Frères et sœurs sans rivalité avec Héloïse Junier #132
Les relations entre frère et sœur sans rivalité sont l’espoir des parents. Mais ces interactions de fratrie sont un mélange unique de camaraderie et parfois de jalousie et conflit. Au sein de la cellule familiale, les émotions et les dynamiques se rencontrent et peuvent créer à la fois des liens harmonieux et des disputes occasionnelles entre frères et sœurs. Héloïse Junier, psychologue pour enfant, autrice, hôte du compte Instagram, La psy contre-attaque, explique les facteurs constitutifs de la dynamique de fratrie. Elle nous livre quelques conseils pour tendre vers l'harmonie familiale et éviter les conflits dans la fratrie.
5 fondements des relations entre frère et sœur
La fratrie est souvent idéalisée par les parents. Avant même l'arrivée d'un deuxième enfant, ils imaginent des frères et sœurs en train de jouer ensemble, complices. Puis, au deuxième, voire, troisième et quatrième enfant, ils vivent une forme de désillusion. Ils doivent faire le deuil de la fratrie rêvée. Car la réalité les rattrape et les inquiète. L'arrivée d'un membre supplémentaire dans la famille change de fait les relations, les interactions, qu’il s’agisse d’une fratrie de sœurs, de garçons ou mixtes. Une question revient alors fréquemment : comment éviter les conflits dans la fratrie ? Mais avant tout, il convient de comprendre les éléments constitutifs des relations entre frère et sœur.
#1 - Les différents tempéraments au sein de la fratrie
Héloïse Junier distingue les enfants au tempérament faiblement réactif de ceux hautement réactifs. Les premiers auront des émotions moins exacerbées par rapport aux situations vécues. Ils seront moins en colère, moins stressés, plus souriants. Les enfants avec un cerveau hautement réactif réagiront eux très fortement à la stimulation.
Dans une fratrie avec un ou plusieurs tempéraments hautement réactifs, on augmente la fréquence des conflits. La probabilité que le cerveau se sente en danger ou en stress est plus grande. L'enfant concerné passera plus facilement à l'action. Il adoptera plus rapidement un comportement agressif.
#2 - La différence d'âge entre frère et sœur
Les écarts d’âge de 3-4 ans et moins vont créer plus de sentiments de concurrence entre les enfants, parce qu'ils sont très proches. Ils ont chacun des besoins forts d'individualité et d'exclusivité. Ils veulent chacun leur part d'affection et de reconnaissance. Et en même temps, en étant très proches, ils peuvent également développer une forte complicité.
Les données montrent qu'un écart d’âge de 6 ans et plus limitera la fréquence des conflits.
Néanmoins, la rivalité entre frères et sœurs va au-delà d'un simple écart d'âge, d'autant plus qu'aucun écart d'âge n'est idéal. Chaque situation a ses avantages et ses inconvénients.
#3 - La place de chaque enfant au sein de la famille
Qui dit différence d'âge dit place dans la fratrie. Le regard que l'on porte sur l'aîné n'est pas anodin. C'est généralement celui qui se prend en pleine tête tous les idéaux parentaux, les attentes sociétales et sociales. C'est souvent celui qui va être le plus stimulé. D’ailleurs, les recherches montrent qu'il est fréquemment celui qui réussit le mieux scolairement.
On constate que ce sont des enfants qui ont tendance à être plus conformistes, plus proches du cadre. Ils se conforment plus aux attentes sociales alors que les derniers de fratrie sont plus dans une dynamique de créativité. Ils sont de fait plus en roue libre et développeraient une plus grande capacité de libre arbitre et leur créativité.
#4 - La promiscuité dans la fratrie
Chaque membre de la famille a besoin de son espace personnel. À chaque nouveau membre, chacun se sent déjà un peu plus envahi. Dans les familles vivant dans une forme de précarité, cet envahissement se traduit également physiquement en raison de la cohabitation et promiscuité forcées. Le fait de manquer d'espace personnel, aussi réduit soit-il peut créer davantage de conflits et rivalité entre frères et sœurs.
#5 - La gestion des relations entre frère et sœur
Enfin, la manière de réguler les conflits va énormément influencer l'entente entre les enfants et donc la rivalité au sein de la fratrie.
Héloïse Junier explique :
« Plus on est justicier, plus on cherche un coupable dans le conflit et plus on va alimenter cette frustration de l'un ou de l'autre, plus on va augmenter le sentiment d'injustice et donc, du coup, la mésentente dans la fratrie. »
De manière plus générale, l'éducation qui s'exerce au sein de la famille a un impact non négligeable sur l'harmonie ou la mésentente entre frères et sœurs. Les recherches montrent que l'éducation plus autoritaire et punitive, encore prédominante en France, augmente le risque de mal-être chez l'enfant, de manque de confiance en lui. Ce type d'éducation va plus alimenter la mésentente et les rivalités entre frères et sœurs.
