Le cerveau d’un enfant haut potentiel et hypersensible avec Pascale Michelon #116

Le haut potentiel intellectuel et émotionnel vont-ils de pair chez l’enfant ? Un enfant HPI est-il forcément hypersensible ? Et vice-versa, un enfant HPE, au haut potentiel émotionnel, est-il HPI ? Pascale Michelon, docteur en psychologique cognitive, nous emmène dans les méandres du cerveau des hauts potentiels et hypersensibles. Elle nous explique comment fonctionne le cerveau des HPI, puis illustre la signification de l’hypersensibilité. Et elle se penche sur le lien possible, mais pas systématique, entre le haut potentiel intellectuel et la sensibilité élevée. Enfin, elle livre quelques conseils pratiques pour les parents, enseignants et éducateurs, afin qu’ils accompagnent au mieux les enfants dans l’acceptation de leur haut potentiel et l’accueil de leurs émotions. 

Comment fonctionne le cerveau ?

Les études en neuropsychologie, notamment l’observation des lésions cérébrales avec les techniques d’imagerie, ont montré que le cerveau était constitué de différentes zones. Chacune des zones du cerveau s’occupe d’une ou plusieurs fonctions : la respiration, la régulation du rythme cardiaque, tout autant que la prévision des prochaines vacances ou la résolution d’une équation différentielle. Ces tâches vont des plus basiques aux plus complexes. Par ailleurs, ces différentes zones cérébrales collaborent intensément. 

Par exemple, rien que le fait de parler avec quelqu’un mobilise un grand nombre de processus cognitifs implicites :

  • audition ;

  • recomposition des syllabes en mots, puis en phrases ;

  • compréhension verbale ;

  • mémoire ;

  • attention ;

  • raisonnement, etc.

Quelles sont les particularités du cerveau des hauts potentiels ?

Comment détecte-t-on les cerveaux haut potentiel ? 

Pascale Michelon insiste sur le fait qu’on ne diagnostique pas un haut potentiel, mais qu’on l’identifie. Elle rappelle l’importance de faire attention à la sémantique employée. En effet, le haut potentiel n’est pas une maladie. On peut avoir certes des difficultés liées à cette particularité, tout comme on peut rencontrer des problèmes quand on a une très grande taille. C’est vrai qu’une personne haut potentiel ne rentre pas dans toutes les cases. Mais c’est important de ne pas traiter cette caractéristique comme une maladie, car ça peut être quelque chose de super que d’avoir cette différence. Beaucoup d’individus haut potentiel le vivent très bien. 

En sciences cognitives, l'intelligence est donc traduite en fonctions cognitives. Chaque tâche va être décomposée en briques :

  • brique de la mémoire ;

  • de la vitesse de traitement ;

  • du langage ;

  • de la compréhension ;

  • de la capacité d'abstraction ;

  • de la capacité de logique.

Le test de QI teste la solidité de quelques-unes de ces briques. Il mesure un ensemble d’habiletés et compare les résultats à la norme.

Les caractéristiques neuronales d’un cerveau haut potentiel se traduisent notamment par :

  • des capacités de mémoire plus importantes ;

  • des rapidités de traitement plus grandes ;

  • des dispositions d’analyses, par logique ou association, etc. plus conséquentes. 

Qu’appelle-t-on le potentiel intellectuel ?

Le potentiel intellectuel, c’est ce qui a un lien avec ces capacités cognitives de mémoire, d’attention, de raisonnement. Il s’intéresse à la façon dont fonctionne notre cerveau pour extraire les informations du monde qui nous entoure et les analyser. 

Un enfant ou un adulte qui a un haut potentiel intellectuel a un cerveau plus puissant, plus efficace que la moyenne. Certaines zones sont davantage connectées. Il y a plus de matière blanche et grise. Les connexions sont plus rapides, notamment dans les zones du cerveau impliquées dans le traitement et l’analyse des problèmes, la mémoire, la créativité. Les personnes qui ont une connectivité bien répandue dans leur cerveau auront un potentiel plus homogène. Ces caractéristiques neurologiques peuvent expliquer pourquoi les personnes à haut potentiel ont souvent une approche unique de la résolution des défis intellectuels. 

Quelles sont les différentes formes d’intelligence ?

