Les joies de l’enseignement en éducation prioritaire avec Myriam Meyer #224

Enseigner en éducation prioritaire est une mission exigeante, à la fois passionnante et éprouvante. Ces établissements, situés dans des zones où les élèves rencontrent davantage de difficultés sociales et scolaires, visent à réduire les inégalités grâce à des moyens renforcés et une pédagogie adaptée. Pourtant, malgré ces dispositifs, les enseignants doivent faire face à des conditions de travail complexes et à un manque de reconnaissance.

Dans cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Myriam Meyer, professeure de lettres classiques, partage son expérience de six années en REP. À travers son livre Wesh Madame, elle dresse un portrait sincère et contrasté de ces établissements, entre défis quotidiens et moments de joie intense.

Cet article revient sur les réalités du métier en éducation prioritaire : conditions de travail des enseignants, statut des professeurs, relation aux élèves et méthodes pédagogiques. À travers le témoignage de Myriam Meyer, nous explorons aussi l’importance de l’humour et de l’autorité en classe, ainsi que la place du lien humain dans l’apprentissage.

Enseigner en éducation prioritaire : entre passion et défis

Pourquoi choisir d’enseigner en éducation prioritaire ? Pour Myriam Meyer, la réponse ne tenait pas à une vocation précoce, mais à une révélation sur le terrain. Issue d’une famille d’enseignants, elle s’était d’abord tournée vers le théâtre avant d’accepter un premier remplacement en tant que professeure de lettres. C’est au contact des élèves qu’elle a compris que sa place était en classe, notamment en REP, où son engagement a pris tout son sens.

« Ils m'ont appris à être enseignante, en fait. Dans leurs besoins, comme je l'écris dans le livre, dans leurs besoins, dans leurs carences, j'ai vu tout ce que je pouvais faire pour eux. Dans leur gratitude, dans leurs échecs, dans leurs victoires, tout ça m'a formée humainement et pédagogiquement avec une rapidité et une force absolument incroyable », témoigne Myriam Meyer.

Cela rejoint ce que Sophie Marinopoulos avait expliqué au micro du podcast et dans son livre Ce que les enfants nous enseignent, à savoir que les enfants sont en réalité nos plus grands maîtres et nous donnent à vivre des leçons de vie.

Plus qu’un métier, enseigner en éducation prioritaire est une véritable mission. Face aux défis sociaux et scolaires de ces établissements, les enseignants jouent un rôle central, bien au-delà de la transmission des savoirs. Ils doivent composer avec des classes hétérogènes, où cohabitent des élèves brillants et d’autres en grande difficulté.

« Dans la même classe, je pouvais avoir les petites filles modèles à côté de Voldemort. J'avais des élèves, garçons et filles, qui étaient des chefs-d'oeuvre de gentillesse, de subtilité, d'éducation, de courtoisie, d'humour », partage Myriam Meyer.

Le travail des professeurs ne se limite pas aux cours : ils apportent aussi un cadre, un accompagnement et parfois même une forme de soutien moral à des jeunes en manque de repères.

Si les réalités du terrain sont souvent rudes, l’éducation prioritaire réserve aussi de belles surprises. Comme le souligne Myriam Meyer, ces élèves, souvent perçus à travers le prisme des difficultés scolaires et disciplinaires, se révèlent enthousiastes, curieux et profondément attachants. Ils ne demandent qu’à être accompagnés avec exigence et bienveillance pour exploiter leur potentiel.

« La bonté, l'enthousiasme, la générosité, l'émerveillement qu'ils m'ont apporté, ça a d'abord été, quand j'ai vu tout simplement comment ils se saisissaient des outils que je leur tendais, quand j'ai vu des transformations absolument fascinantes », explique Myriam Meyer.

Enseignant·es, des conditions de travail de plus en plus éprouvantes

Longtemps perçu comme un métier noble et respecté, le statut des enseignants s’est profondément dégradé ces dernières années. En éducation prioritaire, cette réalité est encore plus marquée. Myriam Meyer, comme de nombreux enseignants en REP, a été confrontée à des conditions de travail difficiles, bien éloignées de l’image idéalisée de l’enseignement. Parmi les illustrations de la double réalité vécue et de ses extrêmes, Myriam Meyer donne l'exemple suivant :

« Vous avez des parents qui peuvent être extrêmement difficiles, très consommateurs, qui se mettent dans une position de puissance par rapport à vous. Et puis, vous avez des parents qui sont pleins de gratitude, très à l'écoute, qui ont un désir de voir réussir leur enfant qui est très fort », explique Myriam Meyer.

