Éduquer sans s’épuiser, méthode Alan Kazdin, avec Marie Chetrit #174
Autrice d’un ouvrage sur l’éducation positive, Marie Chetrit a préfacé le livre, traduit en français, d’Alan Kazdin, Éduquer sans s’épuiser. Ce professeur en psychologie de l’enfant et en éducation livre les outils qui permettent une éducation positive tout en posant des limites. Cette méthode, dite ABC en anglais, est axée sur le renforcement positif. On vous en dit plus dans cet article issu de l’épisode du podcast.
Qui est Alan Kazdin ?
Des essais avec des enfants porteurs de troubles comportementaux sévères…
Alan Kazdin est une figure éminente dans le domaine de la psychologie de l'enfant et de l'éducation. Il dirige le centre parental de l'Université Yale aux États-Unis. Il a plus de trente ans de recherche derrière lui. Il a consacré sa vie professionnelle à l'étude et à l'amélioration des techniques d'éducation et de thérapie comportementale et cognitive. Il est co-auteur de plus de 750 publications scientifiques et a écrit une cinquantaine de livres.
Kazdin a initialement travaillé avec des enfants présentant des handicaps ou des problèmes comportementaux sévères, souvent issus de milieux socialement défavorisés. Il a développé sa méthode en observant et en interagissant avec ces enfants, notamment ceux qui manifestaient des comportements perturbateurs comme se tenir debout sur les tables. En utilisant des techniques de renforcement positif, il a réussi à améliorer de manière significative le comportement de ces enfants.
…à la sensibilisation des parents pour améliorer leurs relations avec leurs enfants
En fondant le centre parental de Yale, Kazdin a pu mener ses premières études contrôlées et randomisées, tout en formant les parents. Il a élargi le champ d'application de sa méthode à des situations plus générales, rencontrées par de nombreuses familles. Dans la méthode Kazdin, ce sont les parents qui sont formés, afin qu’ils puissent eux-mêmes agir sur le comportement de leurs enfants et éduquer sans s’épuiser.
Cette expansion a permis de démontrer l'universalité et l'adaptabilité de son approche. Chez 80% des enfants, ses essais cliniques ont montré des résultats efficaces, tels que :
l’amélioration de la fréquence des bons comportements chez les enfants ;
un maintien durable de ces améliorations ;
une réduction du stress parental.
Ces résultats ont été si convaincants que la méthode a attiré l'attention de familles ne rencontrant pas nécessairement de problématiques spécifiques. Ces parents cherchaient avant tout à améliorer la dynamique relationnelle avec leurs enfants et à limiter les conflits du quotidien comme : le brossage de dents, le fait de manger des légumes, le coucher, etc. Il a commencé à recevoir ces familles pour leur montrer quels étaient les leviers d’action parentaux pour induire des comportements positifs chez leurs enfants.
Un cours en ligne gratuit sur la méthode Kazdin est disponible en plusieurs langues sur Coursera. Vous pouvez ainsi visionner une version sous-titrée en français de cette formation, l’ABC de l’éducation des enfants, au cours de laquelle est présentée sa méthode.
Fondements de la méthode Alan Kazdin pour éduquer sans s’épuiser
La méthode éducative développée par le docteur Alan Kazdin provient des thérapies comportementales cognitives. L’objectif de ce type de thérapie est de remplacer un comportement gênant pour le patient par un comportement souhaité. Les TCC ont notamment fait leur preuve pour traiter les phobies, les troubles anxieux ou obsessionnels compulsifs. Initialement, le but d’Alan Kazdin était d’apporter des solutions aux enfants très agressifs, opposants, voire violents.
Par la suite, cela lui a permis de donner aux parents des outils afin de les aider à changer efficacement les comportements de leurs enfants. Cette méthode s’appuie sur trois catégories de levier d’action. Les éducateurs vont notamment pouvoir jouer sur :
les Antécédents en créant un contexte favorable au bon comportement de l’enfant ;
les Comportements en cherchant comment induire ces bons comportements, puis les renforcer positivement ;
les Conséquences des comportements, qui peuvent être positives ou négatives.
