Lorsqu’on aborde le numérique éducatif en France, on oppose régulièrement les dangers des écrans, notamment sur les enfants. Certes, l’usage de ces derniers doit se faire avec précaution. Il doit être raisonné. Néanmoins, si l’on sort de cette vision noire de l’impact du numérique sur les enfants, le numérique éducatif offre de formidables opportunités d’apprentissage. C’est ce qu’explique Orianne Ledroit, déléguée générale d’EdTech France au micro du podcast Les Adultes de Demain. 

Elle a ainsi évoqué :

• l’utilisation du numérique pour les enfants ;

• les dernières solutions à suivre de près ;

• mais aussi les inégalités numériques en France qui sont l'un des enjeux principaux du moment pour l'État.

Qu'est-ce que le numérique éducatif ?

Pour Orianne Ledroit, le numérique, c'est une transformation que l'on vit dans son quotidien, dont on essaie de profiter tout en en limitant les travers. Penser que le numérique est une révolution technologique, qu'il ne s'agit que de nouvelles machines ou solutions est une erreur à ses yeux. « Le numérique redéfinit notre façon d'échanger, de nous voir, de nous projeter dans l'espace, d'apprendre... », explique-t-elle.

Quant au numérique éducatif, Orianne Ledroit le situe au carrefour de cette dualité du numérique  :

• entre formidables opportunités, notamment en termes d'apprentissage et de formation

• et poison qui accélère un certain nombre de difficultés, d'inégalités et d'impacts cognitifs négatifs.

Le numérique éducatif : risques et opportunités

Les dangers liés à l'utilisation excessive des écrans par les enfants

C'est aujourd'hui prouvé scientifiquement, les écrans avant 3 ans sont très nocifs pour le développement cognitif des enfants. Les très jeunes enfants qui sont surexposés à des programmes audiovisuels sur la télévision, une tablette ou un téléphone manifestent des retards de langage, de développement moteur et intellectuel, des troubles de la communication.

Au-delà de cet âge, Orianne Ledroit est d'avis qu'on peut ces écrans rendre disponibles, accessibles. Néanmoins, comme tout outil un petit peu technique, il est nécessaire de socialiser l'usage de ces écrans et apprendre à les utiliser à bon escient. Un usage excessif des écrans peut entraîner des problèmes de sommeil, des difficultés de concentration.

Néanmoins, elle reconnaît que tout le monde n'a pas les clés, les codes pour en faire un usage raisonné et équilibré. L'accompagnement au numérique est un véritable enjeu d'éducation, qui devrait être bien plus soutenu, visible, déployé qu'il ne l'est aujourd'hui. Des associations comme ClassCode œuvrent en ce sens et méritent d'être connues. Les Adultes de Demain ont d'ailleurs reçu son délégué général, Bastien Masse pour parler de l'impact de l'IA et de ChatGPT dans l'éducation. 

Les usages heureux du numérique éducatif pour l'apprentissage

Orianne Ledroit souligne les opportunités significatives offertes par les technologies éducatives (EdTech) pour l'apprentissage des enfants et des adultes. Le numérique rend ainsi la formation professionnelle accessible : il n'est plus forcément nécessaire d'être proche géographiquement d'un centre de formation. On peut se former en gérant des contraintes personnelles. Les reconversions sont plus faciles d’accès grâce au digital learning. 

Au niveau du numérique éducatif scolaire, de nombreuses solutions ont vu le jour et se révèlent être utiles. Efficaces et uniques, certaines ont fait leur preuve et répondent à des problèmes et besoins identifiés au sein de l'éducation nationale. Ces applications éducatives peuvent contribuer à lutter contre le décrochage scolaire et à consolider les savoirs fondamentaux.

Exemples de solutions numériques éducatives

Plume : un assistant d'apprentissage de l'écriture en langue française

Parmi les solutions numériques éducatives innovantes, Orianne Ledroit met en lumière Plume, un assistant d'apprentissage de l'écriture en langue française. Cette application multiplateforme propose des activités d'écriture et un assistant rédaction, à utiliser en classe et à la maison. L'objectif est de développer le plaisir d'écrire, l'autonomie et la créativité chez les enfants de 7 à 14 ans.  L'outil offre des exercices variés (histoire à completer, écriture libre, mots du jour, etc.) et adaptés au niveau de chaque élève. Les propositions d'activité s'appuient sur leurs progrès tout en leur permettant de s'exprimer en français de manière créative.