Professeur, un métier autrefois valorisé, aujourd’hui en crise

Autrefois considérés comme des figures centrales de la société, les professeurs font face à un désintérêt croissant pour leur profession. Recrutement en berne, hausse des démissions, manque de moyens : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ce désengagement s’explique en partie par la perte de reconnaissance sociale, renforcée par le phénomène du prof bashing, qui met en avant des critiques systématiques au détriment d’un regard objectif sur la réalité du métier.

Pourtant, « les collègues ont besoin qu'on montre la beauté de ce travail, la beauté de leur engagement et qu'on arrête d'être dans ce prof bashing permanent », relaie Myriam Meyer.

Une reconnaissance absente : quand l’engagement n’est plus récompensé

Enseigner en éducation prioritaire, c'est souvent être en première ligne face aux difficultés scolaires et sociales, sans pour autant bénéficier d’un réel soutien. Les efforts des équipes pédagogiques pour accompagner les élèves, les aider à apprendre et maintenir un cadre structurant passent trop souvent inaperçus. Myriam Meyer évoque le poids émotionnel et la charge mentale que ce manque de reconnaissance entraîne. Quand les enseignants ne sont plus soutenus ni par l’institution ni par l’opinion publique, leur engagement s’épuise.

« Ça me désespère parce que c'est un métier superbe et que si on l'estimait à sa juste valeur, je crois que beaucoup de choses pourraient changer, y compris l’avenir des élèves », estime-t-elle.

Éducation nationale : des points critiques à améliorer en urgence

Myriam Meyer mentionne plusieurs aspects du métier qui nécessiteraient une réforme profonde :

  • La rémunération est insuffisante : les salaires restent en décalage avec les exigences du métier et la charge de travail.

  • La formation initiale est inadaptée : les enseignants sont souvent livrés à eux-mêmes, avec peu de préparation aux réalités du terrain. « Les formations sont tellement, mais tellement déconnectées du terrain », témoigne Myriam Meyer.

« Les formations que j'ai eues m'ont surtout fait perdre beaucoup de temps. Je n'ai jamais eu, on ne nous a jamais mis sous la dent, par exemple, un pédopsychiatre pour nous expliquer la psychologie de l'adolescent (idem côté jeune enfant NDLR). C'est quand même important quand 90% de notre travail, c'est ça. Des cours de théâtre pour apprendre à poser sa voix, pour apprendre à se mouvoir, pour apprendre à économiser aussi ses cordes vocales. C'est un métier qui les met à rude épreuve ».

  • La prise en charge médicale est quasi inexistante : absence de médecine du travail, mutuelle peu avantageuse, jours de carence... Rien n’est fait pour protéger la santé du personnel enseignant.

  • Le système d’affectation est inégalitaire : les enseignants débutants se retrouvent souvent envoyés en éducation prioritaire sans accompagnement.

  • Les examens sont dévalorisés : brevet et bac n’ont plus la même exigence qu’auparavant. Ils donnent parfois aux élèves une fausse impression de niveau.

Faut-il aimer ses élèves pour bien enseigner ?

Par ailleurs, l’enseignement ne se résume pas à la transmission d’un programme. Il repose avant tout sur une relation humaine. Mais jusqu’où doit aller l’implication affective d’un professeur ? Pour certains, l’enseignement doit rester neutre et purement académique. Quand on est enseignant débutant, il n'est pas rare de s'entendre dire qu'un professeur n'a pas à aimé ses élèves (ni être aimé par eux d'ailleurs). Pour d’autres, comme Myriam Meyer, aimer ses élèves n’a rien d’incompatible avec l’exigence.

L’amour en pédagogie : une notion mal comprise

Parler d’amour dans l’enseignement peut prêter à confusion. Pourtant, Myriam Meyer l’explique bien : aimer ses élèves, ce n’est ni du favoritisme, ni du laxisme. C’est vouloir leur bien, croire en eux et leur donner les clés pour se dépasser. C’est aussi être exigeant, car poser un cadre structurant est une preuve de respect. Un professeur qui n’attend rien de ses élèves ne leur rend pas service.

« Quand on aime, on veut le bien de l'autre. On pourrait trouver comme synonyme la bienveillance. Et vouloir le bien de l'autre, c'est vouloir ce qu'il y a de mieux. Et vouloir ce qu'il y a de mieux, quelquefois, c'est de le faire suer ».

