumatismes de son passé et d’entreprendre un travail de guérison

Le trauma, c’est lorsque l’organisme, le métabolisme est soumis à un stress toxique, « c'est lorsque quelque chose se passe qui nous fait mal. Mais c'est aussi quand ce qui devrait nous faire du bien n'est pas là ». Isabelle Filliozat cite le docteur Gabor Maté, médecin spécialiste des addictions et spécialiste du trauma, qui explique que tout humain a besoin d'affection, d'amour inconditionnel. 

« Et lorsqu'on est pris par une émotion, on a absolument besoin d'être entendu, reconnu et d'être accompagné dans notre émotion. Et donc, si un enfant de, par exemple, 3 ans se met à pleurer, hurler, et qu'il n'y a pas un adulte à ce moment-là qui vient pour le prendre dans les bras, pour le câliner, pour l'aider à canaliser ce trop-plein d'émotions, ça va faire trauma ».

Il ne lui est pas arrivé quelque chose à laquelle il n’a pas pu s’adapter. Par contre, il n’a pas reçu ce qu’il aurait dû pour pouvoir grandir normalement.

« Donc nos manques font aussi trauma ». 

Ainsi, Isabelle Filliozat revient sur cette situation qui fait débat, lorsqu’un parent envoie un enfant dans sa chambre, à la place d’écouter ce qui se passe pour lui. « Quand il pleure, quand il crie, quand il a un comportement débordant, chaque fois qu'on n'écoute pas, qu'on ne fournit pas un accueil inconditionnel à l'enfant, on met une pierre. Là encore, une fois ne suffit pas pour traumatiser un enfant. Mais lorsque ça se répète régulièrement, alors oui, ça devient traumatisme. On épuise les capacités de résistance de l'enfant ».

  • Peut-on guérir de ses traumas ?

« Oui, bien sûr, on peut guérir », affirme Isabelle Filliozat, qui insiste sur l’importance de se libérer de ces blessures pour offrir une parentalité bienveillante à ses propres enfants. Les parents qui n'ont pas conscience de leurs blessures peuvent avoir du mal à établir des relations saines avec leurs enfants, et risquent de répéter involontairement les violences qu'ils ont subies.

Heureusement, il existe aujourd'hui de nombreuses thérapies efficaces pour soigner les traumatismes et retrouver une forme d'équilibre émotionnel. Parmi elles, 

  • l’EMDR (Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires) est une technique largement utilisée pour traiter les traumatismes. Cette méthode aide à retraiter les souvenirs douloureux, permettant au parent de ne plus être submergé par ses propres expériences passées lorsqu'il se retrouve confronté à des situations similaires avec son enfant.

  • les thérapies corporelles qui se concentrent sur le corps et les émotions pour aider à libérer les tensions profondes causées par les traumatismes ;

  • l'EFT (Emotional Freedom Technique) ;

  • la thérapie mosaïque…

Isabelle Filliozat rappelle que « le trauma s’inscrit dans le corps », et ces thérapies permettent de rétablir un équilibre sensoriel et émotionnel. Il est également important de souligner que pour guérir un trauma, il n'est pas toujours nécessaire de revivre les événements douloureux ni même d’en parler en détail. Comme elle l’explique, « souvent, faire raconter à quelqu’un son événement traumatique risque de le retraumatiser ». Il existe pour cela des thérapies non invasives.

En s'engageant dans une démarche de guérison, les parents peuvent non seulement mieux comprendre et gérer leurs propres émotions, mais aussi offrir à leurs enfants une éducation fondée sur la bienveillance et l’empathie. Cela permet de rompre définitivement le cycle de la violence transgénérationnelle.


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