Comment stimuler le langage avec Léa Hélias #169
Le langage est la clé de la communication, un outil essentiel dans le développement des enfants. Mais comment s'assurer que nous parlons de la meilleure façon aux enfants ? Doit-on stimuler le langage chez l’enfant et si oui, comment s’y prendre ? Léa Hélias, orthophoniste, autrice de 50 activités ludiques autour du langage et hôte du compte Instagram Jeune Maman Extraterrestre, revient sur les étapes clés du développement du langage chez les enfants. Elle nous présente également des activités ludiques pour enrichir le vocabulaire de tous.
Quelles sont les grandes étapes de l’évolution du langage chez l'enfant ?
Léa Hélias rappelle bien que ces grands stades de développement du langage chez l’enfant sont des repères, basés sur des moyennes. Certains enfants y parviendront plus tôt, d’autres plus tard. Néanmoins, ces éléments permettent de savoir si l’enfant souffre d’un éventuel trouble du langage… ou d’audition.
Vers 12 mois, on attend généralement les premiers mots.
Vers 18 mois, l’enfant compte une cinquantaine de mots. Pas d’affolement, cela reste une moyenne. En dessous de 10 mots à 18 mois, il est nécessaire de porter une attention particulière au langage.
Vers 24 mois, ce sont les combinaisons de deux mots qui sont attendus, des ébauches de phrases. L’enfant associe deux mots pour nous faire passer un message : « maman gâteau ».
Vers 3 ans, l’enfant formule ses premières phrases.
Vers 6 ans, le langage de l’enfant est normalement fluide, avec de belles phrases, plus riches, plus complexes, et bien articulées.
Chaque enfant étant unique, ce langage ne va pas se développer au même rythme pour tous, mais suit une progression similaire.
15% des enfants parlent de façon tardive. Pour 70% de ces 15%, le langage va se normaliser aux alentours des 4 ans. Pour les autres, effectivement, ce sera un trouble du développement langagier.
Parfois, quand le langage met trop longtemps à s’installer, on peut noter une pauvreté du développement lexical, du vocabulaire, des structures de phrases.
Si l’on voit que le langage est compliqué pour son enfant, il faut redoubler d'efforts et d'accompagnement au quotidien, pour que finalement, son niveau à 4-5 ans soit le même qu'un enfant qui aurait développé son langage de manière très rapide, par exemple.
Quels sont les mécanismes d'apprentissage du langage chez les enfants ?
À la naissance, l’enfant reconnaît déjà la voix de sa maman. Il a déjà perçu des éléments sonores in utero. Léa rappelle que l’enfant, tout petit, qui vient de naître, est en mesure de distinguer toutes les langues du monde. On comprend déjà tout le potentiel qu’il a.
Comment naît le langage ?
Pour construire son langage, l’enfant va entendre les mots que nous lui donnons.
Puis il va essayer de les comprendre. C’est pourquoi, si on dit le mot « couche », il est important de montrer l’objet que l’on désigne ainsi.
Enfin, il sera en mesure de produire les mots qu’il aura compris.
L’enfant prononce bien sûr moins de mots qu’il n’en comprend. Ce sont effectivement deux sphères cérébrales qui se développent de façon parallèle.
Qu’est-ce qui peut entraver le développement du langage ?
En France, on a encore du mal avec la prévention en matière de langage. Nombre de médecins disent face à l’inquiétude de certains parents : ce n’est pas grave, on verra quand il rentrera à l’école. C’est oublier que l’enfant qui n’arrive pas à parler est en difficulté. Il n’a pas les moyens de communiquer, il est frustré.
Car l’être humain n’a qu’une seule envie, en l’absence de troubles spécifiques, c’est d’utiliser l’outil de communication qu’est le langage. Donc, si on a des doutes en tant que parents, il faut suivre son intuition et ne pas hésiter à consulter.
Parmi les obstacles au développement du langage, on peut trouver des causes :
médicales : problèmes d’audition, troubles du développement, du langage (bégaiement…), etc.
psychologiques : il arrive que certains enfants deviennent mutiques suite à un événement traumatique, ce qui nécessite un suivi en conséquence ;
environnementales : exceptionnellement, l’absence de communication entre les parents et le bébé et beaucoup plus fréquemment, une place prépondérante des écrans. Or, Léa Hélias le rappelle : « les enfants n'ont pas besoin d'être exposés aux écrans pour apprendre le langage ».
