Comment apprendre à apprendre avec Grégoire Borst #181
Dans un monde qui évolue à une vitesse vertigineuse, marqué par des avancées technologiques et scientifiques sans précédent, l'éducation se trouve à un carrefour. Les méthodes traditionnelles d'enseignement, bien que fondamentales, doivent être repensées pour préparer efficacement les enfants aux défis complexes du XXIe siècle. C'est dans ce contexte que la contribution de Grégoire Borst, expert renommé en neurosciences et en psychologie du développement, prend tout son sens. En mettant en lumière l'importance cruciale de « apprendre à apprendre », Grégoire Borst ouvre la voie à une transformation profonde de l'éducation, où neurosciences, technologies et pédagogies innovantes s'entremêlent pour former un nouvel horizon d'apprentissage.
Les grands enjeux de l'apprentissage au XXIe Siècle
Pour Grégoire Borst, directeur du laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant au CNRS, « le grand enjeu du XXIe siècle [autour de l’apprendre et des enfants], c’est de redéfinir collectivement ce qu’on attend de l’éducation ».
Combiner deux visées différentes de l’éducation
Aujourd’hui, on distingue clairement deux conceptions des finalités de l’éducation :
Celle qui vise le capital humain, c’est-à-dire le développement de compétences qui feront des enfants de maintenant, les agents économiques de demain, à même de produire de la richesse pour les pays : pour Grégoire Borst, c’est la vision OCDE.
Celle qui est plus humaniste, plutôt portée par l’UNESCO et qui a pour vocation l’épanouissement humain dans toutes les sphères, qu’elle soit personnelle, professionnelle, sociale.
Et ce ne sont pas tout à fait les mêmes compétences qui ont besoin d’être développées selon que l’on souhaite participer à l’épanouissement humain ou au capital humain. Pour Grégoire Borst, il faudrait trouver un moyen de les intégrer les unes aux autres. Parce qu’actuellement, celles travaillées dans le système éducatif sont encore celles des recettes du XIXe et XXe siècles, qui misent encore et toujours sur les savoirs fondamentaux. Or si c’est important d’apprendre à lire, écrire, compter, « cette condition nécessaire n’est absolument pas suffisante à l’épanouissement humain ».
Faire évoluer le système éducatif
Les systèmes éducatifs sont globalement à bout de souffle. On ne peut que constater une réelle crise des apprentissages : les élèves sont de moins en moins motivés dans le système scolaire traditionnel. Or, « la promesse républicaine, c’est précisément d’avoir une école qui contribue à la réussite de chacun, une fois sorti de l’école ». Et malheureusement, c’est loin d’être le cas. Grégoire Borst dénonce ces choix qui consistent à utiliser des rustines alors qu’il faudrait réellement repenser en profondeur le système.
Pour faire cet exercice, il suggère de mener une réflexion prospective : quelles sont les compétences qu’un enfant devrait avoir une fois sorti du secondaire, à 18 ans, pour pouvoir être armé et s’épanouir du point de vue intellectuel, socio-émotionnel et professionnel dans sa vie d’adulte.
À titre d’exemple, les compétences de coopération auraient tout intérêt à occuper une place plus grande. « La complexité du monde dans lequel nous vivons nécessite d'interagir les uns avec les autres, de pouvoir construire des relations sociales apaisées ». Apprendre à coopérer, c’est développer la tolérance, les différences. Coopérer est une des conditions du succès collectif. C’est une compétence essentielle pour répondre à des défis personnels et professionnels, mais aussi de l’ordre du changement climatique.
Quel rôle les neurosciences ont-elles à jouer dans ces enjeux autour de l’apprentissage au XXIe siècle ?
La révolution de l’IRM pour explorer le fonctionnement cérébral
Dans l'univers de l'éducation, l'arrivée des neurosciences a marqué un tournant sans précédent. Grégoire Borst souligne l'importance capitale de l'Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) pour percer les mystères de notre organe le plus complexe : le cerveau. Cette technologie, comparée à la révolution qu'a été le microscope pour la biologie, ouvre des perspectives inédites pour comprendre les processus d'apprentissage.