4 conseils pour des relations entre frère et sœur sans rivalité ni conflit
#1 - Soutenir l'empathie, clé de la réduction des rivalités et conflits dans la fratrie
Face à la complexité des relations entre frères et sœurs, l'empathie peut être un outil puissant pour réduire la rivalité. Cette capacité à comprendre et à partager les sentiments d'autrui, peut combler les fossés et approfondir les liens entre frères et sœurs.
Héloïse Junier rapporte les résultats de recherche en la matière. Ainsi, sur le terrain, dans la vraie vie, plus on traite les enfants avec empathie et plus on encourage les grands, les petits, la fratrie à se considérer l'un et l'autre avec :
empathie ;
respect ;
sans se juger ;
écoute ;
émotions ;
plus les relations entre frères et sœurs sont harmonieuses.
Héloïse Junier renchérit :
« Le sens de l'empathie est inné chez l'être humain, qui est fait pour vivre en communauté. On naît avec. On n'est pas méchant, ni malveillant. L'enfant n'est pas tyrannique comme on peut le lire. C'est scientifiquement faux. L'enfant a cette prédisposition à l'empathie. Et plus les parents le traiteront avec empathie, sans le juger, ni le violenter, en respectant ses émotions, son intégrité, plus cette empathie naturelle se renforcera et s'alimentera à l'âge adulte ».
Les conséquences sur les relations au sein de la fratrie n'en seront que plus positives.
#2 - Miser sur la modération pour réguler les disputes et relations entre frères et sœurs
On a souvent tendance en cas de disputes entre frères et sœurs à vouloir trouver un coupable. Héloïse Junier recommande de sortir de cette régulation des conflits victimes-agresseurs. En effet, cette posture risque de venir renforcer le côté agresseur de l'enfant et sa frustration. Elle conseille de se positionner en modérateur ou médiateur, face à deux enfants qui se sont disputés. Certes, peut-être que l'un a tapé et pas l'autre. Mais la plupart du temps, dans un conflit, c'est bilatéral, rappelle-t-elle.
Il faut éviter de coller une étiquette sur le dos de l'un des deux. Il est important de se rappeler que ce sont de jeunes enfants, dont le cerveau est encore immature. En sanctionnant, on risque de renforcer le sentiment d'injustice et donc les conflits, leur fréquence et intensité.
#3 - Encourager la coopération plutôt que la compétition pour des relations entre frère et sœur sans rivalité
Les relations entre frères et sœurs peuvent s'épanouir lorsqu'elles sont fondées sur la coopération plutôt que sur la compétition. L'introduction d'activités coopératives et l'encouragement des frères et sœurs à travailler ensemble pour atteindre des objectifs communs peuvent favoriser un sentiment de travail d'équipe et d'unité.
Parmi les jeux coopératifs suggérés par Héloïse Junier, on retrouve Premier Verger (Haba) et Little Cooperation (Djeco).
En donnant la priorité aux jeux coopératifs plutôt qu'aux jeux compétitifs, on permet aux frères et sœurs de vivre des succès et des défis communs, ce qui contribue à un sentiment d'appartenance. C'est aussi recommandé pour tisser des liens dans les fratries issues de familles recomposées.
#4 - Créer un environnement familial propice à l'épanouissement individuel
Dans la danse complexe des relations entre frère et sœur, il est essentiel de reconnaître l'individualité de chaque enfant. La création d'un environnement qui soutient les intérêts et les forces uniques de chaque enfant peut prévenir les sentiments d'inadéquation ou de comparaison. Héloïse Junier souligne l'importance de consacrer du temps individuel à chaque enfant pour l'aider à trouver sa place au sein de la structure familiale.
Elle explique qu'un enfant qui trouve une place auprès de sa dynamique parentale, se positionnera facilement dans sa fratrie de sœurs, de frères ou mixte. Elle rappelle qu'il vaut mieux 5 minutes ultra qualitatives où l'on met son portable en mode avion, qu'un quart d'heure entre un téléphone qui sonne, un livreur, une préparation en cuisine. Enfin, l'idéal, c'est aussi que chacun ait son espace dans l'appartement ou la maison, même dans des chambres partagées.
FAQ - Frères et sœurs sans rivalité
Que se passe-t-il dans la tête d'un enfant lorsque sa famille s'apprête à s'agrandir ?
Un enfant de 3 ou 4 ans, qui n'est pas encore dans l'abstrait, mais vit beaucoup dans l'instant présent, ne percevra pas l'agrandissement de la famille, comme un enfant plus âgé.
