Les Adultes de Demain

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Transmission des traumatismes à travers les générations avec Bruno Clavier #223

Les traumatismes transgénérationnels désignent des blessures psychiques non résolues qui se transmettent d’une génération à l’autre, de manière inconsciente. Ce phénomène repose sur l’idée que les souffrances vécues par les ancêtres, lorsqu’elles ne sont pas verbalisées ou traitées, continuent d’agir sur la psyché des descendants. Dans cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Bruno Clavier, psychanalyste et psychologue clinicien, explique que nous ne sommes pas uniquement le fruit de notre propre histoire, mais aussi de celle de nos parents et grands-parents.

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Certains enfants développent ainsi des souffrances inexpliquées, héritées des générations précédentes, sans en avoir conscience. Ce phénomène, étudié en psychanalyse transgénérationnelle, met en lumière l’impact des mémoires familiales sur l’inconscient. Dans ce processus, les grands-parents occupent une place centrale. Leur passé, leurs blessures et leurs silences façonnent les générations suivantes, bien souvent à leur insu. Certains transmettent un héritage affectif apaisant. D’autres laissent derrière eux des « fantômes familiaux », ces traumatismes non résolus qui hantent leurs descendants.

Bruno Clavier analyse depuis de nombreuses années ces mécanismes invisibles. Auteur de plusieurs ouvrages sur la transmission transgénérationnelle, il explore dans son dernier livre, Devenir un bon ancêtre, transgénérationnel et grands-parents, le rôle spécifique des grands-parents dans cette dynamique. Comment l’histoire des grands-parents façonne-t-elle l’inconscient des petits-enfants ? Quels mécanismes favorisent la transmission des traumatismes ? Comment briser ces schémas pour offrir un héritage psychique plus serein ? 

La psychanalyse transgénérationnelle : comprendre l’héritage familial

Qu’est-ce que la psychanalyse transgénérationnelle ?

La psychanalyse transgénérationnelle met en évidence un principe fondamental : nous ne sommes pas seulement façonnés par notre propre enfance, mais aussi par l’histoire de nos ancêtres. Contrairement à la psychanalyse classique, qui se concentre sur les expériences personnelles, cette approche prend en compte les transmissions invisibles entre générations.

La psychanalyse transgénérationnelle va énoncer qu'on est le fruit de ce qui nous est arrivé dans notre enfance, mais aussi qu'on est le fruit de tout ce qui est arrivé aux générations avant nous, explique Bruno Clavier.

Ce phénomène se manifeste surtout à travers les traumatismes. Un individu ne porte pas seulement ses propres blessures, mais aussi celles de ses parents et grands-parents. Cette transmission inconsciente repose sur Les fantômes familiaux, titre d'un précédent ouvrage de Bruno Clavier. Il s’agit de traumatismes non surmontés par les générations précédentes et qui continuent à agir dans la psyché des descendants.

C'est comme une dette, c'est-à-dire qu'ils [les grands-parents] sont partis, ils décèdent. Et quand ils décèdent, c'est comme s'ils nous laissaoent un héritage, mais là, c'est un héritage négatif, et un peu fou, puisqu'il y a plein de secrets, plein de choses qu'on ne comprend pas. Et pourtant, on en est porteur. Et pourtant, ça nous agite, précise Bruno Clavier.

Ces fardeaux invisibles influencent les pensées, les émotions et les comportements, souvent sans que la personne concernée comprenne leur origine.

Comment les traumatismes se transmettent-ils de génération en génération ?

Un traumatisme non résolu ne disparaît pas avec le temps. Il s’inscrit dans la mémoire familiale et se manifeste dans l’inconscient des descendants. Parfois, des enfants présentent des troubles inexpliqués sans avoir vécu eux-mêmes d’événements traumatiques.

Tous les enfants que j’ai reçus, il ne leur est rien arrivé quand ils étaient enfants, et pourtant, ils allaient très mal, observe Bruno Clavier.

Les symptômes sont variés :

  • phobies ;

  • cauchemars récurrents ;

  • troubles anxieux ;

  • ou encore comportements atypiques.

Ces manifestations sont souvent le signe que l’enfant porte le poids d’une histoire familiale non digérée. Chez l’adulte, cette transmission s’ajoute aux traumatismes vécus au cours de la vie. Cela rend parfois difficile la distinction entre ce qui relève de son propre vécu et ce qui vient de l’héritage familial.