Au-delà de l’intelligence définie par les fonctions cognitives vues précédemment, on distingue d’autres types d’intelligence :

  • L'intelligence émotionnelle : comment on accueille les émotions, les informations qui proviennent de nous-même ; comment on les mélange pour aboutir à une analyse, une solution de la situation.

  • L’intelligence relationnelle : comment on répond à ses besoins et à ceux des autres.

  • L’intelligence pratique : comment on agit ensuite en fonction de la solution trouvée, comment on s’adapte, comment on met en œuvre des solutions.

Quelles sont les caractéristiques d’un enfant haut potentiel intellectuel ?

Pascale Michelon rappelle qu’en général, les personnes qui ont un potentiel intellectuel élevé et qui ont des conditions de vie normales, sans troubles psychologiques particuliers, ont plutôt des facilités à s'adapter au monde qui les entoure.

Elle invite à se méfier des grandes listes de caractéristiques des hauts potentiels, qui voudraient que ces personnes aient systématiquement des difficultés relationnelles, soient perfectionnistes, caractérielles, etc. 

À la base, le fonctionnement d’une personne à haut potentiel intellectuel reposent sur des capacités cognitives qui sont plus puissantes, plus efficaces, vu les connexions plus nombreuses. 

Les seules caractéristiques qui peuvent objectivement être déduites du fonctionnement cérébral spécifique se situent au niveau des capacités intellectuelles. On mesure :

  • la mémoire ;

  • le raisonnement ;

  • l’attention ;

  • la disposition à extraire des informations pertinentes du monde ;

  • l’auto-réflexion et une métacognition poussée (aptitude à réfléchir sur soi-même), etc.

Au quotidien, en termes de comportement, cela se traduit souvent par :

  • une grande curiosité ;

  • des questions existentielles (sur la mort, l’écologie, ce qui peut se transformer plus tard en anxiété) ;

  • une maturité intellectuelle plus rapide ;

  • un besoin d’apprendre, d’être stimulé, de nourrir cette machine puissante avec des multiples informations ;

  • un besoin de sens ;

  • une bonne capacité d’analyse ; etc.

Certains enfants, tout comme les adultes, vont se passionner pour un domaine quand d’autres seront plutôt butineurs et manifesteront des intérêts dans tous les sens. 

Un individu ne se résume pas à son quotient intellectuel

Néanmoins, Pascale Michelon insiste : 

« Le haut potentiel ne définit pas complètement une personne ou un enfant. C'est sa façon de fonctionner sur le plan cognitif dont on parle, quand on parle de haut potentiel intellectuel. De nombreux autres facteurs font qu'on est qui on est : notre niveau de sensibilité, notre histoire de vie, notre personnalité, notre traumatisme, notre contexte de vie de façon générale. Tout ça va s'intermêler et faire qu'on va être haut potentiel d'une certaine façon qui sera différente de la personne à côté de nous ».

Les individus à haut potentiel présentent souvent une pensée divergente, une grande créativité, une capacité à établir des connexions inhabituelles, et une profonde curiosité intellectuelle.

Il existe des prédispositions génétiques qui peuvent influencer la manière dont le cerveau se développe. Cependant, l’environnement joue également un rôle clé. Les stimuli, les interactions sociales et les expériences tout au long de la vie peuvent façonner le cerveau des hauts potentiels. 

L’hypersensibilité : sensibilité sensorielle ou émotionnelle ?

Du point de vue scientifique, l'hypersensibilité n'est pas très clairement définie à ce jour. Elle mélange en général la sensibilité sensorielle et la sensibilité émotionnelle.

Ces domaines sont étudiés distinctement en neurosciences.

Comprendre ce qui se passe dans le cerveau d'une personne plus sensible, nécessite de s’appuyer sur différents types d’études portant sur ces deux types de sensibilité. 

enfant haut potentiel intellectuel et émotionnel

La sensibilité sensorielle

Un cerveau plus sensible aura besoin de moins de stimulation au niveau des sens, au niveau du bruit, de la vue, de l'odorat, etc. pour réagir.

Son seuil sensoriel sera plus bas que la moyenne. La réactivité des systèmes sensoriels est plus forte, plus rapide dans les cerveaux des enfants et des adultes hypersensibles ou hautement sensibles. 

En neurosciences, on parlera plutôt de sensibilité élevée et non d'hypersensibilité.

