Les Adultes de Demain

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Et si les enfants votaient ? avec Clémentine Beauvais #216

Et si les enfants avaient enfin voix au chapitre ? Exclus du suffrage universel, les enfants subissent pourtant les décisions politiques qui façonneront leur avenir. Dans son essai Pour le droit de vote dès la naissance, publié dans la collection Tract chez Gallimard, l’autrice et chercheuse Clémentine Beauvais nous invite à dépasser nos préjugés sur l'enfance avec ce playdoyer pour le droit de vote des enfants.

Figure incontournable de la littérature jeunesse et enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, Clémentine Beauvais défend ici un regard nouveau sur l’enfance et la démocratie. À travers des arguments à la fois concrets et philosophiques, elle nous invite à repenser notre rapport aux enfants et à interroger les fondements d’une société adulte-centrée.

Alors, pourquoi accorder ce droit de vote dès la naissance ? Quels en seraient les bénéfices, mais aussi les défis ? Retrouvez les réflexions qu’elle soulève pour l’avenir de nos démocraties dans cet épisode et dans l'article associé.

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Pourquoi le droit de vote des enfants fait débat ?

Le vote des enfants : un statu quo jamais questionné

Le suffrage universel, pilier fondamental des démocraties modernes, exclut pourtant systématiquement les enfants sans qu’aucune justification claire n’ait jamais été apportée.

« Il n’y a aucun texte de loi qui dit : par la présente, nous informons qu’étant donné leur faible maturité, les enfants sont exclus du droit de vote », souligne Clémentine Beauvais.

Cette limite arbitraire de 18 ans n’est qu’une norme établie, acceptée sans véritable réflexion collective ni débat démocratique.

Pourtant, cette exclusion concerne une part importante de la population. Ce sont « 18 à 20% des personnes », selon l’autrice, qui ne peuvent pas s’exprimer alors qu’elles subissent les conséquences des décisions politiques. Dans une société qui prône l’égalité, il est paradoxal de constater que cette restriction n’ait jamais été questionnée, comme si l’exclusion des enfants allait de soi.

Les préjugés autour des compétences des enfants en matière de vote

L’une des principales résistances à l’idée du droit de vote pour les enfants repose sur des préjugés relatifs à leur prétendue immaturité cognitive. Selon une croyance largement répandue, les enfants ne disposeraient pas des capacités nécessaires pour comprendre les enjeux politiques et prendre des décisions éclairées. Pourtant, comme le rappelle Clémentine Beauvais :

« on ne demande aucun certificat de compétence, aucun certificat de diplôme, aucun permis de voter aux adultes ».

Autrement dit, les adultes ne sont soumis à aucun contrôle pour prouver leur capacité à exercer leur droit de vote, ce qui rend incohérent l’argument de la compétence lorsqu’il est appliqué aux enfants. La réflexion de Clémentine pointe une injustice fondamentale : « on demande aux enfants des choses qu’on n’exige pas des adultes ». Ainsi se crée une forme de discrimination implicite et arbitraire.

Pourquoi imposer aux enfants des exigences de rationalité, de connaissance ou de maturité que l’on ne pose à aucun autre citoyen ? Cette contradiction révèle un biais profondément ancré dans notre perception de l’enfance, où le manque de compétences supposé devient un prétexte pour nier aux enfants leur place dans la démocratie.

3 arguments pour le droit de vote des enfants dès la naissance

#1 - Le droit de vote des enfants : une question de justice démocratique

Le droit de vote est souvent présenté comme un pilier universel de la démocratie. Pourtant, « la seule chose véritablement universelle dans le suffrage du même nom, c'est que les enfants en sont universellement exclus », rappelle Clémentine Beauvais. Cette exclusion, bien qu’acceptée comme une évidence, repose sur des bases arbitraires, sans qu’aucune justification explicite n’ait jamais été formulée.