🎧 Retrouvez Aude Guéneau, CEO de Plume, au micro des Adultes de demain, dans l'épisode 27, « comment faire aimer l'écriture aux enfants »

Autres exemples de solutions EdTech favorisant la personnalisation de l'enseignement

Parmi les solutions numériques éducatives mentionnées par Orianne Ledroit, citons :

• Nomad Education dont l'objectif est d'accompagner la réussite scolaire des jeunes quel que soit leur niveau scolaire et social en France et en francophonie ( 29 pays d'Afrique, Québec...) grâce à une application. Cette dernière est disponible sur smartphone et utilisable en mobilité sans connexion. Le contenu, conforme aux programmes de l'éducation nationale est rédigé par des professeurs. Cette application de révision compte plus de 5 millions d'élèves accompagnés en France et Afrique francophone, du primaire aux études supérieures.

• PowerZ est un jeu vidéo pour apprendre, sur smartphone, tablette, PC et Mac. Ce jeu a été conçu pour donner envie aux enfants de 6 à 12 ans, de développer leurs compétences dans un univers récréatif, pensé par et pour eux. Cerise sur le gâteau, elle est gratuite. Elle compte plus de 150 000 joueurs au 1er avril 2023. Mise à jour toutes les deux semaines à partir des retours des utilisateurs, elle propose des quêtes palpitantes en mathématiques, vocabulaire, botanique, astronomie...

• Klassly, est une application développée par Klassroom afin de favoriser la communication entre parents et profs. Les enseignants peuvent partager la vie de la classe à travers des photos, des vidéos, des notes vocales, des documents, des sondages, des listes, des invitations, les devoirs… Et les parents peuvent s'impliquer dans la vie scolaire de leurs enfants, interagir avec l'enseignant.

Les avantages de ces solutions pour les élèves

Les solutions issues du numérique éducatif proposent généralement plusieurs bénéfices pour les utilisateurs :

• la personnalisation : elles s'adaptent à l'âge, au rythme et au niveau des enfants. Elles permettent de détecter et donc de travailler leurs fragilités. Certaines aident ainsi les enseignants à mettre en place des différenciations et remédiations.

• le renforcement et développement des connaissances ;

• la motivation à apprendre, l'engagement ;

• la concentration ;

• la rétention d'informations grâce au jeu, à la manipulation des concepts, à l'interactivité...

Ces solutions offrent aux élèves la possibilité d'explorer de nouvelles façons d'apprendre, tout en développant des compétences essentielles pour leur avenir.

L'acceptation du numérique par les enseignants

Les perceptions des enseignants à l'égard du numérique éducatif

Orianne Ledroit explique que l'on trouve deux types de réaction chez les enseignants face au numérique : celles et ceux qui l'adoptent et les professeurs qui considèrent que c'est de l'ordre du gadget.

Les premiers sont enthousiastes à l'idée d'intégrer les outils numériques dans leur enseignement, reconnaissant leur potentiel pour améliorer l'apprentissage des élèves. Ils voient le numérique comme une opportunité de diversifier les méthodes pédagogiques et d'adapter l'enseignement aux besoins individuels des élèves.

Les autres, plus réticents, craignent pour certains que le numérique ne les remplace ou n'évince les méthodes traditionnelles d'enseignement. Ils y voient aussi un risque accru d'accroître les inégalités entre les élèves. Ils peuvent être également contre l'intrusion des nouvelles technologies dans leur quotidien professionnel et personnel.  Enfin, d'autres ressentent le numérique comme une contrainte, une charge et une responsabilité supplémentaires.

Les défis posés par le numérique en salle de classe

Orianne Ledroit explique que l'introduction du numérique dans les salles de classe présente plusieurs défis pour les enseignants.