Ainsi,

« aimer quelqu'un, c'est aussi le tanner pour qu'il apprenne,
pour qu'il dépasse ses appréhensions,
pour qu'il travaille,
pour qu'il n'ait pas peur de se dépasser,
pour qu'il n'ait pas peur d'aborder des sujets qui lui semblent un peu étrangers.
C'est d'abord ça, l'amour », précise-t-elle.

Bienveillance et exigence : un équilibre essentiel

En REP, où les élèves peuvent manquer de repères éducatifs solides, l’exigence est un marqueur de considération. Un enseignant qui fixe des attentes élevées envoie un message fort : Je crois en toi, je sais que tu peux réussir.

« C'est ce qui m'effraie moi le plus, c'est que lorsque vous avez du chaos dans la tête, c'est très compliqué de se construire, c'est très compliqué de ne pas se fermer des portes. Or, moi, je crois et je sais que ces élèves-là ont exactement les mêmes capacités que n'importe quel autre élève. Il faut simplement avoir le courage d'être très exigeant et de leur dire que la langue française, c'est une maîtresse très exigeante, mais très fidèle ».

Myriam Meyer a souvent dû secouer ses élèves, les pousser dans leurs retranchements pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cela ne l’a pas empêchée d’avoir un regard empreint de bienveillance et de tendresse sur leur parcours.

Autorité et humour : le duo gagnant en classe

Enseigner, c’est aussi savoir tenir sa classe. Mais comment imposer son autorité sans tomber dans l’autoritarisme ? Comment garder un cadre structurant tout en créant un climat de confiance ? Myriam Meyer a trouvé sa réponse dans une alchimie subtile entre fermeté et humour.

Fermeté et bienveillance : un équilibre essentiel

Dans un environnement comme l’éducation prioritaire, les élèves ont besoin de repères clairs. Un enseignant qui hésite ou qui cherche trop à plaire peut vite perdre le contrôle de sa classe. Poser un cadre ferme dès le début de l’année est essentiel pour instaurer un climat de respect et de travail. Mais fermeté ne signifie pas rigidité. Selon Myriam Meyer, il est possible d’être exigeant tout en restant bienveillant, en montrant aux élèves que l’on croit en eux.

« C'est-à-dire que je pense que si j'avais été juste dans une autorité très sèche, très dure, très tristoune, ça n'aurait pas fonctionné. Et si j'avais été juste dans l'humour, croyez-moi, ça aurait été vite la catastrophe parce que les adolescents ont un vrai génie quand ils tiennent un fil comme ça pour transformer 5 minutes d'humour en 1h de one-man-show. C'est une alchimie très subtile qu'il faut essayer de maîtriser le mieux possible », précise-t-elle.

L’humour, un outil puissant pour capter l’attention

Face à des élèves parfois réfractaires ou peu motivés, l’humour peut devenir une véritable arme pédagogique. Une remarque bien placée peut détendre l’atmosphère et renforcer la relation professeur-élèves. C’est aussi un moyen efficace de capter l’attention, notamment lors de cours perçus comme difficiles ou rébarbatifs. Myriam Meyer, passionnée de littérature, l’a souvent utilisé pour rendre le français, le latin et le grec plus accessibles.

« L'humour, c'est un petit peu mon mode de fonctionnement. Je pense que ça m'a aidée aussi dans les différentes épreuves de ma vie. Et j'ai réalisé à quel point ils (les élèves) respectaient ça. À quel point, ça vous posait de faire la petite blague qui faisait rire tout le monde, qui créait une cohésion, dans des établissements où il peut y avoir quelquefois des rapports, enfin beaucoup d'antagonisme : ça entraîne une vraie légèreté.  On sait aussi aujourd'hui que la bonne humeur crée une meilleure mémorisation, par exemple. Et Dieu sait qu'il faut de la bonne humeur quand vous attaquez le subjonctif imparfait ou l'accord du participe passé ».

Toutefois, l’humour en classe doit être manié avec précaution. Il ne doit jamais humilier un élève ni décrédibiliser l’enseignant. Trop d’humour peut aussi conduire à des débordements. Trouver la juste mesure entre légèreté et autorité est un exercice délicat.