Des initiatives visant à inclure davantage les enfants, comme l’abaissement de l’âge de vote à 16 ans en Écosse ou en Espagne, commencent à émerger. « Moi, ça ne me satisfait pas pour tout un tas de raisons, mais est-ce que c’est mieux que rien ? Oui ». Ces efforts, bien qu’encourageants, restent insuffisants pour adresser pleinement une démocratie qui refuse encore d’entendre une partie significative de sa population.

Clémentine Beauvais met également en lumière une série d’arguments en négatif, soulignant les incohérences du système actuel :

  • Pourquoi fixer une limite d’âge à 18 ans sans la justifier ?

  • Pourquoi exiger des enfants des compétences qu’on ne demande pas aux adultes, comme la connaissance des programmes ou une quelconque validation de leur capacité à voter ?

Elle conclut : «  Il n’est pas logique et il n’est pas égalitaire de continuer à faire ça. »

N’hésitez pas à écouter l’épisode avec Laelia Benoit au sujet de l’infantisme, terme qui désigne l’ensemble des discriminations à l’encontre des enfants et la culture de domination en leur endroit.

#2 - Des décisions politiques qui impactent les enfants en premier

L’exclusion des enfants prend une dimension encore plus criante face aux enjeux de long terme. Clémentine Beauvais met en lumière une « injustice fondamentale dans l'exercice du vote et de ses impacts, une injustice qui est vraiment évidente en termes temporels ». Elle explique :

« Quelqu’un de 80 ans a le droit de voter, et son vote va avoir des conséquences peut-être dans 20 ans. Un enfant de 3 ans, 4 ans, qui n'a pas le droit de voter, lui, il deviendra adulte quand certaines des manifestations de ce vote seront là ».

Dans un contexte de polycrise globale – crise climatique, effondrement de la biodiversité, inégalités éducatives – de nombreuses décisions politiques prises aujourd’hui auront des impacts irréversibles sur la vie des générations futures. Clémentine Beauvais insiste sur l’urgence :

« On ne peut plus se cacher derrière la notion que, quand ils seront grands, ils prendront les décisions que leur génération veut. Non, ils ne pourront pas. Il y a plein de décisions qu'ils ne pourront plus prendre. Ils ne pourront pas faire revenir à la vie les milliers d'espèces d'animaux qui disparaissent par an, ils ne pourront pas tout à coup enlever tout le CO2 qui a été pompé dans l'air depuis donc voilà ça rend d'autant plus urgent cette question ».

Les enfants, principaux concernés, n’ont aucun moyen d’influer sur ces choix. Pourtant, intégrer leur voix dans le processus électoral permettrait d’aborder les politiques publiques sous un angle plus durable et responsable.

#3 - Repenser la politique pour inclure les enfants

Accorder le droit de vote dès la naissance ne se limiterait pas à un simple geste symbolique. Cela poserait des questions plus larges sur la nature même de la politique et sur la manière dont elle est communiquée. « Qu’est-ce qu’une vision véritablement populaire du message politique ? », interroge Clémentine Beauvais.

Elle imagine des changements profonds dans la manière dont les partis politiques s’adresseraient à leur électorat : « Comment est-ce que les partis seraient forcés de revoir leur communication, de simplifier, de rendre plus parlant, plus concret leur communication ?  ». Cette transformation irait au-delà des enfants : elle rendrait la politique plus accessible pour tous, adultes compris.

Aujourd’hui, les rares initiatives qui incluent les enfants dans des démarches politiques, comme les parlements des enfants ou des projets éducatifs portés par des enseignants, sont souvent perçues comme des exercices d’entraînement pour plus tard.

« C'est du jeu, c'est de l'entraînement, mais ça ne va pas mener à un impact réel », regrette Clémentine Beauvais.

Lorsqu’un enfant ou un adolescent entreprend une action politique concrète, les réactions oscillent entre le mépris et la méfiance, comme en témoigne le traitement médiatique réservé à Greta Thunberg : « Ils ne sont pas pris au sérieux, ou alors on dit que leur enfance est volée par ce combat politique ».

