Les pédagogies alternatives pour changer l’école avec Marie-Laure Viaud
L’école va mal. Il semble urgent de réinventer notre système éducatif. Les pédagogies alternatives pourraient changer l’école, comme l’explique Marie-Laure Viaud au micro des Adultes de Demain. Spécialiste du sujet, autrice de nombreuses recherches, de plusieurs articles et ouvrages sur le sujet, dont Changer l’école aux éditions Nathan, elle explique le changement de paradigme nécessaire pour faire évoluer le système éducatif. C’est ainsi qu’il pourra répondre aux besoins des enfants d’aujourd’hui et aux enjeux de la société.
Les pédagogies alternatives : un autre paradigme sur l’apprentissage
Marie-Laure Viaud travaille depuis 25 ans sur les écoles différentes. Elle-même a commencé à s’épanouir à l’école quand elle a intégré un lycée autogéré, puis à l’université, qui proposait une autre pédagogie. Alors qu’on avait jusqu’alors dit d’elle, chaque année, qu’elle allait redoubler, elle a obtenu sans problème son agrégation puis son doctorat.
Quand elle a souhaité mettre en œuvre ces pédagogies alternatives, qui avaient eu un impact positif pour elle, elle s’est vite rendu compte que c’était compliqué dans le système classique. Elle a souhaité voir ce qui se faisait ailleurs dans le monde, au point d’en faire une thèse.
Les points communs des pédagogies alternatives
Parmi les pédagogies alternatives les plus connues, citons Montessori et Freinet. Mais il en existe d’autres, comme Steiner Waldorf, Charlotte Manson, Reggio, etc.
Ces pédagogies ont en commun :
le plaisir d’apprendre ;
le fait de donner du sens au savoir (ce qui amène le plaisir d’apprendre) ;
de s’appuyer sur ce que les enfants ont envie d’apprendre, de leurs intérêts et questionnements ;
de tenir compte de leurs différences, de leur rythme, ce qui leur permet de réussir ;
d’avoir un autre type d’évaluation, sans notes, ni devoirs, ce qui permet aux enfants de se sentir mieux, d’avoir une meilleure estime d’eux-mêmes ;
de développer l’autonomie et les responsabilités.
Contrairement au modèle éducatif traditionnel, où l'enseignement est souvent standardisé et centré sur l'enseignant, les pédagogies alternatives placent l'élève au cœur du processus éducatif.
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Les différences dans les pédagogies alternatives
Néanmoins, chaque pédagogie alternative est bien spécifique, notamment au niveau pédagogique. Chacune s’appuie sur un point de vue différent concernant ce qui motive les enfants.
Dans la pédagogie Montessori, on part du principe que ce qui crée la motivation, c’est le fait que chaque enfant puisse apprendre à son rythme. Il aura donc besoin à un moment donné d’autres choses, d’autres apprentissages. C’est pourquoi le matériel est en livre accès, les classes sont multi-âges. L’environnement est pensé pour que les enfants trouvent ce dont ils ont besoin.
Chez Freinet, c’est complètement différent. Freinet pensait que les enfants veulent avant tout faire des projets tournés vers l’extérieur. Pour lui, leur objectif est avant tout de s’exprimer, de créer. C’est pourquoi les classes de type Freinet vont réaliser un journal, des émissions de radio, des spectacles, etc. L’émulsion sera beaucoup plus collective.
Les résultats obtenus grâce aux pédagogies alternatives
Depuis 20 ans, plusieurs études ont été menées pour connaître les résultats obtenus grâce aux pédagogies différentes. Les enfants apprennent-ils autant ? Plus ? Comment se sentent-ils ?
Sur le plan des apprentissages académiques, toutes les recherches montrent qu'il y a des résultats aussi bons, voire meilleurs. On le fait souvent en faisant des suivis de cohortes et en prenant des groupes témoins.
Par exemple, une recherche importante a été menée sur le groupe scolaire Concorde de Mons-en-Baroeul. C'est une école dans le nord de la France. Tous les enfants du CP de cette école qui est en pédagogie Freinet ont été suivis jusqu'au CM2. Ils ont passé des tests (écrire une rédaction à chaque trimestre, tests en maths, etc.) régulièrement.
Dans le même temps, les élèves de deux écoles ayant un public similaire au niveau de l’origine sociale, passaient aussi les mêmes tests.
