Préserver l’enthousiasme de l’enfance avec André Stern #211

L'enthousiasme de l'enfant, cette énergie vive et spontanée qu’il a en lui, est un trait fondamental de l'enfance. Porté par une curiosité naturelle, l'enfant s’enthousiasme autant pour un « petit bout de tissu au sol » que pour un hélicoptère, et cette disposition n’a ni frontière ni hiérarchie. Mais cet enthousiasme, clé de l’épanouissement et de l’apprentissage, tend souvent à s’atténuer en grandissant.

Dans ce nouvel épisode du podcast Les Adultes de Demain, André Stern, auteur et directeur de l’Institut Arno Stern, partage sa vision de l'écologie de l'enfance et présente son livre, Plaidoyer pour l’enfance. Pour lui, préserver l'enthousiasme de l'enfant n’est pas un simple idéal éducatif : c’est un enjeu essentiel pour le futur, un moyen de respecter le potentiel humain dans toute sa diversité. Il déplore en effet que l'adulte moyen, « au bout de son évolution, n'éprouve la même quantité d'enthousiasme que deux à trois fois par an », là où un enfant de 2 à 3 ans vit une « tempête d'enthousiasme toutes les 2 à 3 minutes ».

L’enthousiasme, un moteur essentiel pour le développement de l’enfant

L'enthousiasme de l’enfant est bien plus qu'un simple élan d'excitation : c'est un état naturel et spontané d'énergie et d'engagement, un véritable moteur pour son développement. André Stern le décrit comme un « super-pouvoir », une force qui « nous rend capables de tout devenir, de tout apprendre ». Chez l’enfant, cet enjouement est un état constant, une disposition qui « porte au travers des difficultés, au travers des obstacles, jusqu'à nos buts ».

S’enthousiasmer pour apprendre

Ce dynamisme intérieur a des effets directs sur le cerveau en croissance de l'enfant. L'enthousiasme, en effet, déclenche la sécrétion de « neurotransmetteurs neuroplastiques ». Ce « cocktail » chimique agit alors comme « de l'engrais » pour les zones du cerveau sollicitées par cet élan positif. Ce processus de neuroplasticité permet aux connexions cérébrales de se renforcer et de se développer en fonction des centres d'intérêt naturels de l’enfant.

Dans l'apprentissage, l’enthousiasme agit comme un catalyseur essentiel. Il alimente la curiosité de l’enfant et l’encourage à explorer sans crainte de jugement ou de catégorisation. Ainsi, un enfant peut aussi bien se passionner pour le métier « d'éboueuse que pour celui d'astronaute », sans hiérarchie ni préjugé. Il montre une ouverture d’esprit totale qui se transforme en un véritable moteur d’apprentissage.

S’émerveiller et développer sa confiance en soi

Cet entrain constant permet également à l'enfant de se construire une vision positive et confiante de lui-même et du monde qui l'entoure. L'enfant apprend à découvrir, non seulement les sujets qui l’attirent, mais aussi la satisfaction et le plaisir d’apprendre. C’est un état à la fois d’émerveillement et de plénitude naturelle que les adultes tendent malheureusement à perdre. 

Or, pour André Stern, préserver cet enthousiasme naturel est essentiel :  il représente l'une des forces les plus précieuses pour que l’enfant développe un rapport harmonieux avec lui-même et son environnement.

Comment encourager et préserver l’enthousiasme chez l’enfant ?

L'enthousiasme de l'enfant, bien qu'inné, peut être nourri ou freiné par l'environnement dans lequel il évolue. Pour André Stern, aux parents et éducateurs de créer un cadre qui favorise la spontanéité et laisse l’enfant exprimer librement son élan naturel. Dans l’épisode, il évoque des exemples concrets pour encourager l’enthousiasme de l'enfant, en insistant sur l’importance d’un environnement bienveillant et sans jugement.

L’attachement : lien organique…

Le premier élément fondamental pour soutenir l’enthousiasme de l’enfant est l'attachement et la sécurité émotionnelle. Plus un enfant se sent en sécurité, plus il est libre de suivre ses centres d’intérêt sans craindre le rejet ou la critique. 

Pour André Stern, l’attachement n’est pas une simple théorie, mais une évidence fondamentale, inscrite profondément dans notre nature humaine.

André Stern cite les travaux de Jean-MarieDelassus, inventeur de la maternologie sur les difficultés de relation mère-enfant (Aide-mémoire de la maternologie), et de Gérald Hüther, neurobiologiste allemand, (Tous les enfants sont doués), pour étayer cette réflexion. Ces recherches mettent en lumière la profondeur de ce lien, qui s’inscrit dans ce qu’André Stern appelle une « mémoire organique ». Ce type de mémoire, différent de la mémoire intellectuelle, se forme dès les premières interactions entre l’enfant et son entourage.

