Comment parler d’argent aux enfants ? avec Christian Junod #230

Parler d’argent aux enfants reste un sujet sensible, souvent évité par les adultes. Pourtant, les plus jeunes perçoivent très tôt l’importance que nous accordons à l’argent, même lorsque le silence règne à ce sujet. Comment, alors, aborder cette question sans gêne ni maladresse ? À quel âge débuter ces échanges ? Et surtout, pourquoi est-ce si important d’en parler ?

Depuis treize ans, la Semaine de l’éducation financière témoigne d’un besoin croissant de sensibilisation à l’argent. Majoritairement axée sur la gestion budgétaire, cette initiative oublie parfois une autre dimension essentielle : la relation que chacun entretient avec l’argent. Cette relation est façonnée dès l’enfance par le regard parental, les habitudes familiales ou les modèles sociaux. Elle est faite de projections, de croyances, de peurs ou de fantasmes, qui se forme souvent dès l’enfance.

Dans un épisode passionnant du podcast Les Adultes de Demain, Christian Junod — ancien banquier devenu spécialiste de la relation à l’argent — partage des clés pour ouvrir le dialogue avec les enfants, les aider à développer un rapport conscient et apaisé à l’argent, et semer en eux les graines d’une vraie liberté intérieure.

Voici 7 conseils inspirés de son intervention pour parler d’argent aux enfants, en famille ou à l’école, avec sens, confiance… et un soupçon de philosophie.

1. Lever le tabou : pourquoi parler d’argent avec ses enfants ?

En France, l’argent est encore un sujet tabou — « si bien que l’on ne dit même pas qu’il est tabou… on n’en parle tout simplement pas », constate Christian Junod. Ce silence, profondément ancré dans notre culture, se transmet souvent inconsciemment au sein des familles. Résultat : les enfants grandissent avec des zones d’ombre, des non-dits, parfois même de la honte ou de la culpabilité autour de l’argent, sans vraiment comprendre pourquoi.

Et pourtant, les enfants perçoivent très tôt l’importance que nous accordons à l’argent, même si aucun mot n’est prononcé. Comme le souligne Christian Junod, ils observent nos comportements, nos inquiétudes, nos décisions. Tout comme un bébé rampe vers un téléphone parce qu’il voit l’adulte l’utiliser sans cesse, un enfant comprend que l’argent a une place centrale dans la vie de ses parents. Ce qu’il en déduira dépendra… de ce qu’on choisira ou non de lui dire et expliquer.

Parler d’argent avec ses enfants, ce n’est pas faire peser sur eux une charge d’adulte. C’est mettre des mots sur ce qui se vit déjà dans l’implicite, c’est reprendre la main sur un sujet qui, sinon, alimente fantasmes, peurs ou croyances limitantes. L’argent devient alors un support de discussion, un terrain d’apprentissage, voire un levier d’éducation à la responsabilité, à l’autonomie et à la conscience de soi.

2. À quel âge et comment commencer à parler d’argent ?

Il n’y a pas d’âge idéal pour parler d’argent aux enfants — l’essentiel est d’écouter leurs questions et leurs demandes, qui surgissent bien plus tôt qu’on ne l’imagine. La plupart du temps, les premières interrogations n’ont rien d’économique : elles prennent la forme de désirs (« Je veux ça », « Pourquoi lui, il a ça ? »), qui amènent les parents à évoquer, souvent sans s’en rendre compte, la question de l’argent. C’est là que commence l’éducation financière.

Le moment où il sera question de parler d'argent « va venir naturellement. Les enfants se rendent compte à travers nos attitudes de ce qui est important ou pas. [...] Souvent, c'est plus en lien avec « j'aimerais avoir quelque chose ». Ça ne parle pas d'argent de manière directe, mais indirectement, ça va revenir aux questions d'argent. Et c'est là que souvent, les parents vont expliquer « ah non, mais tu vois, pour obtenir ça, il faut de l'argent ». Donc, tout à coup, les enfants vont avoir des premières prises de conscience, c'est que pour avoir quelque chose, il faudrait ce truc-là qu'on appelle argent. Ils vont comprendre très vite qu'il y a cette sorte de contrepartie », explique Christian Junod.