Les chercheurs ont également relevé le nombre de bagarres dans la cour pour mesurer la violence. Ils ont posé des questions aux enfants sur leur bien-être.
Cette recherche, dont les résultats ont été publiés, montre que tous les enfants de l'école Freinet écrivaient des textes plus longs, avec plus d'imagination. Ils savaient mieux écrire. À l'oral, ils savaient mieux s'exprimer. En maths, c'était à peu près équivalent. Au niveau de la violence, la différence était énorme.
Ces études se diffusent peu à peu. Mais pour l'instant, les décideurs ne les prennent pas en compte…
Les freins au changement dans le système éducatif
Alors que de nombreuses études, dont Marie-Laure Viaud se fait l’écho dans son livre Changer l’école ont montré que les pédagogies alternatives, parfois appelées pédagogies actives, ont des résultats très probants, ces dernières restent à la marge. Pourquoi alors que les études montrent que les résultats sont très positifs concernant le développement des compétences psychosociales et les apprentissages académiques des enfants ? Cette question, très souvent posée, Marie-Laure Viaud l’a explorée de long en large.
Les parents tergiversent
Si les parents avaient jusqu’alors peur des pédagogies différentes, faute de savoir ce que c’était, cela a bien évolué. Aujourd’hui, il y a une forte demande, notamment au niveau de la maternelle. Cette demande reste importante au niveau de l’élémentaire, mais est encore légère pour les collégiens.
Ce qui fait encore hésiter les parents, c’est le côté élitiste du système scolaire. Ils ont peur de ne pas faire le bon choix pour leur enfant s’ils font autrement.
Les enseignants ont envie de faire différemment
Du côté des enseignants, les choses ont aussi beaucoup changé. De la même façon, ils sont très nombreux à souhaiter faire différemment en maternelle, nombreux en élémentaire. La tendance est moins forte au collège même si cela évolue.
La hiérarchie et l’institution imposent
La résistance au changement au sein du système éducatif est multifactorielle. D'une part, il y a la structure même de l'institution, très centralisée en France, où les décisions se prennent généralement loin des réalités de terrain, et où l'initiative locale peine à se frayer un chemin.
Formatrice d’enseignants depuis plus de 15 ans, Marie-Laure Viaud forme aux pédagogies différentes. Alors que ses étudiant·es sont motivé·es par l’idée de faire autrement, ils ne parviennent finalement pas à mettre en place ce à quoi ils aspirent. Trop de pression au niveau des inspecteurs de circonscription, des conseillers pédagogiques, de toute la hiérarchie intermédiaire… mais aussi des parents.
Et dans les autres pays, comment se développent les pédagogies alternatives ?
Parents, enseignants et institution éducative restent méfiants face aux approches novatrices. Nombre d’acteurs sont ancrés dans une vision élitiste de l'éducation où les résultats académiques traditionnels priment sur le bien-être et l'épanouissement des élèves.
Pour comprendre l’origine de ces craintes, Marie-Laure Viaud a mené une étude comparative. Son équipe est allée observer des pays où les pédagogies différentes se développaient comme l’Allemagne, les pays du Nord, les États-Unis. Parallèlement, ils ont aussi examiné des pays, qui, à l’image de la France, montrent des blocages face aux changements : le Chili, l’Italie par exemple.
Les pays qui freinent face aux changements dans le monde éducatif ont de commun d’être très centralisés, très jacobins. Ces pays laissent peu de place à l’initiative locale. « On pense que tout doit être décidé d'en haut et que localement, les acteurs n'ont pas leur mot à dire, que c'est très mauvais que les gens se mettent à prendre des initiatives et à faire autrement ».
Dans ces pays, on pense que les apprentissages académiques doivent être prioritaires. Alors que dans les pays du Nord, aux États-Unis, l’épanouissement prime. Ainsi, en France, au Chili, en Italie, etc., l’apprentissage de la langue maternelle et les mathématiques restent prioritaires.
Le nécessaire changement de paradigme
Un modèle éducatif obsolète
Dans l’épisode, Marie-Laure Viaud explique que l’école est basée sur un modèle inventé par les Jésuites au XVIe siècle. Dans les grandes lignes, « on a une école fermée par des grands murs, avec des élèves qui ne bougent pas, qui écrivent énormément, où l’enseignant parle et énonce à l’oral le savoir. Le corps des élèves est immobile ».