Cette méthode est connue sous l'acronyme ABC, pour Antecedents, Behaviors et Consequences. Cela donne ACC en français.
Agir sur les antécédents
Les antécédents concernent tout ce qui précède un comportement. Kazdin souligne l'importance de créer un environnement et des conditions favorables pour encourager des comportements positifs chez les enfants.
Marie Chetrit explique, qu’assez souvent, en tant que parent, on sous-estime l'impact de notre attitude générale, de notre ton de voix, de la tension qui peut se trouver dans nos paroles et l'impact de l'ambiance générale. Les enfants sont extrêmement sensibles à ça et à l’expression du stress parental.
Ainsi, quand on fait une demande à un enfant, il est préférable :
d’avoir une voix aimable, de sourire, en disant « s'il te plaît » au début ou à la fin de la phrase, en étant affirmatif et pas interrogatif, afin que l’enfant ne puisse pas répondre oui ou non ;
de formuler des phrases affirmatives, en étant au contact de l’enfant plutôt que de crier des ordres à la volée ;
d’exprimer des demandes claires et spécifiques en les séquençant : habille-toi ; viens prendre ton petit déjeuner ; va te brosser les dents ; mets tes chaussures ; enfile ton manteau…
Voici aussi quelques techniques à tester en fonction du caractère de l’enfant :
Laisser un petit choix à l’enfant pour lui donner une prise sur ce qu’il vit : « tu peux mettre ton blouson ou ton pull, comme tu veux et puis on part à l’école ».
Faire des demandes susceptibles d’être honorées avant de formuler celle qui est importante pour nous : ainsi, plutôt que d’attaquer directement par « viens faire tes devoirs », proposez de faire un câlin et de vous raconter votre journée. Puis, demandez-lui s’il veut une part de gâteau. Généralement, votre enfant sera d’accord pour ce câlin et pour goûter. Vous augmentez ainsi la probabilité pour qu’il ne rechigne pas à faire ses devoirs.
Proposer un petit défi du style : « Je parie que tu n’es pas capable de te mettre en pyjama et de te brosser les dents en 5 minutes ! ».
Apprendre et renforcer les comportements positifs
Le biais de négativité fait qu’on a plutôt tendance à repérer et se focaliser sur ce qui ne va pas, plutôt que sur ce qui est positif. Or, sur le plan éducatif, faire remarquer, qui plus est très régulièrement, ce qui est mal fait, n’a pas d’intérêt : cela n’apprend rien à l’enfant, qui en plus se décourage.
Alan Kazdin invite les parents à se concentrer sur les bons comportements, à les rapporter à son enfant, pour l’encourager et ainsi augmenter leur fréquence. Les parents vont ainsi pouvoir façonner le bon comportement, c’est-à-dire accroître sa survenue. Par exemple, si un enfant fait ses devoirs, mais s’arrête au bout de trois minutes, alors qu’il faut qu’il y passe entre 15 et 30 minutes, on va y aller progressivement. 5 minutes avec un parent à côté de lui, puis 10 minutes. On augmente peu à peu la durée, puis petit à petit, le parent se retire pour favoriser l’autonomie. L’enfant conserve l’habitude acquise.
Kazdin incite aussi les parents à avoir une optique d’efficacité éducative plutôt que de justice et de morale. Souvent, on est tenté de punir pour faire comprendre à l’enfant l’importance de sa faute ou parce qu’il a embêté ses frères et sœurs, etc.
Généralement, on sait ce qu’on ne veut pas que son enfant fasse : se disputer avec son frère, manger avec ses mains ; etc. Pour être efficace, il faut identifier le comportement opposé positif. On doit pouvoir dire à l’enfant par quoi il doit remplacer le comportement dont on ne veut plus.