Pourtant, la politique ne se limite pas à l’activisme ou aux grandes déclarations. La politique, « c'est quelque chose de tellement quotidien que ça peut se trouver partout », affirme Clémentine Beauvais. Elle propose une approche plus accessible et ancrée dans la réalité, en explorant les ramifications politiques et sociales des objets et des situations du quotidien.

«  Dans le moindre objet qui se trouve autour de nous, on peut tracer l'histoire sociale, économique, politique, de notre niveau local jusqu'au niveau global. »

Les enfants sont tout à fait capables de participer à cette réflexion.

« Un enfant est totalement capable de te dire de quoi il dépend au quotidien pour que sa vie soit heureuse et qu'est-ce qu'il manquerait pour qu'elle le soit un peu plus », explique-t-elle.

À partir d’exemples simples – un trajet en métro, en train ou même un paquet de céréales – il est possible d’entamer des discussions politiques qui passent « du niveau microscopique du soi au niveau global ». Emmanuelle Duez illustre parfaitement ces situations du quotidien qui ont une résonance politique, dans l'épisode sur Pourquoi politiser l'enfance, lorsqu'elle évoque une scène au restaurant avec ses filles.

2 critiques concernant la mise en place du droit de vote des enfants

Faire voter des bébés… : le droit de vote n’est pas une obligation

L’une des premières critiques adressées à l’idée du droit de vote dès la naissance repose sur la crainte d’une impossibilité pratique. Pourtant, Clémentine Beauvais clarifie un point fondamental :

«  Donner un droit, ce n’est pas exiger de l’exercer ».

Le droit de vote est avant tout un droit et non une obligation. Comme elle l’explique avec humour, «  il y a plein de droits qui nous sont accordés, qu’on n’exerce absolument pas dans notre vie quotidienne. »

Ainsi, « on a le droit de se marier, mais personne ne te force à le faire. On a le droit de sauter en parachute, je ne l’ai jamais fait, et pourtant, ce droit existe ». De la même manière, accorder le droit de vote aux enfants ne signifie pas qu’ils devront l’exercer.

Cette distinction est essentielle pour dépasser les résistances. Le droit de vote dès la naissance ne chercherait pas à forcer les enfants à voter, mais à lever une barrière arbitraire d’exclusion. Un bébé ne votera pas, et c’est parfaitement normal. Mais, symboliquement, ce droit marquerait la reconnaissance des enfants comme des citoyens à part entière.

Risquer la manipulation et l’influence des enfants

Une autre critique majeure repose sur l’argument selon lequel les enfants, en particulier les plus jeunes, seraient manipulés par leurs parents ou influencés dans leurs choix. Clémentine Beauvais répond avec fermeté à cette objection :

«  l’influence politique, ce n’est pas un gros mot. C’est normal. Nous sommes tous influencés dans nos décisions politiques. »

Elle rappelle que l’influence est une composante naturelle de toute vie démocratique. Les adultes eux-mêmes ne votent pas dans une bulle neutre : ils sont exposés à des médias, des discours politiques, des opinions familiales, des algorithmes de réseaux sociaux ou encore à leurs propres biais affectifs. Clémentine Beauvais pointe ainsi une contradiction majeure :

«  le nombre de gens qui votent selon ce qu’a dit leur animateur de télé préféré ou leur algorithme TikTok… C’est exactement la même chose. »

La question n’est donc pas tant celle de l’influence, mais celle de la manipulation, qui concerne aussi bien les enfants que les adultes. Pour éviter ce risque, Clémentine Beauvais propose une solution claire : il faut « réfléchir collectivement à la régulation de la communication politique ». Cela concerne les enfants, certes, mais aussi les adultes qui restent tout autant vulnérables face aux biais informationnels et à la propagande.