Pour briser ces transmissions invisibles, il est essentiel de connaître son histoire familiale. Les secrets, les non-dits et les blessures passées continuent d’agir tant qu’ils ne sont pas mis en lumière. Pour éviter la répétition des souffrances, Bruno Clavier invite à :

  • explorer son arbre généalogique ;

  • interroger les anciens ;

  • lever le voile sur certains événements douloureux...

Le rôle des grands-parents dans la transmission des traumatismes transgénérationnels

Les grands-parents : des figures essentielles dans la construction psychique des enfants

Les grands-parents occupent une place unique dans la vie des enfants. Sophie Gaillet avait évoqué le rôle des grands-parents dans un précédent épisode. Leur influence dépasse souvent le cadre affectif. Ils transmettent :

  • des valeurs ;

  • des récits familiaux ;

  • un ancrage symbolique essentiel à la construction identitaire des plus jeunes.

C'est quand même les parents des parents, ce n'est pas rien, souligne Bruno Clavier.

Le lien intergénérationnel repose sur une force invisible mais puissante. Dès leur plus jeune âge, les enfants ressentent cette présence et cherchent à établir une connexion. Cette relation est d’autant plus marquante que la découverte par l'enfant de ce que signifie réellement la place des grands-parents survient tardivement.

On ne peut pas parler de vrais grands-parents tant qu’on ne sait pas un peu comment on fait les bébés, explique Bruno Clavier.

Lorsque les enfants prennent conscience que leurs parents ont eux-mêmes des parents, cela crée un vertige, une fascination face à la continuité des générations.

Dans cette dynamique, les grands-parents jouent un rôle clé dans la transmission des mémoires familiales :

  • Ils partagent des souvenirs.

  • Ils racontent l’histoire de la famille.

  • Ils offrent une vision plus large de l’héritage familial.

Leur influence ne se limite pas aux récits : elle s’imprègne aussi dans l’inconscient des petits-enfants, parfois de manière involontaire.

Les différents types de grands-parents et leur influence

Tous les grands-parents n’exercent pas le même impact sur leurs petits-enfants. Certains sont des piliers affectifs, d’autres peuvent devenir des sources de souffrance ou d’absence.

  • Les grands-parents bienveillants et protecteurs offrent un cadre rassurant et une transmission positive. Leur rôle n’est pas d’éduquer, mais d’apporter une présence stable et aimante. Contrairement aux parents, ils ne sont pas soumis aux contraintes éducatives. Leur amour se manifeste dans la gratuité, ce qui renforce leur lien avec les petits-enfants.

Les grands-parents, c'est que du bon, affirme Bruno Clavier. 

  • Les grands-parents toxiques et déficients, en revanche, peuvent transmettre des blessures inconscientes. Certains portent des traumatismes non résolus, qu’ils projettent involontairement sur leurs descendants. Dans ces cas, l’héritage familial devient un fardeau.

S'il existe des grands-parents merveilleux, il y en a aussi des déficients, des toxiques, des redoutables, rappelle Bruno Clavier.

  • Les grands-parents absents laissent un vide symbolique. Leur absence prive l’enfant d’un repère essentiel dans son histoire familiale. L’absence d’un grand-parent peut engendrer une quête identitaire chez l’enfant, qui cherchera à combler ce manque d’une manière ou d’une autre. On n'a pas tous eu la chance de connaître tous ses grands-parents, mais la plupart du temps, ils ont une présence symbolique. S'ils sont décédés avant qu'on prenne conscience de leur rôle, ils n'en restent pas moins mentionnés, présents dans la mémoire collective, sur les photos. Certains peuvent par contre être complètement absents.

Si les grands-parents ne s’investissent pas, c’est comme si vous n’aviez pas de toit, illustre Bruno Clavier à travers l’image de la maison.

Comment les traumatismes non résolus des grands-parents influencent-ils leurs descendants ?

Un grand-parent qui n’a pas travaillé ses propres blessures risque de les transmettre involontairement. Ses angoisses, ses douleurs et ses non-dits s’inscrivent dans l’histoire familiale et influencent la psyché des générations suivantes.

Si on part avec des choses pas réglées, ça va faire ce qu’on appelle des fantômes, avertit Bruno Clavier.

Les secrets familiaux sont souvent à l’origine de ces transmissions invisibles. Lorsqu’un traumatisme n’est pas verbalement exprimé, il ne disparaît pas pour autant. Il se manifeste autrement, à travers des symptômes ou des répétitions inconscientes.

Tout ce qui n’est pas dit est répété, avertit Bruno Clavier.

Certains traumatismes, comme ceux liés à l’inceste, sont particulièrement lourds à porter lorsqu’ils restent enfouis dans le secret familial.

Dès qu’on dénonce l’inceste, on entend souvent : tu vas tuer la famille, observe-t-il.