Pascale Michelon explique : « dans le sens hyper, il y a souvent la notion de trop qui n'est pas loin derrière. La sensibilité élevée correspond à des données qu'on peut mesurer en neurosciences ».

La sensibilité émotionnelle

La définition de la sensibilité émotionnelle est plus complexe. Elle correspondrait à une réactivité plus rapide aussi aux stimulations émotionnelles. Peu d’études existent sur le sujet et elles portent sur les adultes. 

Chez eux, il a été observé que les zones qui traitent les émotions sont plus actives lorsqu’on leur montre des images chargées émotionnellement, des visages qui expriment des émotions. Ils traitent plus ces informations, ils y sont plus sensibles. 

Ces études ont également montré que les zones qui permettent d'entrer en empathie affective sont plus actives dans les cerveaux des personnes plus sensibles.

Lorsqu’on manifeste de l’empathie affective, face à une personne qui devient triste par exemple, les zones de notre cerveau qui correspondent à l’état émotionnel de notre interlocuteur s’activent en miroir. Cette activité en miroir permet de ressentir la même émotion. 

Or, on s'est aperçu que dans le cerveau des hypersensibles, il y a plus d’activités dans ces zones-là que dans le cerveau des personnes moins sensibles.

Cette empathie affective est plus importante, ce qui explique aussi que les personnes hypersensibles non seulement réagissent plus aux émotions, aux leurs et aux situations émotionnelles, mais sont aussi plus sensibles à ce qu'elles vont percevoir chez les autres personnes en face d'elles.

Au quotidien, ça va donner une réactivité émotionnelle très forte qui, souvent, peut paraître démesurée pour l’entourage.

« C'est comme si un tout petit stimulus, une petite chose, une petite remarque, donne une réaction émotionnelle qui paraît incroyable », renchérit Pascale Michelon.

Le haut potentiel intellectuel et émotionnel vont-ils de pair ?

De l’imaginaire collectif….

Pascale Michelon a décidé de travailler de manière simultanée sur le cerveau des hauts potentiels et des hypersensibles. Elle explique que dans l’imaginaire collectif et dans ce qu’elle peut voir dans son cabinet, les deux sujets sont fortement liés. Cette idée que les personnes haut potentiel sont toutes hypersensibles n’est pas prouvée scientifiquement. Néanmoins, les personnes qui consultent le sont très majoritairement.

Toute personne qui a une différence par rapport à la majorité peut rencontrer une difficulté pour entrer en relation avec les autres. Mais tout dépend de comment cette caractéristique a été accueillie pendant l’enfance, dans le milieu familial, à l’école, etc.

Dans son livre, Au coeur des cerveaux hauts potentiels et hypersensibles : Comprendre et mieux se vivre grâce aux neurosciences (Leduc, 2022), Pascale Michelon apporte un éclairage scientifique concret à la fois sur le haut potentiel et sur l’hypersensibilité.

… à la réalité du terrain

Le haut potentiel intellectuel est défini comme un haut quotient intellectuel. Il est mesuré par un test précis, qui se réfère à une courbe. Cette dernière donne environ 5% de la population comme étant à haut potentiel. 

La sensibilité élevée s’établit quant à elle à travers un questionnaire d’auto-évaluation. 25 à 30% de la population se déclare hautement sensible. Il existe donc plus de personnes hautement sensibles que de personnes avec un haut potentiel intellectuel.

Dans les faits, en cabinet, les enfants ou adultes qui viennent consulter présentent majoritairement le cerveau des hauts potentiels et hypersensibles. De là à dire que l’un ne va pas sans l’autre, rien ne le prouve pour le moment comme l’explique Nicolas Gauvrit dans son livre, Dans la tête des HPI, aux éditions Les Arènes. 

Au quotidien, les personnes HPI peuvent rencontrer des difficultés dans la canalisation de leur flux mental. Elles ont ce sentiment d’éparpillement, notamment pour les adultes. Elles peuvent rencontrer des complications dans l’interaction avec les autres. Elles manifestent aussi très souvent des facteurs d’anxiété, de dépression. Mais il est là aussi difficile d’affirmer que c’est lié à leur fonctionnement cognitif particulier. Car effectivement, tous les enfants haut potentiel ne sont pas forcément anxieux et les ados HPI dépressifs. Accueillir l’intelligence, la curiosité de l’enfant, l’accepter vont lui permettre de lui-même s’accepter, se comprendre et être plus à l’aise dans le monde.