Héloïse Junier explique qu'il ne le perçoit pas vraiment comme on le perçoit en tant qu'adultes, avec tous les enjeux temporels, psychiques et les enjeux d'organisation au quotidien, en fait.
C'est réellement très compliqué pour un jeune enfant d'anticiper, de se projeter dans la situation.
Comment annoncer sa grossesse à son enfant ?
Même si le jeune enfant n'est pas en mesure de réaliser ce que signifie l'agrandissement de la famille ou le fait de devenir grand frère ou grande sœur, il est préférable de ne pas trop attendre pour l'informer.
Le jeune enfant est une éponge. Il perçoit les changements autour de lui, les absorbe sans les comprendre.
Lorsqu'un couple attend un enfant, sa communication non-verbale change. La maman peut aussi être plus fatiguée, notamment les premiers mois.
Héloïse Junier explique :
« L'enfant sent les signaux, tous les signaux non-verbaux, de manque de disponibilité, de manque de patience. »
On peut lui expliquer qu'il y a quelque chose qui se prépare, pour qu'il ne soit pas dans une forme d'incongruence entre la communication purement verbale et la communication non-verbale.
Comment réagir si l'enfant est perturbé quand il apprend la future naissance et si sa réaction devient difficile à gérer pour les parents ?
« Ne pas lui en vouloir », exprime Héloïse Junier. « Il est important de comprendre que quand il y a un petit frère ou une petite sœur qui naît, c'est un tsunami énorme pour la vie de l'enfant. Il n'a plus ses parents pour lui tout seul, il n'a plus cette exclusivité pour laquelle il était programmé et à laquelle il était habitué. Donc, il y a de son côté un vrai changement de vie. Souvent, ça vient réactiver son système d'attachement. Il va vouloir retrouver la proximité de sa figure d'attachement principale, sa maman ou son papa. L'enfant est programmé pour retrouver la proximité de son parent lorsque son environnement devient un peu menaçant, bouleversant... et ce, alors que ses parents ne sont pas vraiment disponibles. »
Ce n'est pas simple de comprendre ce que vit l'aîné, de ne pas trop oublier ses besoins.
Comment réagir face à des comportements de l’enfant qui peuvent parfois être violents ?
Tous les parents reçus en consultation par Héloïse Junier disent que le grand frère ou la grande sœur est hyper content·e que l'enfant arrive. Les aînés font des bisous partout, ils sont tout câlins, tout tendres, et au bout d'un moment, ça change. « Une telle lune de miel ne va pas durer toute la vie ».
Qu'une forme d'agressivité du grand vers le petit se développe est un phénomène assez classique et naturel.
Ce n'est ni qu'on est un mauvais parent, ni que c'est un mauvais enfant. La fratrie est faite de conflits et d'agressivité réciproque.
Il faut accepter que c'est une relation qui va connaître des hauts et des bas. Il ne faut pas avoir cette pression que nos enfants doivent s'aimer, bien s'entendre. C'est comme cette injonction qu'il faut prêter ses jouets, ses affaires. C'est une attente sociable et sociétale que l'on a en tant que parents. Mais c'est déjà compliqué en tant qu'adultes de prêter, alors imaginons pour un jeune enfant. Souvent, plus l'enfant est respecté dans ses choix, dans son point de vue, dans ses émotions, notamment quand il ne veut pas prêter, plus il sera agréable avec son frère ou sa sœur... et finira peut-être par prêter de lui-même.
Héloïse Junier renchérit :
« l'enfant a le droit, un jour, de détester sa sœur, un autre jour de l'adorer. Il a le droit un jour de la câliner et un jour, de la pousser. C'est une relation qui vit toute la vie ».
🎧 Ecoutez l’épisode sur comment accueillir la colère des enfants avec Stéphanie Couturier
La rivalité et les conflits entre frères et sœurs ne sont pas une fatalité
En appliquant les conseils d'empathie, de modération des conflits, de coopération, d'individualisation des temps à 2, on offre un environnement propice à des relations apaisées. Mais une fratrie, cela reste néanmoins compliqué.
Comme le résume très justement Héloïse Junier,
« les relations entre frères et sœurs s'enrichissent lorsque nous mettons l'accent sur l'empathie, la compréhension et l'épanouissement mutuel ».
Sur le thème de la fratrie et des relations entre frère et sœur, retrouvez le livre Mon immense petite sœur d'Héloïse Junier, aux éditions Hatier, sans oublier le très utile Les émotions de l’enfant, 7 jours pour mieux les comprendre, aux éditions Les Arènes.
Le podcast Les Adultes De Demain :