Que faire si son enfant de 18 mois parle très peu ?
Beaucoup d’éléments peuvent faire que l’enfant rencontre des difficultés langagières. Léa Hélias tient toutefois à rappeler que les parents ne sont en aucun cas responsables des troubles spécifiques du langage.
Certains enfants auront besoin que soient mises en place davantage de choses pour que leur langage progresse. Aucun enfant ne se développe de la même manière, et il faut donc adapter. Si le développement langagier suit des normes, il reste vraiment propre à chaque enfant.
Si à 18 mois, on se rend compte que son enfant ne dit toujours pas de mots, le premier réflexe, c’est d’obtenir un bilan ORL. Parfois, on passe à côté d’otites séreuses, de liquides dans les tympans. Ce n’est pas douloureux pour l’enfant, il ne s’en plaint donc pas. Par contre, cela atténue considérablement son audition. Que de temps perdu quand on s’en aperçoit seulement au 3 ou 4 ans de l’enfant.
Quand consulter un orthophoniste ?
Dans l’idéal, si on a un enfant de deux ans qui ne parle pas, on cherche à obtenir une consultation chez l’orthophoniste. Idem quand un enfant de 18 mois ne comprend pas ce qu’on lui dit, en l’absence de problème d’audition.
Un enfant qui n’entre pas en communication, ne regarde pas, n’est pas dans l’échange avec l’autre, nécessite aussi d’être examiné par un spécialiste.
Plus le trouble, si trouble il y a, est pris tôt, mieux c’est. Le problème va finalement être dans la possibilité d’obtenir un rendez-vous. Les listes d’attente sont pleines, faute d’un nombre suffisant d’orthophonistes en France, par rapport aux besoins de la population.
Néanmoins, pour certaines difficultés, comme le bégaiement, les orthophonistes spécialisés ont généralement des créneaux réservés.
Par contre, pour une articulation qui n’est pas parfaite, il n’y a pas d’urgence jusqu’à 6 ans. C’est plus au-delà qu’il faudra éventuellement intervenir.
Précisons également que lorsqu’un enfant prononce mal un mot, évitons de le faire répéter. Par contre, à nous en tant qu’adulte de prononcer une nouvelle fois correctement le mot. Avec les très jeunes enfants qui ont encore des déformations articulatoires, c’est parfois très mignon. On a alors tendance à répéter avec la même forme que l’enfant. Il est préférable d’éviter et de lui donner la bonne prononciation.
Doit-on stimuler le langage chez l’enfant ?
« Plus que stimuler le langage de son enfant, c’est communiquer avec lui qui est important dans un premier temps », explique Léa Hélias.
Proposer un bain de langage
La communication avec son enfant doit être naturelle. Effectivement, il faut lui parler et lui offrir le bain du langage. Tout ce langage qu’on apporte à l’enfant va lui permettre par la suite de communiquer.
Les parents peu bavards peuvent avoir l’impression de ne pas savoir que dire à leur bébé. Ils se sentent démunis. Il faut avoir en tête que pour connecter avec son enfant, il a besoin qu’on lui parle, qu’on échange avec lui. Comment ? En s’adressant à lui pendant les moments simples de la vie, un biberon, un changement de couche et en lui décrivant ce qu’on est en train de faire.
L’idée, c’est de s'adapter au stade de développement de l'enfant pour l'aider à avancer dans ses progrès langagiers.
Avec un bébé qui ne dit pas encore ses premiers mots, on évite de le noyer au quotidien de phrases trop longues et pas forcément adaptées : « viens, je vais te changer ta couche, je vais enlever ton body, puis… ». On préfèrera : « viens, on va changer ta couche » et on lui montre la couche pour que ça ait du sens pour lui. On peut alors faire une pause, enlever le body. Et à ce moment-là, on va dire les choses. Le bébé va pourvoir se saisir de phrases courtes. Pour construire son langage, il va devoir d’abord comprendre les mots, les associer potentiellement à un objet ou à un événement, ou à un lieu.
Utiliser les vrais mots et les bons mots
Par contre, adapter son langage ne signifie pas « parler bébé ».