« Une des premières prises de conscience de l’enfant, c’est qu’il est relié physiquement à un autre être vivant. Ce lien palpable devient un socle essentiel qui s’inscrit profondément dans sa mémoire émotionnelle ».

Ce lien va au-delà du simple attachement affectif : il génère une croissance physique, émotionnelle et psychique. André Stern illustre cette idée par l’image du fœtus dans le ventre maternel, un petit être capable de danse et de mouvements autonomes, tout en étant totalement relié.

… et socle de l’autonomie

« La deuxième constatation de l’enfant est que ce lien qui l’attache à la vie est aussi celui qui permet sa croissance et son autonomie. Plus je suis attaché, plus je deviens grand et indépendant. »

Contrairement à ce que certains discours sociétaux laissent entendre, ce lien précieux est loin d’entraver l’autonomie : il en est la source même.

« Si tu veux qu’un enfant devienne rapidement et sincèrement autonome, donne-lui un maximum d’attachement ».

En dénonçant l’idée reçue selon laquelle « il faut couper le cordon le plus tôt possible » pour encourager l’indépendance, André Stern rappelle que la nature humaine fonctionne à l’opposé.

« On nous dit que si l’on maintient ce lien, l’enfant restera collé aux jupes de sa mère. Mais en réalité, c’est cet attachement profond qui donne des ailes, qui rend l’enfant libre et confiant ».

André Stern raconte ainsi l’anecdote de son fils Antonin, passionné de sport automobile. Au lieu de décourager cet intérêt, qui allait à l’encontre des préférences familiales, il a choisi de soutenir son fils dans cette voie. Et son fils a osé manifester sa passion, qui allait pourtant à contre des intérêts de ses parents. Tout simplement parce qu’il savait qu’il ne serait pas jugé, rejeté, et que ses choix seraient soutenus. 

André Stern rapporte les propos de son fils : « C'est parce que je suis tellement dans la confiance et tellement dans l'attachement [...] que je sais que je peux faire un choix qui diffère des vôtres sans être critiqué, sans être incité à y renoncer, je me sens libre et fort et légitime et c'est à cause de l'attachement, c'est parce que je me sens lié à vous, que je fais un choix différent du vôtre, pas pour me séparer et me distinguer et me différencier de vous ».

Pour André Stern, l’attachement est ce qui donne à l'enfant « liberté, force et légitimité ». Ce lien précieux le rend capable de se passionner pour ce qui lui plaît réellement.

Soutenir l'enthousiasme de l'enfant suppose aussi de se libérer les contraintes d'une éducation formelle qui tend à imposer des catégories d’apprentissage rigides. La démarche consiste à respecter les intérêts propres de l’enfant, qu’il s’agisse de sa fascination pour les dinosaures ou pour le sport automobile.

André Stern souligne que l’enfant devrait pouvoir « écrire son histoire » sans être obligé de répondre aux attentes ou aux valeurs de son entourage. Cet espace de liberté permet à l’enfant d’explorer un large éventail d’intérêts et d’exprimer sans frein son engouement. Un tel cadre bienveillant renforce son potentiel d’apprentissage.

Pour André Stern, l’attachement est à la fois le socle de la sécurité émotionnelle et le moteur de l’autonomie. Loin d’être un frein, il est une base essentielle pour permettre à l’enfant d’explorer le monde, d’épanouir son enthousiasme et de grandir en toute confiance.

Préserver l'enthousiasme de l'enfance

Pourquoi l’enthousiasme diminue-t-il à l’âge adulte ?

Si l’enthousiasme est naturel chez l’enfant, il tend à se réduire en grandissant. Quand l’enfant est en capacité de s’émerveiller plus de 20 fois par heure, l’adulte ne parvient plus qu’à le faire, avec la même intensité, que 2 ou 3 fois par an. 

Pour André Stern, cette diminution progressive de l’enthousiasme n’est ni biologique ni inévitable. Elle résulte des pressions sociétales et éducatives qui guident l’enfant vers la conformité et la performance. Certes, « il y a une transformation hormonale, mais elle est très progressive et elle a lieu dans un continuum ». Alors que le passage d’une catégorie à une autre est fixé « par notre ordre du monde, soit dit au passage… hautement patriarcal ».