L'IRM devient une fenêtre ouverte sur les mécanismes psychologiques qui sous-tendent la pensée et l'apprentissage. Cette comparaison n'est pas anodine. Elle signifie que, pour la première fois, nous avons la capacité de visualiser et de comprendre comment le cerveau réagit et se transforme lors des processus d'apprentissage. Ce n'est pas simplement une avancée scientifique ; c'est une révolution pédagogique en puissance.
Toutefois, l'enthousiasme généré par ces découvertes est tempéré par une note de prudence. Grégoire Borst met en garde contre une interprétation trop hâtive ou simpliste des données fournies par l'IRM. Les neurosciences cognitives intégratives offrent des clés de compréhension précieuses sur l'activité cérébrale, mais elles sont encore jeunes.
Leur intégration dans le système éducatif doit donc se faire avec discernement, en reconnaissant à la fois leur potentiel et leurs limites. Par exemple, les neurosciences ne permettent pas de déterminer quelle est la meilleure pédagogie à utiliser dans une classe. Mais elles mettent en exergue le poids des inégalités sociales sur les apprentissages.
Compréhension et amélioration des processus d’apprentissage
L'approche de Grégoire Borst vis-à-vis des neurosciences dans l'éducation est résolument tournée vers l'amélioration des processus d'apprentissage. Il ne s'agit pas simplement de cataloguer des activités cérébrales, mais de comprendre comment ces informations peuvent être utilisées pour développer des stratégies pédagogiques plus efficaces. Par exemple, la compréhension de l'impact du milieu social sur le développement cérébral offre des pistes pour adresser les inégalités éducatives dès leurs racines.
Ce que Grégoire Borst met en avant, c'est la possibilité d'utiliser les neurosciences pour rendre l'apprentissage plus efficace, plus inclusif et plus adapté à chaque enfant. Les enseignements des neurosciences, loin d'être une fin en soi, deviennent un moyen pour repenser l'éducation. Ils invitent les éducateurs à se poser des questions fondamentales :
Comment optimiser l'apprentissage ?
Comment prendre en compte les différences individuelles ?
Comment préparer les enfants à devenir des adultes épanouis et capables de relever les défis de demain ?
Le rôle des neurosciences dans l'éducation, tel que conceptualisé par Grégoire Borst, est de fournir des outils pour comprendre le cerveau en apprentissage. Cette compréhension ouvre la voie à des pratiques éducatives réellement adaptées aux besoins et aux potentialités de chaque enfant. Elle marque ainsi le passage d'une éducation standardisée à une éducation personnalisée, fondée sur des bases scientifiques solides.
Quelles sont les stratégies efficaces pour apprendre à apprendre ?
Prendre conscience des composantes communes à l’apprentissage
Un système éducatif correctement construit s’appuie sur des éléments communs chez tous les apprenants :
un système de mémorisation, partagé par tous, même si ses effets peuvent différer d’un individu à un autre ;
une concentration, qui si elle est forte, permettra d’autant mieux de retenir les informations ;
des émotions face aux apprentissages, plutôt négatives quand on fait une erreur et plutôt du côté du plaisir lorsqu’on parvient à mobiliser une nouvelle compétence
Dans ce processus d’apprentissage, l’apprendre à apprendre a toujours été présent. Il intègre cette notion de transmission :
de stratégies efficaces d’apprentissage ;
de connaissances.
Malheureusement, ces stratégies d’apprentissage efficaces sont très inégalement réparties dans la population, car très dépendantes du milieu familial dans lequel vit l’enfant. Des parents qui ont fait de longues études, ont développé des stratégies d’apprentissage sans doute suffisamment efficientes et ils vont pouvoir les expliciter, les enseigner à leurs enfants.
Tous ces implicites dans l’acquisition des fondamentaux construisent les inégalités éducatives observées aujourd’hui dans le système éducatif français explique Grégoire Borst.