Mettre en place de bonnes conditions pour une bonne stimulation langagière, c’est :
réguler son flux langagier à l’enfant en ralentissant le langage ;
utiliser des phrases courtes.
Mais utiliser les mauvais mots, parce qu’on pense que c’est plus simple, n’est pas une bonne option.
Dire un miaou au lieu d’un chat, un tutu au lieu de la tétine va le desservir. Si on qualifie tout le temps la vache de meuh, cela devient une réalité pour lui. Et quand on décide qu’il est suffisamment grand pour appeler cet animal une vache, on va finalement lui demander de réorganiser ce qu’il a compris, puisque pour lui, c’était une « meuh ». C’est important d’utiliser les vrais mots. Les enfants sont totalement en mesure de les comprendre.
Par ailleurs, pour enrayer les difficultés de lecture que rencontrent 40% des élèves à leur entrée en sixième, une des actions à avoir concerne le vocabulaire qu’on donne aux enfants dès leur plus jeune âge. Pour Léa Hélias, plus on va accompagner l’enfant, lui donner les bons mots, les mots justes et précis, plus cela se transfèrera à l’adolescence. Le langage de notre enfant vient se nourrir de tout ce qu’apportent les adultes de son environnement familial, scolaire, périscolaire, etc.
C’est d’ailleurs ce qu’explique Bertrand Périer dans l’épisode et l’article sur Prendre la parole en public chez les jeunes.
Rappelons que Maria Montessori insistait sur l’importance d’avoir un vocabulaire précis. Si l’on montre un oiseau, autant dire son vrai nom, parce qu’un moineau, ce n’est pas un rouge-gorge, même si les deux appartiennent à la classe des oiseaux. C’est cette précision dans les mots qui va faire que les enfants auront un langage riche et bien construit.
Comment stimuler ce langage ? : exemples d’activités langagières
Léa Hélias pécise qu’il n’y a aucune obligation de faire des activités avec son enfant. Les réseaux peuvent avoir tendance à mettre une pression telle que finalement, cela va figer les parents. Ils vont culpabiliser de ne pas en faire assez, avoir l’impression d’être de mauvais parents. Ce n’est pas parce qu’on ne fait pas d’activités qu’on ne fait rien. Certains parents préfèrent cuisiner, jardiner, se promener avec leurs enfants plutôt que de leur proposer un atelier de manipulation, de langage, de mathématiques.
Par ailleurs, il faut avoir en tête qu’on peut faire plein de choses avec peu. L’esthétisme n’est pas le plus important quand on partage une activité avec son enfant.
Enfin, avant de stimuler le langage, la priorité, nous venons de le voir, c’est de plonger l’enfant dans un bain de langage adapté et juste.
Pour les tout-petits, Léa recommande les comptines signées, pour un moment de complicité qui vient nourrir le développement langagier.
Écoutez l'épisode avec Marie Cao, alias Little Bun Bao
sur Communiquer avec son bébé grâce à la langue des signes.
Pour les enfants qui commencent à prononcer leurs premiers mots, on peut proposer des paniers et plateaux sensoriels issus de la pédagogie Montessori, dans lesquels on glisse des objets du quotidien (tétine, doudou, couche, cuillère, brosse, etc.). On va pouvoir amener le vocabulaire à l’enfant, et agrandir son stock de mots.
Pour celles et ceux qui commencent à combiner les mots, on peut opter pour le bac sensoriel dans lequel on met du sable ou de l’herbe, des feuilles. On ajoute des voitures, des figurines animaux, etc. On laisse un temps de manipulation libre et quand l’enfant manifeste par le regard par exemple, son envie de partager, on peut manipuler avec lui et amener le langage.
Pour les plus grands, Léa Hélias suggère le dessin avec notamment l’idée de tracer la silhouette des participants (enfants, adultes) sur une grande feuille, puis décorer, évoquer les différences de taille, etc.
Vous souhaitez connaître l’avis de Léa sur les différents types d’albums jeunesse et les gros mots dans la bouche des parents ?
Écoutez l’intégralité de l’épisode grâce aux liens ci-dessous !
Référence :
50 activités ludiques autour du langage, Léa Hélias, Courrier du livre, 2023
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