Il n’est pas nécessaire d’en faire un sujet solennel ou pesant. Bien au contraire : répondre simplement, avec des mots adaptés à l’âge de l’enfant, permet de créer un climat de confiance et d’ouverture. Cela évite aussi de projeter sur lui des inquiétudes d’adulte.

Vers 8-10 ans, l’introduction de l’argent de poche peut marquer une étape importante. Il ne s’agit pas tant de responsabiliser que de permettre une première expérimentation. L’enfant apprend à faire des choix, à gérer une petite somme, à ressentir parfois la frustration ou la satisfaction liées à l’usage de l’argent. Et c’est justement ce vécu concret, à petite échelle, qui lui permet de développer une relation plus consciente et plus autonome à l’argent.

Concernant les sentiments de l’enfant, et en l’occurrence, la frustration générée par la non-obtention d’un objet convoitée, vous pouvez écouter l’épisode avec Roseline Roy sur comment accueillir les émotions de l’enfant.

3. L’argent de poche : un outil éducatif à manier avec souplesse

Donner de l’argent de poche, c’est bien plus qu’offrir une petite somme chaque semaine. C’est offrir un espace d’expérimentation où l’enfant peut apprendre, se tromper, faire des choix — et découvrir progressivement ce que l’argent permet ou non. Pour que cet apprentissage ait du sens, pour que l'enfant apprenne de ses erreurs, encore faut-il lui laisser une certaine liberté dans l’usage de cet argent.

« Quelle marge de manœuvre leur laisse-t-on ? En fonction de cette marge de manœuvre, ils vont faire des premières expériences ou pas. Certains parents vont décider que non, cet argent, on n'y touche pas. Et puis d'autres vont laisser une marge de manœuvre totale ou partielle aux enfants. L'idée (avec l'argent de poche), c'est plus de les accompagner dans l'expérimentation qu'ils vont faire et d'en faire un sujet d'apprentissage léger », conseille Christian Junod.

Parce qu'attendre d’un enfant qu’il soit raisonnable avec l’argent alors que beaucoup d’adultes ne le sont pas, c’est absurde. Ce n’est pas un examen de maturité : c’est un terrain de jeu, une découverte, une opportunité de grandir.

« Trop souvent, il y a des adultes qui attendent des enfants qu'ils se comportent comme de petits adultes. Avec l'argent, les parents aimeraient très vite que les enfants soient raisonnables. On va même leur dire comment ils doivent faire pour être raisonnables. Et moi, je vois dans mes activités, qu'il y a tellement d'adultes qui se comportent, « comme des enfants » avec l'argent, que c'est quand même attendre beaucoup des enfants », alerte Christian Junod.

Cela ne signifie pas pour autant tout laisser faire. En cas d’usage excessif ou problématique — par exemple si l’enfant achète uniquement des bonbons — on peut poser un cadre sans jugement. « Ok, tu as choisi d’acheter des bonbons, mais moi, je n’accepte pas que tu manges huit bonbons par jour, par exemple. Donc, on va les gérer ensemble. » L’idée est de respecter le choix de l’enfant tout en l’accompagnant sur d’autres enjeux comme la santé, sans dramatiser ni culpabiliser.

L’argent de poche, bien utilisé, devient alors un outil de dialogue, de confiance et de croissance. Une première étape vers une autonomie douce et éclairée.

Sur ces questions de respect du choix de l’enfant, de cadre éducatif bienveillant, vous pouvez écouter l’épisode avec Isabelle Filliozat, comment éduquer sans violence ni laxisme.