Cette omerta entretient la répétition du trauma sur plusieurs générations.

©Trinity Kubassek

Comment briser la transmission des traumatismes transgénérationnels ?

L'importance de connaître son histoire familiale

Les traumatismes non verbalisés ne disparaissent pas. Ils continuent d’agir en silence et impactent les générations suivantes. Pour interrompre ce cycle, il est essentiel de lever les secrets familiaux et de comprendre son histoire.

Mais l’accès à ces informations est parfois difficile. Certaines familles restent enfermées dans le silence, par peur de raviver des souffrances anciennes. Pourtant, les enfants ressentent ces non-dits et développent des symptômes sans en comprendre l’origine

Tous les enfants que j’ai reçus, tous ceux qui ont guéri de symptômes, même lourds, c'était le même processus. Ils entendaient parler par leurs parents des dossiers de la famille et ils guérissaient, explique le psychanalyste.

L’arbre généalogique est un outil puissant pour visualiser cet héritage. Il permet de mettre en lumière les répétitions familiales, les schémas inconscients et les événements marquants qui influencent encore les descendants.

Il faut que les enfants connaissent leur arbre généalogique. Il faut le faire à l’école, c’est vraiment important, insiste Bruno Clavier.

Pour compléter ce sujet, vous pouvez écouter l’épisode avec Sophie Galabru sur Faire famille. Il y a notamment question des histoires familiales et des obstacles qu’elles peuvent causer pour justement réussir à faire famille sereinement.

Travailler sur soi pour transmettre un héritage sain

Un grand-parent qui n’a pas apaisé ses propres blessures risque de les projeter sur sa descendance. Avant de transmettre son histoire, il est essentiel que les grands-parents fassent un travail personnel. Raconter un traumatisme sans l’avoir apaisé risque d’ajouter une charge émotionnelle aux descendants.

Il vaut mieux avoir été travailler son trauma avant de le raconter. Sinon, on traumatise, explique le psychanalyste.

Ce travail peut prendre différentes formes. La psychanalyse permet d’explorer son histoire familiale et de mettre en mots des blessures inconscientes. Des approches comme l’EMDR ou le TABC (technique développée par Bruno Clavier) peuvent également aider à apaiser des traumatismes profonds.

L’objectif n’est pas d’effacer le passé, mais de le comprendre et de l’intégrer pour ne plus en être prisonnier.

En réglant ses propres « dossiers », le grand-parent libère symboliquement ses descendants de ce poids.

Bruno Clavier évoque également le rapport qu'entretient le grand-parent avec la question de la vie et de la mort. Ainsi, devenir grand-mère, devenir grand-père peut raviver une angoisse de mort enfouie. Et cette angoisse, si elle n'est pas conscientisée et travaillée, peut peser sur les générations suivantes.  Elle peut notamment se traduire par des comportements excessifs, avec une volonté de tout contrôler, un refus de lâcher prise, la transmission de dettes émotionnelles ou au contraire, la fuite face au rôle de grand-parent.

Tout le monde est agité par ça, toute la vie. L'angoisse de mort, il faut en tenir compte et ça veut dire que plus on négocie cette angoisse, plus ça va bien se passer, plus on va léguer des choses bonnes, souligne Bruno Clavier.

Transmettre un héritage positif : le rôle clé des grands-parents

Un grand-parent apaisé a en effet la possibilité de léguer un très bel héritage affectif positif. Il offre une présence bienveillante, un cadre sécurisant et une source d’amour inconditionnel. Contrairement aux parents, ils n’ont pas à poser de cadre éducatif strict. Son rôle est d’apporter du lien, de la transmission et du partage.

Le bonheur des grands-parents influence directement leurs petits-enfants. Un ancêtre empli de regrets, d’amertume ou de rancune laisse une empreinte négative. À l’inverse, un grand-parent épanoui transmet un héritage affectif positif.

La première des règles, c'est qu'il faudrait être heureux, souligne Bruno Clavier, lui même grand-père.

L’amour, la curiosité et la joie sont des valeurs précieuses à léguer. Certains peuples, comme les peuples indiens du Québec, accordent une place centrale à la joie, même dans les dernières années de la vie.

Les vieux rient tout le temps. Il y a toujours un endroit, même vers la fin, où ils rigolent beaucoup, observe Bruno Clavier.

Se délivrer des traumatismes transgénérationnels ne signifie pas effacer le passé, mais apprendre à le transformer. En transmettant un héritage affectif sain, les grands-parents peuvent offrir aux générations suivantes une base plus solide pour avancer librement.

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