Les « rendez-vous sociétaux » imposés par notre système éducatif sont les premiers à influer sur cette baisse de l’émerveillement à l’âge adulte. Dès la petite enfance, la scolarisation et les attendus sociaux marquent des étapes rigides. On évoque ainsi « l’âge de raison » à sept ans. Emmanuelle Piquet qui invite à s’interroger sur la crise d’adolescence dans le précédent épisode, évoquait, elle aussi, cette construction sociale de catégories

« Et donc, à chaque fois, il y a des articulations sociétales qui te donnent l'impression que tu changes de niveau, un peu comme si dans un jeu d'arcade, tu étais passé au niveau suivant ».

Ces étapes prédéfinies de la vie visent à intégrer socialement l’être humain. Mais elles donnent aussi l'impression de devoir avant tout répondre à des attentes prédéfinies plutôt que d'explorer librement son propre enthousiasme.

« L'adulte est tellement blasé, a tellement renoncé à l'individualité de ses potentiels, parce que tu ne peux pas régler tes enthousiasmes de manière différenciée. Tu ne peux pas, comme sur une table de mixage, monter ton enthousiasme pour les mathématiques et descendre celui pour les dinosaures, parce que toi, naturellement, tu t'enthousiasmes pour les dinosaures, mais on te dit de t'enthousiasmer pour les mathématiques. Et comme tu ne peux pas monter l'un et descendre l'autre, tu ne peux faire qu'une chose, c'est abaisser ton niveau général de capacité à l'enthousiasme ».


André Stern peut constater ce phénomène grâce à son œil d’observateur extérieur et à son parcours de vie dont il a témoigné dans son livre : … Et je ne suis jamais allé à l’école, Histoire d’une enfance heureuse.

« Comme je ne me suis pas séparé de mes parents, comme je n'ai pas eu la fameuse crise de la puberté ou de l'adolescence, comme je n'ai vécu ni Œdipe ni autres promesses maladives émanant de vieux messieurs blancs, tout cela fait que je n'ai vécu aucune de ces étapes, aucun de ces passages et rites de passage et rituels de dressage et autres. J'en conclus que je suis resté à l'état primitif, donc celui d'enfant, donc je suis resté enfant ».

Les étiquettes et la catégorisation : un obstacle à l’enthousiasme et à la créativité

L’étiquetage et la catégorisation imposés dès l’enfance restreignent progressivement la liberté d’enthousiasme de l’enfant. Les étiquettes comme « doué en maths », « pas manuel », « rêveur »… créent des attentes et des jugements qui figent les enfants dans des rôles rigides et réduisent leur polyvalence.

André Stern rejette cette tendance qui pousse à « ranger les gens dans des catégories ». Elle enferme les enfants dans des rôles qui ne leur appartiennent pas. Elle étouffe leur curiosité naturelle. Selon lui, les enfants sont multiples et changeants. En associant un enfant à une catégorie, on réduit son potentiel à un trait unique, figé, qui exige des attentes et restreint son champ d’exploration.

André Stern défend au contraire l'idée que « je est plusieurs » : chaque enfant possède une multitude de facettes qui peuvent s'exprimer en fonction des situations, des rencontres et des circonstances. Lorsqu'un enfant est libre d'explorer toutes ses potentialités sans être réduit à une étiquette, il peut s'enthousiasmer pour divers sujets et évoluer avec plus de souplesse. Cet état de liberté lui permet d'accueillir pleinement la diversité de ses intérêts, des plus inattendus aux plus familiers, et d'explorer chaque passion sans hiérarchie.

Soutenir la flexibilité et l’exploration des enfants demande aux parents et éducateurs de s’affranchir de toute idée figée quant à leurs compétences et intérêts. André Stern invite ainsi les adultes à encourager les enfants à découvrir sans limitation ni jugement, en laissant leur enthousiasme les guider. 

Au cours de l’épisode, André Stern élargit cette réflexion en évoquant la discrimination historique dont souffrent les jeunes d’aujourd’hui. Il cite le livre de Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi, qui démontre à quel point les stéréotypes négatifs sur l’enfance et l’adolescence limitent leur reconnaissance et leur valorisation. André Stern déplore que certains discours actuels nourrissent une défiance envers l’enfance, perpétuant des idées réductrices et excluantes.

Les propos d’André Stern nous rappelle combien il est urgent de repenser notre regard sur l’enfance : non comme une période à surmonter, mais comme un modèle à préserver et à respecter.

Préserver l’enthousiasme de l’enfant, c’est lui offrir la liberté d’explorer ses passions et de développer ses potentiels uniques, sans être limité par des attentes rigides ou des jugements réducteurs.

Et cultiver l’enthousiasme à tous les âges, c’est participer à la création d’un monde plus riche, plus créatif et plus humain. Un mouvement qui ne se fait pas "contre", mais "pour" : pour l’enfant, pour la jeunesse, et pour une vision renouvelée de l’humanité.

Références : 

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