« Aujourd'hui, un enfant, un adolescent, un élève va avoir accès à la connaissance et va donc pouvoir critiquer ou un peu challenger ce que l'enseignant ou le professeur va dire en temps réel, parce qu'il va pouvoir confronter, rechercher, etc. », précise-t-elle. 

Elle rappelle également que le numérique ouvre les portes d'un « nouveau monde dans lequel on a accès à de l'information en continu qui n'est pas forcément vérifiée. On doit donc apprendre à comprendre les sources et à vérifier ».

« C'est une révolution bien plus compliquée, qui questionne le métier même d'enseignant au sens où c'est un métier de savoir acquis, de savoir à transmettre, alors qu'on vit de plus en plus dans un monde de flux, de temps réel, d'informations, etc. », ajoute-t-elle.

Ces défis peuvent notamment expliquer en partie la réaction parfois un peu viscérale ou réfractaire des enseignants. « Cette dichotomie du numérique, à la fois outil à leur service et révolution, les questionne dans leur positionnement, dans leurs pratiques pédagogiques », renchérit Orianne Ledroit. Et puis il y a ceux qui souhaitent restés déconnectés, qui sont, par principe, contre le numérique.

L'importance de la formation des enseignants au numérique

La formation des enseignants au numérique est un enjeu mageur. Beaucoup de choses sont portées par le réseau Canopé à ce sujet. Parce qu'au-delà des oppositions de principe au numérique, les enseignants qui freinent, qui s'opposent sont surtout inquiets de ne pas être en capacité de s'en servir bien. Les enseignants doivent acquérir des compétences numériques pour être en mesure d'intégrer efficacement ces outils dans leur enseignement. Pour Orianne Ledroit, malgré la mission portée par Canopé en la matière, il reste encore beaucoup à faire pour former les enseignants au numérique éducatif.

Implication des parents dans l'éducation numérique

Les préoccupations des parents concernant le temps d'écran des enfants

À l'été 2023, un article du Monde évoquait tous ces parents qui critiquent leurs enfants sur les écrans, alors qu'eux-mêmes ont des pratiques trés importantes du numérique. Les parents sont pour certaine préoccupés par ce temps d'écran chez les jeunes mais ne montrent pas pour autant l'exemple. Or, les études l'ont prouvé pour la lecture : plus un enfant verra ses parents le nez plongé dans un livre, plus il y a de chances pour qu'à son tour, il aime lire. Le même phénomène se produit avec les écrans. 

Orianne Ledroit explique que beaucoup de psychologues ont travaillé sur le fait que les enfants, et notamment les plus jeunes, étaient attirés par les écrans parce qu'ils reproduisaient les gestes de leurs parents, qui étaient connectés de manière fréquente, régulière, voire excessive.

On pourrait également évoquer les comportements extrêmes que l'on trouve en matière de pratique du numérique. D'un côté, les familles qui en font un usage excessif, de l'autre, celles chez qui il n'y a aucun écran, voire à peine un smartphone.

Le numérique éducatif à destination des parents

Aujourd'hui, les solutions apportées par le numérique éducatif permettent aux parents de  :

• mieux maîtriser le temps passé sur les écrans par leurs enfants ;

• leur proposer des contenus qui engagent leurs enfants, les font réfléchir, agir afin qu’ils ne soient pas de simples consommateurs passifs ;

• s'impliquer dans le parcours scolaire de leur enfant, en simplifiant le lien avec l'enseignant.

Ce dernier point est une grande avancée quand on sait l'impact de l'investissement des parents sur la réussite éducative et scolaire de leur enfant.

Les parents diposent aussi d'applications qu'ils peuvent proposer à leur enfant à la maison pour qu'il puisse compléter ou renforcer ses apprentissages. Ces solutions font souvent appel à la ludification des savoirs, un atout quand on sait aujourd'hui l'importance du jeu pour apprendre.

Les inégalités numériques en France

Les différentes formes d'inégalités numériques en France

13 millions de Français sont éloignés du numérique. Et ce ne sont pas uniquement des seniors, loin de là. 