« C'est-à-dire qu'il faut avoir des garde-fous parce que, d'abord, les adolescents sont très susceptibles. Ils peuvent être aussi très sensibles [...] La classe peut rire et on peut se sentir être l'objet de dérision. Donc il faut faire très attention à ça. Il faut qu'il y ait beaucoup de tendresse aussi dans le regard, dans l'attitude. Je pense que c'est vraiment le point névralgique quand on est drôle, c'est de faire très attention à ça avec des enfants et des adolescents ».

Autorité et autoritarisme : deux notions à ne pas confondre

L’un des écueils les plus fréquents en début de carrière est de confondre autorité et autoritarisme, une question abordée avec Isabelle Filliozat dans l'épisode sur comment éduquer sans violence ni laxisme. Imposer le respect ne signifie pas intimider ou écraser les élèves. Une autorité bien posée repose sur la cohérence et la constance : appliquer les mêmes règles à tous, sans excès de sévérité ni favoritisme.

Un enseignant trop autoritaire risque de créer un climat de défiance, où les élèves obéissent par peur plutôt que par conviction. À l’inverse, un enseignant trop laxiste se retrouvera vite dépassé par le groupe. L’objectif est donc de trouver une posture équilibrée, où l’enseignant incarne à la fois une figure d’appui et un cadre structurant.

« J'ai eu la chance d'avoir en face de moi, quand j'étais moi-même élève, des enseignants qui assumaient leur autorité. Pas leur autoritarisme, leur autorité. Et j'ai vu à quel point c'était structurant et reposant et rassurant. Et je pense que les adolescents, aujourd'hui, ont encore plus besoin d'être rassurés. Et de sentir qu'ils peuvent, quand tout s'effrite autour d'eux, qu'ils peuvent s'appuyer sur des adultes responsables ».

Enseigner en éducation prioritaire : défis, réalité et bonheurs

©Tima Miroshnichenko

L’enthousiasme des élèves : un moteur à cultiver

En éducation prioritaire, les difficultés scolaires et sociales sont bien réelles. Pourtant, Myriam Meyer insiste sur un aspect souvent oublié : l’enthousiasme et la générosité des élèves. Loin de l’image négative qui leur est parfois associée, ces jeunes font preuve d’une énergie débordante, d’un humour rafraîchissant et d’une capacité d’émerveillement intacte.

Cet enthousiasme, s’il est bien accompagné, devient un levier puissant pour la réussite scolaire. Lorsqu’un enseignant parvient à le canaliser, il transforme la curiosité naturelle des élèves en moteur d’apprentissage. C’est ce qui s’est produit lors du voyage à Rome organisé par Myriam Meyer : en découvrant sur place ce qu’ils avaient étudié en classe, ses élèves ont ressenti de la joie, de l'émerveillement. Les langues, que l'on qualifie de mortes, prenaient vie.

« Le latin et le grec sont bien vivants. Ils sont vivants dans notre langue, dans nos mémoires, dans notre médecine, dans notre droit, dans notre théâtre, dans notre cinéma [...] Les emmener à Rome me paraissait naturel puisque ça leur permettait de toucher, vraiment, d'admirer, de sentir, de déambuler dans cette culture qu'ils avaient commencé de découvrir et d'apprendre », explique-t-elle.

Si Myriam Meyer a dû organiser ce voyage scolaire, un peu contrainte et forcée, elle le ressent un peu comme un sacrifice d'amour (parce que oui, un tel projet requiert beaucoup de sacrifices, de nuits blanches, de responsabilité, de charge mentale...) : 

« Je pense que ce sont des élèves qui avaient particulièrement besoin de se sentir aimés en vérité ».

Mais elle sait aussi que ce voyage leur a laissé des souvenirs extrêmement forts et irremplaçables. 


Enseigner en éducation prioritaire est un défi de chaque instant, marqué par des conditions de travail exigeantes et un manque de reconnaissance. Pourtant, il est aussi une aventure humaine intense, où les enseignants jouent un rôle déterminant dans le parcours de leurs élèves.

À travers son témoignage, Myriam Meyer nous rappelle que ce métier ne se limite pas à transmettre un savoir. Il s’agit aussi de créer un cadre où les élèves se sentent encouragés, poussés à donner le meilleur d’eux-mêmes. L’humour, l’autorité bienveillante et l’exigence sont autant de clés pour y parvenir.

Mais pour que l’éducation prioritaire remplisse pleinement sa mission, encore faut-il que les enseignants soient mieux soutenus et valorisés. Améliorer leurs conditions de travail, leur formation et leur reconnaissance est un enjeu majeur pour l’avenir du système éducatif français.

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