Pour apprendre de nouveaux comportements, il est donc possible :
de le décomposer en étapes : quand on demande à un enfant de ranger sa chambre, il ne sait fréquemment pas par où commencer. On peut alors le guider, en détaillant les étapes : « Range les livres dans la bibliothèque. Maintenant, tu peux ranger les Playmobil dans leur bac. C’est au tour de tes vêtements sales, mets-les dans le panier ».
de faire des jeux de rôle : comme le jeu de la colère pour apprendre à l’enfant à modérer son comportement lorsqu’il est en crise.
de l’atteindre grâce à la méthode des petits pas comme vu avec les devoirs ci-dessus.
Offrir des conséquences immédiates
Les conséquences sont les réactions qui suivent un comportement. La méthode Kazdin accorde une importance particulière aux conséquences positives, comme la louange spéciale et le renforcement positif.
La louange spéciale et les renforçateurs positifs
La louange spéciale est l’outil emblématique de la méthode Kazdin. Cette félicitation n’est pas juste un « bravo ! ».
Ce sont des félicitations effusives, qui impliquent un toucher physique : on fait un câlin à l’enfant ou on l’embrasse. Les jeunes enfants sont notamment très sensibles à ce côté affectueux. Ces félicitations doivent être immédiates, surtout pas différées dans le temps.
La louange spéciale est donc une félicitation effusive, immédiate, précise et accompagnée d’un geste physique.
On peut également utiliser des tableaux à points qui viennent en support de la félicitation. Ils ne la remplacent pas, ils la renforcent.
Les conséquences aversives
Bien sûr, qui dit conséquences positives, dit conséquences négatives, ou plutôt aversives. L’idée, c’est qu’elles dissuadent l’enfant de recommencer le mauvais comportement.
La sanction doit venir vraiment en dernier recours. En effet, la punition n’est en rien efficace, dans le sens où elle n’enseigne pas le bon comportement. Elle montre juste quel est le mauvais comportement. Outre le fait que les violences physiques sont interdites par la loi, il faut bien comprendre que les gifles et les fessées rendent l’enfant agressif. Il faut arrêter de croire que parce qu’un enfant pleure, la punition est efficace.
Le danger également de la sanction, c’est que l’adulte s’habitue. Il punit de plus en plus fréquemment, et donc de plus en plus fort. Il entre dans un cercle vicieux. Et l’enfant de son côté s’habitue à la punition.
Dans la méthode Kazdin, les punitions sont très légères, très brèves. En effet, ce qui est efficace si l’on doit en venir à la sanction, ce sont les premières minutes de la punition. Cette dernière peut se manifester par un regard d’avertissement. Par contre, « je compte jusqu’à 3 » n’est guère efficace, ni les réprimandes.
Alan Kazdin privilégie, en cas de sanction, le retrait d’événements positifs.
C’est par exemple le time-out, mais pas celui où on envoie l’enfant dans sa chambre. Plutôt celui où l’on se retire de la présence de l’enfant, notamment lorsque l’on constate qu’en restant à côté de lui, on ne fait que renforcer sa colère. Pendant quelques minutes, on ne regarde pas l’enfant, on l’ignore, on ne fait aucun geste, on ne lui prête plus d’attention. Ce retrait d’attention suffit souvent à atténuer son comportement et on peut alors parler.
C’est aussi le retrait de privilège, qui peut fonctionner si la punition est mesurée, réaliste, courte : « aujourd’hui, tu n’auras pas le droit de regarder les dessins animés ».
Bien sûr, cet outil n’intervient jamais en première intention. C’est le dernier recours, lorsque l’enfant a transgressé plusieurs fois et que les étapes précédentes d’apprentissage et de renforcement du comportement n’ont pas fonctionné.
L’absence de conséquences a aussi un effet non négligeable sur l’enfant. On ignore, on est indifférent, on ne réagit pas.