Comprendre les 3 stratégies métacognitives pour apprendre à apprendre
La métacognition, concept clé dans l'arsenal des stratégies d'apprentissage efficace, occupe une place de choix dans la recherche de Grégoire Borst sur les processus d'apprentissage. Il définit la métacognition comme la capacité à :
réfléchir sur son propre apprentissage ;
comprendre comment on apprend le mieux, ;
ajuster ses stratégies en conséquence.
Cette compétence, loin d'être réservée aux élèves plus âgés ou plus avancés, peut et doit être cultivée dès le plus jeune âge pour favoriser une approche réflexive de l'apprentissage.
Selon Grégoire Borst, la métacognition englobe trois grandes stratégies, essentielles à tout processus d'apprentissage efficace :
La planification : cette première stratégie implique de réfléchir avant de se lancer dans une tâche ou un apprentissage. Si l’on prend l’exemple du puzzle, envisager différentes approches avant de commencer peut grandement influencer l'efficacité de la résolution du puzzle. En contexte éducatif, cela signifie encourager les élèves à penser aux différentes façons d'aborder un problème ou un sujet d'étude avant de plonger dans le travail.
La supervision : une fois la tâche entamée, il est essentiel de surveiller son propre processus d'apprentissage. Cette autoreflexivité permet de reconnaître si la stratégie initialement choisie est efficace ou si des ajustements sont nécessaires. Grégoire Borst met en avant l'importance de cette flexibilité cognitive, qui permet de s'adapter et d'optimiser l'apprentissage en temps réel.
L'évaluation : la dernière étape de la métacognition consiste à évaluer les résultats de son apprentissage. Cela implique non seulement de vérifier si l'objectif a été atteint, mais aussi de réfléchir sur le processus lui-même : qu'est-ce qui a bien fonctionné ? Quelles erreurs ont été commises ? Comment pourrais-je faire mieux la prochaine fois ? Cette capacité d'évaluation et de critique constructive est fondamentale pour un apprentissage profond et durable.
Grégoire Borst souligne que ces stratégies métacognitives ne sont pas innées. Elles doivent être enseignées et pratiquées. L'éducation moderne, dit-il, doit faire de la métacognition une priorité, en formant les enseignants à ces approches et en les intégrant de manière explicite dans les curriculums scolaires. Par ce biais, les élèves peuvent devenir non seulement des apprenants plus efficaces, mais aussi des penseurs plus critiques et autonomes.
Enseigner le fonctionnement du cerveau dès la maternelle
Si la métacognition, connue depuis longtemps, a été moins utilisée ces dernières années, c’est en raison d’une conception assez erronée des prérequis nécessaires. L’idée circulait que pour développer un autoréflexivité par rapport à ses apprentissages, il fallait disposer de structures logiques suffisamment complexes. Or, on peut observer des processus métacognitifs chez les enfants dès la maternelle.
Pour Grégoire Borst, la mère de toutes les batailles, c’est donc la maternelle.
C’est en maternelle qu’il faut transmettre de façon extrêmement explicite les stratégies d’apprentissage les plus efficaces. On aura alors une chance qu’il y ait moins d’inégalités éducatives qui se construisent au moment de l’apprentissage du langage écrit. Parce que si l’on construit des inégalités dans le domaine de l’acquisition de ce langage écrit, cela a des répercussions sur l’ensemble des autres acquisitions, tout au long de la scolarité.
L'importance de la compréhension du fonctionnement cérébral dès le plus jeune âge est un pilier fondamental de l'approche éducative promue par Grégoire Borst. Les enfants devraient apprendre tôt que :
Leur cerveau est en développement constant : il continue de se développer bien après la naissance, jusqu'à l'âge adulte avancé. Cette longue période de développement signifie que les capacités d'apprentissage et d'adaptation sont vastes et que les occasions de croissance intellectuelle et émotionnelle ne sont pas limitées à l'enfance ou à l'adolescence.
il reste plastique tout au long de la vie. La notion de plasticité cérébrale est primordiale. Expliquer aux enfants que le cerveau a la possibilité de former de nouvelles connexions neuronales tout au long de la vie offre une perspective optimiste sur le potentiel d'apprentissage et de récupération. Cela démontre également que les difficultés actuelles ou les échecs ne sont pas définitifs et que l'effort personnel peut conduire à des améliorations significatives.