4. Expliquer la réalité financière et les différences entre familles

À un moment ou un autre, les enfants comparent : les vacances des copains, la taille des maisons, les marques de vêtements. Comment répondre à ces observations sans tomber dans la gêne, la justification ou l’évitement ? En expliquant simplement la réalité financière du foyer, avec des exemples concrets, adaptés à leur âge.

Christian Junod propose une approche très visuelle :

« Dans tout ménage, il y a des charges fixes qu’on paie chaque mois. C’est un logement, par exemple, des assurances… Il y a des charges variables mais indispensables, comme l’alimentation. Et après, il y a ce qui reste, s’il reste quelque chose, qui peut être pour des loisirs. »

Plutôt que de cacher ou minimiser, il est utile de montrer comment se répartit un budget — sans forcément parler de chiffres exacts, mais en mettant en lumière les priorités de la famille, les arbitrages du quotidien, les contraintes éventuelles. Cela permet à l’enfant ou à l’adolescent de comprendre que certains choix ne relèvent pas d’un manque d’amour ou d’envie, mais simplement d’un cadre financier donné.

Attention toutefois à ne pas employer un langage culpabilisant ou trop chargé émotionnellement. Comme le dit Christian Junod :

« La transparence, ce sont les faits, ce ne sont pas les peurs. »

Il est également préférable de parler de différences plutôt que d’inégalités, pour ne pas induire une hiérarchie ou un sentiment d’injustice trop précoce. Chacun a sa réalité, et chacun fait de son mieux avec ce qu’il a.

En abordant ces sujets en confiance, on aide l’enfant à construire un regard plus lucide, mais aussi plus serein, sur la diversité des situations qu’il rencontrera dans sa vie.

5. Aider les enfants à distinguer valeur et prix

Dans une société saturée de publicités, Christian Junod conseille d’aider les enfants à faire la différence entre la valeur d’un objet et son prix. Tout ne s’achète pas, tout n’a pas besoin d’être neuf ou cher pour être important. Et inversement, certains objets coûteux n’ont, au fond, que peu de valeur symbolique ou affective.

Christian Junod insiste :

« Ce n’est pas parce que je ne veux plus quelque chose que ça n’a plus de valeur. »

Un jouet, un vêtement, un objet du quotidien peut encore servir, plaire à quelqu’un d’autre, ou simplement avoir compté à un moment donné. Apprendre cela, c’est aussi développer une forme de responsabilité vis-à-vis de nos possessions — et donc une sensibilité écologique et éthique face au gaspillage et à la surconsommation.

Mais au-delà des objets, il y a ce qui ne se mesure pas en euros : la tendresse, l’attention, le temps partagé… Pour aider les enfants à sortir d’une vision purement matérialiste des relations, Christian Junod suggère de s’appuyer sur les langages de l’amour de Gary Chapman.

« Les enfants aussi ont leur langage de l’amour. Est-ce qu’ils préfèrent des moments privilégiés ? Des câlins ? Des mots doux ? Des cadeaux ? »

Ces différents langages permettent d’ouvrir le dialogue : montrer que recevoir un cadeau n’est qu’une manière parmi d’autres d’exprimer l’affection, et que le lien ne dépend pas de ce que l’on donne matériellement, mais de l’attention qu’on porte à l’autre.

En cultivant cette conscience, on aide l’enfant à développer un rapport plus riche, plus nuancé, et plus libre à l’argent et à la consommation.

6. L’orientation scolaire et professionnelle : choisir une voie de cœur plutôt que le « métier qui rapporte »

Quand vient le temps de l’orientation, il n’est pas rare d’entendre des adolescents affirmer vouloir « devenir riche » ou « faire un métier qui rapporte ». Derrière ces mots, il y a souvent des fantasmes liés à la réussite, à la reconnaissance sociale, ou au mode de vie affiché par certaines figures populaires comme les youtubeurs ou les entrepreneurs globe-trotteurs.