Parentalité positive vs parentalité bienveillante
L’éducation positive anglo-saxonne : cap sur les résultats
Dans le monde anglo-saxon, la parentalité positive est décrite dans les programmes parentaux dits Triple P (Positive Parenting Program). L’objectif, c’est d’avoir de bonnes relations avec son enfant. Ce type de programme se décompose en 3 niveaux :
encourager les comportements positifs à l’aide de renforçateurs ;
apprendre de nouveaux comportements à son enfant à l’aide d’un cadre éducatif ;
gérer les comportements négatifs, en sanctionnant éventuellement si les étapes précédentes n’ont pas fonctionné.
Le but, c’est vraiment d’obtenir un résultat. Pas de philosopher sur le pourquoi du comment. Si l’on se pose des questions, ce sera plutôt autour de :
ce qui va favoriser la survenue de tel comportement ;
ce qui va le renforcer ;
ce que l’on va pouvoir faire pour atténuer, voire éteindre, un comportement négatif.
La méthode Kazdin s’inscrit pleinement dans cette parentalité positive :
elle est pragmatique ;
elle se veut efficace ;
elle cherche à atteindre un résultat.
C’est une éducation positive qui prend en compte la famille. Elle vise une vie familiale harmonieuse, tant pour les enfants que pour les parents.
L’éducation bienveillante à la française : place aux émotions
La parentalité bienveillante telle que majoritairement véhiculée dans les médias français s’appuie sur l’écoute des émotions et la compréhension des raisons qui mènent l’enfant à adopter telle attitude plutôt qu’une autre.
Un des gros écueils de cette vision d’après Marie Chetrit, c’est qu’elle est totalement centrée sur l’enfant et pas du tout sur la famille. Et ces émotions peuvent devenir très envahissantes.
Schématiquement, l’éducation bienveillante va plutôt chercher à adapter l’environnement à l’enfant pour qu’il ne soit pas trop confronté à des émotions désagréables. La parentalité positive telle que la conçoit Kazdin, c’est plus d’apprendre à l’enfant à s’adapter progressivement à son environnement.
Renforçateur vs récompense
Une récompense est quelque chose qui est identifiée par l’enfant comme lui faisant plaisir : aller faire un tour de manège, acheter des bonbons, un petit jouet, manger une crêpe, etc.
Le renforçateur de comportement n’est pas ressenti par l’enfant comme quelque chose qu’il aime ou qui lui fait plaisir. Il n’est pas conscient que cette main sur l’épaule pour le féliciter va renforcer ce bon comportement qu’il a eu. Et pourtant, cela permet justement de l’ancrer efficacement.
Certaines récompenses peuvent être des renforçateurs, mais pas toutes. Et ce n’est pas forcément réciproque.
Si on a choisi un bon renforçateur, quand on l’arrête, le comportement est maintenu.
Par contre, quand on arrête une récompense, rien ne dit que le bon comportement va tenir.
C’est d’ailleurs pourquoi Kazdin met en garde contre les récompenses matérielles. Si on utilise un tableau à points, il vaut mieux éviter de promettre un petit jouet ou une pochette de cartes Pokémon contre l’obtention de 10 points. On ouvre la porte au marchandage. Il est préférable de proposer des privilèges, comme la possibilité d’éteindre 15 minutes plus tard ou d’avoir une deuxième histoire pour le rituel du coucher.
La louange spéciale, l’attention, l’affection sont plus efficaces que ces récompenses matérielles.
Marie Chetrit a adopté cette méthode pour favoriser l’autonomie de ses enfants. Elle l’active dès que nécessaire pour façonner les comportements attendus. Elle fait également attention à son expression générale, à son attitude. Elle apprécie l’efficacité de cette méthode à long terme et la réduction du stress parental grâce à l’instauration de relations plus harmonieuses.
Références :
Éduquer sans s’épuiser, les outils pour une éducation positive qui pose des limites, Alan Kazdin, préface de Marie Chetrit et Franck Ramus, Solar, 2023
Éducation positive : une question d’équilibre ? Démêler le vrai du faux de la parentalité bienveillante, Marie Chetrit, Solar, 2021
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