Orianne Ledroit rappelle qu'il existe différentes types d'inégalité en matière de numérique en France :

• L'inégalité d'accès à des équipements numériques : sous-estimé, ce phénomène s'est pleinement révélé pendant le confinement lié à la Covid. Tous les foyers n'ont pas un équipement numérique par personne. Beaucoup n’ont qu’un ordinateur pour tous les membres du foyer et des smartphones, quand c'est possible.

• L'inégalité d'accès au type d'équipement : un smartphone n'est pas une ordinateur. On ne fait pas la même chose avec l'un ou l'autre, on n'a pas les mêmes gestes. Dans certains quartiers, les familles ne disposaient, en termes d’équipement numérique, que d'un ou deux smartphones pour toute la famille pendant le confinement.

• L'inégalité d'usage : de nombreuses données montrent que les jeunes, ceux qui sont nés avec le numérique et qu'on dénommait digital native, ont un usage récréatif du numérique. Ils vont être capables d'utiliser Snapchat, TikTok, voire d'en tirer profit, de créer des contenus créatifs, de partager avec des amis, etc. Mais quand il leur faudra faire un usage plus classique, plus bureautique du numérique, ils seront en difficulté. Faire un CV en ligne, écrire un mail, un rapport leur sera beaucoup moins aisé. 

Les initiatives pour lutter contre ces inégalités

Beaucoup de collectivités ont décidé d'investir dans le numérique éducatif, en équipant les établissements, les élèves, avec des tablettes, des ordinateurs. C'est très utile... si un accompagnement à l'usage est également proposé. Cette aide doit être à destination des enseignants comme des élèves.

Orianne Ledroit rappelle qu'« historiquement, de grands plans d'équipement n'ont absolument pas fonctionné et les tablettes sont restées dans les placards ». C'est sans aucun doute une bonne façon de faire rentrer intelligemment le numérique dans les foyers et de lutter contre les inégalités d'accès à l'équipement. Mais il faut penser ces tablettes avec la formation et les solutions numériques adaptées au niveau scolaire et aux souhaits des enseignants. Il faut également que les foyers et/ou établissements soient équipés de connexion pour que les élèves puissent communiquer avec leurs enseignants... et que les équipements ne soient pas verrouillés sous prétexte de sécurité, au point qu'il soit impossible de s'en servir. 

À petite échelle, certaines collectivités ont fourni des ordinateurs à certaines familles. Elles ont également proposé des initiations informatiques dans les centres sociaux, pour les parents perdus dans l'usage du numérique. Mais cela est resté anecdotique, faute de temps des parents, d'intérêt...

Le rôle d'EdTech France pour le numérique éducatif

EdTech France est une association professionnelle qui réunit les acteurs majeurs du secteur de l'éducation et de la technologie en France. Son rôle est de promouvoir l'innovation éducative et de soutenir le développement de solutions numériques éducatives de qualité.

L'association rassemble 460 entreprises EdTech françaises qui déploient des solutions, qui vont utiliser la puissance du numérique pour améliorer l'éducation à l'école, dans le scolaire, dans l'enseignement supérieur (grandes écoles, universités, etc.) et dans la formation professionnelle.

EdTech France représente les intérêts de la filière. Les solutions des entreprises sont très en adhérence avec les politiques publiques, notamment sur les questions d'éducation nationale. EdTech France a donc des contacts réguliers avec les ministères en charge de déployer des politiques publiques, de les financer et de soutenir des écosystèmes qui produisent des solutions.

Aujourd'hui, ce marché a atteint une certaine maturité. Comme beaucoup d'autres secteurs technologiques, il subit une certaine forme de ralentissement dans les investissements. C'est un secteur qui a donc besoin de s-consolidation. 

Le rôle d'Orianne Ledroit et d'EdTech France est de faire rayonner les membres dans des événements nationaux et internationaux, afin qu'ils puissent :

• vendre leurs solutions ;

• promouvoir leurs activités ;

• se mettre en connexion avec des partenaires institutionnels ;

• connecter les techs entre elles, etc. 

Orianne Ledroit travaille à faire en sorte que « cette filière, qui joue un rôle central sur le défi des compétences, de la compétitivité du pays et de la souveraineté numérique, soit la plus mature, la plus solide et la plus entendue possible ».

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