Christian Junod invite alors à ne pas balayer ces envies, mais à les questionner avec bienveillance :

« Pourquoi c’est important d’être riche ? C’est quoi, être riche pour toi ? »

Ces interrogations ouvrent un espace de réflexion sur les motivations profondes, sur ce que l’enfant projette derrière l’idée de richesse — confort, liberté, sécurité, valorisation… Parler d'argent aux enfants, c'est aussi aborder ce type de questionnement plus philosophique.

Il rappelle aussi que les parcours fondés uniquement sur des critères économiques finissent souvent par générer de la frustration ou du mal-être.

« Des médecins malheureux, il y en a plein. Des gens qui ont fait de grosses études et qui sont malheureux, il y en a excessivement plein », témoigne-t-il.

L’enjeu, selon lui, est d’accompagner les jeunes vers un métier de cœur, une activité qui les met en mouvement avec joie.

C’est pourquoi il préfère le mot « œuvrer » à celui de « travailler » :

« L’étymologie du mot travail, c’est trépalium, un instrument de torture… Moi, je parle plutôt d’œuvrer. Il y a cette idée de contribuer à quelque chose qui a du sens. »

En valorisant l’alignement entre ce que l’on aime faire et ce que l’on offre au monde, on redonne du sens à l’engagement professionnel. Et l’on transmet à nos enfants que le bonheur ne se mesure pas au montant du salaire, mais à la joie que l’on éprouve à œuvrer chaque jour.

7. Cultiver une relation apaisée à l’argent : gratitude, abondance et solidarité

« L’argent n’a pas le pouvoir de rendre heureux », rappelle Christian Junod.

Il ne fait qu'amplifier ce qui est déjà là. S’il y a de la joie, l’argent peut la soutenir. Mais s’il y a du vide intérieur, il ne suffira pas à le combler. Il est donc essentiel d’aider les enfants à ne pas faire reposer leur bonheur sur une promesse extérieure, et à cultiver dès le plus jeune âge un état d’esprit d’abondance (qui s'oppose à l'état d'esprit de pénurie). Cet état d’esprit se nourrit de gratitude :

« Trop souvent, on est en train de regarder tout ce qui nous manque, plutôt que de commencer à voir ce que nous avons déjà. Et là, c’est vraiment un état d’esprit. »

Encourager les enfants à reconnaître ce qui est déjà là dans leur vie — une maison, des repas, des relations aimantes, des qualités personnelles — c’est les aider à se sentir riches autrement. Cela ne veut pas dire nier les difficultés, mais déplacer le regard vers ce qui nourrit, plutôt que vers ce qui manque.

Enfin, Christian Junod plaide pour que l’éducation financière dépasse le cadre individuel :

« On apprend trop à se débrouiller seuls, à faire des économies “au cas où”… Mais si on apprenait à faire équipe ? À demander de l’aide ? À être là pour les autres ? »

Une véritable éducation à l’argent, qu’elle soit familiale ou scolaire, passe aussi par là : le sens du collectif, la solidarité, le « nous » plutôt que le « moi-je ». C’est une manière de sortir d’une logique de peur, pour entrer dans une dynamique de lien, de confiance… et d’humanité. C’est développer une partie des compétences psychosociales de l’enfant et contribuer à favoriser le vivre ensemble.

Parler d’argent aux enfants, ce n’est pas les faire grandir trop vite. C’est leur offrir un outil de liberté, de conscience et d’équilibre, dans un monde où l’argent est omniprésent, mais rarement questionné avec profondeur.

C’est aussi adopter une posture parentale ouverte : basée sur la transparence, l’écoute, la discussion, sans jugement ni projection de nos propres peurs. Comme un fil rouge, la confiance traverse toutes ces conversations, même lorsqu’elles touchent à des réalités complexes ou sensibles.

Et si, plutôt que d’alimenter la peur de manquer, on cultivait la joie de contribuer, d’œuvrer, de partager ce que nous sommes et ce que nous avons ? C’est peut-être là, dans cette transformation intérieure, que se cache la plus belle éducation financière possible.

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