Ainsi, plutôt que de restreindre les droits des enfants par peur de manipulation, il s’agirait d’améliorer l’environnement politique global pour garantir des conditions de vote éclairées pour tous.

Le droit de vote des enfants, reflet de leur place dans notre société

Une société adulte-centrée

L’idée du droit de vote dès la naissance ne soulève pas uniquement des questions démocratiques : elle révèle aussi notre vision adulte-centrée de la société. Depuis des siècles, l’enfance est perçue comme une période de «  déficit » où l’enfant serait incomplet, fragile, et surtout incapable de raison.

Pour Clémentine Beauvais, cette vision réductrice est profondément ancrée dans notre culture :

« L'adulte se définit beaucoup par opposition à l'enfant, c'est très important d'expulser de soi ce qui est imposé comme enfantin. Et donc l'enfant est vu comme un adulte en puissance. »

En d’autres termes, l’enfance est vue comme une simple étape de transition vers l’âge adulte, comme si elle n’avait aucune valeur intrinsèque. Pourtant, les enfants possèdent des compétences uniques :

  • une capacité d’émerveillement, comme en parle si bien André Stern dans l'épisode sur l'enthousiasme de l'enfant ;

  • une curiosité brute ;

  • une manière intuitive de comprendre le monde.

Ces qualités sont souvent ignorées, au profit d’une vision hiérarchisée où seuls les adultes, détenteurs supposés de la raison, seraient légitimes pour participer à la vie politique.

Interroger le droit de vote des enfants permet ainsi de mettre en lumière cette domination adulte, qui invisibilise l’enfance et perpétue une forme d’exclusion systémique.

Au sujet de l'enthousiasme des enfants, Clémentine Beauvais mentionne la saison 1 du podcast Entre de Louie Media, au cours de laquelle une petite fille de 11 ans témoignage de sa sortie de l'enfance.

Changer notre regard sur l’enfance

Changer notre regard sur l’enfance nécessite de reconnaître l’injustice d’une société conçue par et pour les adultes. Pour Clémentine Beauvais, cette prise de conscience est souvent vécue de manière physique et incarnée, notamment à travers l’expérience de la parentalité. Elle raconte :

« Quand on commence à vivre le monde en tant que parent, on comprend à quel point il n'est pas fait pour les enfants. »

Elle donne des exemples concrets de cette inadaptation systémique, comme l’absence de trains conçus pour les enfants. Elle décrit avec précision l’absurdité des infrastructures : « Dans l’Eurostar, la table à langer est placée exactement au niveau du bouton de la chasse d’eau, lumineux et attirant pour les bébés ». Ce simple détail révèle un monde pensé sans jamais inclure l’expérience des enfants.

Autre exemple frappant : l’absence d’ascenseurs dans certaines stations de métro, comme la station Télégraphe. Clémentine Beauvais raconte une situation dangereuse où une mère, incapable de trouver un ascenseur, a dû monter un escalator avec sa poussette : « Si on se ripe et que la poussette tombe en arrière, c’est 50 mètres d’escalator à parcourir avec un bébé dedans ».

Ces anecdotes, bien que quotidiennes, montrent à quel point les enfants et leurs besoins sont invisibilisés dans la conception des espaces publics. C'est d'ailleurs le cheval de bataille d'Adriane van der Wilk : elle en parle dans l'épisode « repenser les villes pour les enfants et leurs parents». Cette inadaptation n’est pas accidentelle : elle reflète une société qui refuse encore de prendre en compte la voix et l’expérience des enfants.

Le droit de vote des enfants n’est pas qu’une simple provocation intellectuelle : il s’agit d’une réflexion profonde sur la justice, l’égalité et l’inclusion au sein de nos démocraties. Clémentine Beauvais démontre avec force que l’exclusion des enfants du processus électoral repose sur des préjugés et des normes arbitraires, tout en occultant l’impact disproportionné des décisions politiques sur leur avenir.

 

Références : 

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