Ce système a ensuite été généralisé par les républicains après l’échec de la Commune de Paris. « C’est important parce que historiquement, il y a une volonté derrière, une forme de docilité, qui est induite par ce système scolaire », complète Marie-Laure Viaud.
Même si les élèves s’ennuyaient, tout ceci fonctionnait relativement bien jusqu’à l’avènement d’Internet, constate-t-elle. En quelques clics, le savoir est disponible. « Du coup, ce système où il ne faut pas bouger, où il faut écrire, où le savoir vient d’en haut comme s’il n’existait nulle part ailleurs, en dehors de la bouche des professeurs, est devenu insupportable pour les élèves », constate Marie-Laure Viaud.
Une enquête révèle que 71% des collégiens s’ennuient. Et dans la dernière enquête PISA en date, plus de 50% des collégiens pointaient le chahut qui régnait en classe et le fait qu’on ne pouvait pas entendre.
Les enfants, les élèves se sentent mal, le manifestent en refusant clairement le système. Les enseignants se sentent eux-mêmes très mal : ils sont de moins en moins nombreux à vouloir enseigner dans le système ordinaire.
Ce constat devrait inciter à se questionner : ne pourrait-on pas faire complètement autrement ? Ce ne sont pas 30 minutes supplémentaires d’éducation morale et civique qui changeront la situation. Ce dont le système éducatif a besoin, pour Marie-Laure Viaud, c’est d’un changement de paradigme.
Les besoins des jeunes aujourd’hui
Ce dont les jeunes ont besoin aujourd’hui, c’est d’apprendre :
à chercher par eux-mêmes des informations ;
à porter un regard critique sur ces informations ;
à les synthétiser :
à travailler en équipe, en groupe…
Tout ce qui ne se fait pas ou peu dans le système classique.
Quelles sont les pistes pour changer l’école à travers les pédagogies alternatives ?
Échec des approches top-down et bottom-up
En France, c’est donc un modèle top-down qui prédomine. Il se traduit par des réformes imposées par le ministère de l'Éducation, souvent déconnectées des réalités du terrain. Cette méthode, perçue comme méprisante par les enseignants, ne tient pas compte de leur expertise ni des besoins spécifiques des élèves.
Des initiatives bottom-up ont donc été menées. Mais malgré leur intention louable de donner plus d'autonomie aux établissements, elles se traduisent finalement régulièrement par un conservatisme accru. En effet, la liberté de ces établissements se fait en contrepartie d’un gros contrôle, pour savoir s’ils réussissent. Des tests sont donc mis en place. Les résultats à ces évaluations conditionnent le financement des établissements. Autant dire que les établissements préparent avant tout la réussite de leurs élèves à ces tests, ce qui introduit, de nouveau, un frein très important à l’innovation. « On ne peut pas innover et préparer à des tests standardisés fondés sur la mémorisation ».
Formation des enseignants et soutien aux innovations
L'une des clés de la transformation éducative, selon Marie-Laure Viaud, réside dans la formation des enseignants et des cadres intermédiaires aux pédagogies alternatives. « Le système pédagogique français leur a permis de réussir, donc ils n’ont pas tendance à le remettre en cause, et ils sont formés à assurer la stabilité du système à l'heure actuelle. Donc, dans leur mentalité, il n'y a pas l'idée de le remettre en cause ».
Marie-Laure Viaud insiste sur le fait que les enseignants, souvent ouverts à ces méthodes, manquent de formation et de soutien pour les mettre en œuvre efficacement. Elle met en avant l'importance de permettre aux écoles et aux enseignants de tester de nouvelles approches dans un cadre bienveillant, sans la pression de résultats immédiats.
Elle cite l’exemple du lycée autogéré de Paris, aujourd’hui mis en difficulté pour des broutilles alors qu’ils sont à l’origine d’innovations incroyables depuis 25 ans. Et à côté, des établissements comme Stanislas aurait pu continuer en toute impunité si la loi du silence avait perduré. Elle regrette ce « deux poids, deux mesures ».
Elle trouve dommageable que l’on demande aux innovateurs de réussir à 100% voire plus, ce qui n’est jamais demandé à aucun établissement, aucun enseignant. À la moindre petite défaillance, c’est terminée.