Cette prise de conscience peut radicalement changer leur rapport à l'apprentissage et à la possibilité de développement personnel.
Poursuivre l’enseignement du fonctionnement du cerveau à l’adolescence
En abordant les idées reçues, notamment celles liées à des conceptions fixes des aptitudes en mathématiques ou en langues, Grégoire Borst insiste sur l'importance de déconstruire les mythes autour des capacités innées et de promouvoir une attitude de croissance.
Cela permet de reconnaître que les influences génétiques ou familiales ne déterminent pas de manière absolue les compétences d'un individu. Cela encourage les enfants à poursuivre leurs efforts et à explorer de nouveaux domaines d'apprentissage.
Et à l’adolescence, expliquer les changements neurologiques spécifiques qui surviennent peut aider les jeunes à mieux naviguer à travers cette période parfois tumultueuse de leur vie. En prenant conscience des aspects biologiques qui influencent leurs émotions et comportements, les adolescents peuvent apprendre à mieux se gérer eux-mêmes et à faire face aux défis de manière plus éclairée.
Grégoire Borst souligne que ces enseignements ne sont pas seulement des informations à transmettre, mais des fondements sur lesquels construire une approche éducative qui valorise la résilience, la curiosité et l'autonomie. En armant les enfants de cette connaissance sur leur cerveau, on leur donne les clés pour devenir des apprenants actifs, conscients de leur potentiel de croissance et capables de s'adapter avec succès aux exigences changeantes de leur environnement.
Quel est l’impact de l’IA sur les processus d’apprentissage ?
Grégoire Borst aborde l'intelligence artificielle (IA) en mettant en lumière son impact potentiel sur le processus d'apprentissage et les systèmes éducatifs. Il reconnaît la révolution numérique et l'émergence des IA génératives comme des réalités incontournables, et souligne l'importance d'intégrer ces technologies de manière judicieuse et réfléchie dans l'éducation.
Plutôt que de voir l'IA comme une menace pour les méthodes pédagogiques traditionnelles, Il invite à la considérer comme un outil qui, s'il est bien utilisé, peut enrichir l'expérience éducative en rendant l'apprentissage plus accessible, personnalisé et adapté aux besoins individuels des élèves.
Il critique l'approche réactive qui consiste à chercher des moyens de détecter si les élèves ont utilisé l'IA pour accomplir des tâches scolaires. Il serait plus judicieux d’enseigner aux élèves :
l’utilisation de ces outils de manière éthique et efficace ;
la compréhension des limites de l'IA, en apprenant à détecter ses biais potentiels et à réfléchir de manière critique aux informations qu'elle génère.
L’avènement de l'IA auprès du grand public est l’occasion de repenser ce que signifie être humain à l'ère du numérique, et quelles compétences nous devons développer pour coexister avec ces technologies avancées. L’objectif est de préparer les enfants à naviguer dans un futur où l'IA aura une influence croissante sur tous les aspects de la vie. Il est donc essentiel de les doter des compétences nécessaires pour utiliser ces technologies de manière à compléter et à enrichir leurs capacités humaines.
Dans cet épisode de Podcast, Grégoire Borst a également abordé la question de l’attention :
à travers la façon dont elle est enseignée dans les pédagogies alternatives comme celle initiée par Maria Montessori ;
en donnant quelques pistes pour maintenir l’attention des élèves lors des apprentissages ;
en expliquant qu’il est nécessaire de prendre conscience des limites du système attentionnel et de l’impact du multitâche sur celui-ci, à travers des mises en situations.
Pour en savoir plus, la meilleure solution reste d’écouter l’épisode 😉
Référence :
C’est pas moi, c’est mon cerveau, Grégoire Borst, Mathieu Cassoti, Clémentine Latron, Nathan, 2022
Enseigner aux élèves comment apprendre : 55 séances clés en main avec vidéos à l’appui - Grégoire Borst, Emilie Decrombecque, Jérôme Hubert, Nathan 2022
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