Quel accompagnement pour le cerveau d’un enfant haut potentiel intellectuel et émotionnel ?

Répondre aux besoins intellectuels de l’enfant HPI

Comprendre et répondre aux besoins des enfants ayant un cerveau haut potentiel hypersensible est essentiel pour favoriser leur épanouissement. 

Pour l’aspect intellectuel, ces enfants ont fréquemment une soif insatiable de connaissances et une grande curiosité intellectuelle. Leur environnement doit nourrir leurs besoins d’apprentissage. Ils doivent être encouragés dans l’exploration de leurs intérêts. Ils apprécient d’être poussés à penser de manière critique, à résoudre des problèmes complexes, à développer leurs talents.

Toutefois, il faut faire attention à ne pas tomber dans la sur-stimulation avec une surcharge d’activités qui peut les épuiser. Il est essentiel de trouver un équilibre entre la stimulation intellectuelle et le temps de repos, même si cela peut sembler paradoxal. Les moments de « temps morts » sont importants pour permettre au cerveau de traiter les informations et de se reposer.

Accueillir les émotions de l’enfant HPE ou hypersensible

Quand on a un enfant hautement sensible, facilement submergé par les émotions, la colère, l’anxiété, etc. sans prise pour arrêter le flux, le parent doit jouer un rôle de régulateur. Pour réguler, il ne doit pas être lui-même emporté par le flot émotionnel, au risque que ne se mettent en place les processus miroirs. Il accueille l’émotion de l’enfant (de l’adulte aussi) par la parole, par le geste. Lui demander de se calmer ne sert à rien. 

Pascale Michelon emploie la métaphore de la vague. À la mer, lorsqu’on voit une immense vague arriver sur nous, on sait qu’on va la prendre de plein fouet. Deux solutions sont possibles : soit on la laisse nous submerger, soit on plonge dedans ou surfe dessus pour que cela soit un peu moins désagréable. 

C’est la même chose avec une émotion : ce n’est pas quelque chose d’horrible qui va nous empêcher de vivre, c’est une information

Encourager le développement de l’intelligence émotionnelle des enfants HPI

Ce conseil est valable pour tous les enfants, pas seulement ceux dotés du cerveau de ceux détectés comme haut potentiel hypersensible. 

Cultiver l'intelligence émotionnelle de l’enfant implique donc de l’aider à comprendre, à nommer et à réguler ses émotions, ainsi qu'à reconnaître les émotions des autres. 

Les parents peuvent donc questionner leur enfant…

« Qu'est-ce qui fait que tu es tendue ? »
« À quoi tu penses ? »

… pour arriver à nommer cette émotion.
« Est-ce que c'est de la peur ? »
« Est-ce que c'est de la colère au contraire ? »

Puis, on accompagne l’enfant pour qu’il comprenne ce qui fait qu’il réagit ainsi. Une émotion est une réaction à une situation qu’on vit. Il est important de savoir que plusieurs personnes, dans une même situation, vont la vivre différemment et éprouver diverses émotions. 

« L'émotion est en nous, c'est nous qui la créons, c'est notre réaction », explique Pascale Michelon. Elle estime d’ailleurs que ce serait un grand progrès que d’intégrer l’apprentissage de l’intelligence émotionnelle au programme. 

Cela permettrait aux enfants de comprendre quels sont leurs besoins fondamentaux, ceux qui vont faire qu’ils seront joyeux, épanouis lorsqu’ils seront satisfaits ou malheureux, effrayé, triste, en colère dans le cas contraire. On trouve notamment les besoins de relations, d'amour, d'estime, de reconnaissance.

Donner les clés de son intelligence à l’enfant, qu’il soit ou non haut potentiel hypersensible, c’est lui permettre de s’auto-réguler par la suite.

« Les émotions, ce sont des messages et il faut les considérer comme des amis », conclut Pascale Michelon, qui conseille le dessin animé Vice-versa.

Références :

Au coeur des cerveaux hauts potentiels et hypersensibles : Comprendre et mieux se vivre grâce aux neurosciences, Pascale Michelon, Leduc, 2022

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