Elle cite ainsi l’exemple d’écoles alternatives à qui on reproche d’avoir des triples prises et des prolongateurs parce qu’une loi dit que ça a été interdit. Dès que l’on fait un pas de côté en matière d’éducation, on peut être certain de se faire couper l’herbe sous le pied et mettre des bâtons dans les roues.
L'exemple de l'Autre Collège : une mise en œuvre concrète
L'Autre Collège, initié par Marie-Laure Viaud, incarne une application concrète et innovante des principes des pédagogies alternatives au sein du système éducatif.
Principes et fonctionnement
L'Autre Collège a été pensé autour de valeurs et de pratiques pédagogiques centrées sur l'élève, en privilégiant des approches pluridisciplinaires et en donnant la priorité à l'apprentissage par projets. Contrairement aux établissements traditionnels où l'enseignement est segmenté par matière, L'Autre Collège encourage les élèves à explorer divers domaines de connaissance à travers des activités concrètes et collaboratives. Une caractéristique distinctive est l'organisation de la semaine scolaire : une heure est dédiée aux apprentissages académiques le matin, suivie d'activités variées l'après-midi, choisies par les élèves eux-mêmes.
Pour que ceci soit possible, l’équipe invente et utilise des outils pédagogiques spécifiques. Parce qu'on ne peut pas faire une heure de maths ou une heure de français avec les outils qui existent : « ces outils sont conçus pour l'école telle qu'elle est, où il faut occuper les enfants à écrire toute la journée ».
Les enseignants fabriquent donc des outils qui n'ont rien à voir, qui sont très inspirés de la pédagogie Montessori. Les élèves vont choisir leur travail, ils vont manipuler, notamment en mathématiques, pour mieux comprendre et pour comprendre plus vite et plus efficacement.
Du côté des projets, si les élèves décident de faire une émission de radio, ils vont devoir :
réfléchir collectivement au sujet qu'ils veulent traiter ;
se renseigner dessus ;
écrire le script de ce qu'ils vont dire ;
s'entraîner à parler à l'oral ;
et s'organiser aussi, ce qui est extrêmement important.
Autant de compétences qu’ils vont retrouver pendant leur heure de français.
Résultats et retours d'expérience
Les retours d'expérience de L'Autre Collège sont profondément positifs. Les élèves, engagés dans des projets qui leur tiennent à cœur, montrent :
un intérêt accru pour l'apprentissage (au point de ne pas être pressés d’être en vacances) ;
une meilleure compréhension des matières académiques ;
et un développement notable de compétences clés comme la collaboration, la créativité et l'autonomie.
Tous les élèves de L'Autre Collège réussissent à obtenir leur brevet.
Réplicabilité du modèle
Concernant la réplicabilité de ce modèle, Marie-Laure Viaud est consciente des défis, notamment en termes de coûts et de logistique. Cependant, elle souligne que les principes sous-jacents de L'Autre Collège – approche centrée sur l'élève, apprentissage par projet, implication de la communauté – sont adaptables à différents contextes éducatifs.
Pour que ce collège ait une mixité sociale et ne soit pas réservé à des familles aux revenus élevés, les fondateurs ont inventé un modèle qui permet d’être moins coûteux.
Au niveau des locaux, le matin, les élèves sont accueillis dans un centre social. Et l’après-midi, ils profitent de toutes les incroyables adresses dont regorge la capitale, entre musées, bibliothèque, expositions, théâtre, etc.
Chaque parent contribue par ailleurs pendant 4 heures hebdomadaires à l’encadrement.
Ces choix économiques retentissent positivement sur le pédagogique. Les parents transmettent leur passion. Leur présence offre une formidable ouverture culturelle.
À ces adultes de demain, Marie-Laure Viaud souhaite de vraiment s’engager pour que les choses changent, de savoir travailler en équipe, prendre la parole et d’avoir une estime de soi qui leur permette de se dire « Oui, je peux, je suis capable de pouvoir agir » et non pas seulement de subir. Pour préparer les enfants qui seront les adultes de demain, à ce monde très incertain, en crise, qui progresse de jour en jour, il faut les former autrement. C’est un enjeu essentiel du monde de demain.
Références :
Changer l’école, une nouvelle école est possible, reconnectée à l’enfant et aux défis du monde, Marie-Laure Viaud, Nathan, 2023
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