Politiser l’enfance avec Emmanuelle Duez #213
Politiser l'enfance, c'est donner aux enfants la place centrale qu'ils méritent dans nos discussions et décisions collectives. Dans cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Emmanuelle Duez, présidente de Bugali et fervente militante pour la cause des enfants, explique pourquoi il est urgent de faire de l'enfance un véritable enjeu politique. Pour elle, la situation actuelle en France reflète une invisibilisation de l'enfance dans les politiques publiques. Ce manque d'engagement nuit profondément à l'avenir de nos sociétés. Cet épisode soulève une question cruciale : comment réorganiser notre système pour mettre les enfants et leurs besoins au centre de nos priorités ? En politisant l'enfance, Emmanuelle Duez invite à une transformation sociétale qui dépasse les intérêts des adultes. Cette évolution souhaitée ouvre la voie à un futur plus juste et plus durable pour les générations à venir.
Pourquoi l'enfance est-elle oubliée par les politiques publiques en France ?
Emmanuelle Duez n'hésite pas à souligner la triste réalité de l'enfance en France : elle est largement absente des débats et des priorités politiques. Pour elle, l'enfance est devenue un « impensé absolu » au sein des institutions. Elle dénonce le manque de stratégie publique tournée vers les besoins des enfants et la construction de leur avenir.
La situation actuelle reflète un marasme politique où la projection à long terme fait défaut. Emmanuelle Duez explique que les politiques publiques sont aujourd'hui « très concentrées sur nos petites problématiques d'adultes d'hier et d'aujourd'hui ». Cette vision auto-centrée empêche de penser à ce que nous devons léguer aux générations futures. Pourtant, les données pourraient inciter à réagir. Vous pouvez en effet regarder les données compilées par l'Unicef concernant le bien-être des enfants dans les pays riches.
Emmanuelle Duez rappelle aussi que, dans les discussions politiques actuelles, les enfants n'ont pas de voix. Elle constate que l'urgence des préoccupations des adultes prend le dessus sur la réflexion à long terme pour les enfants. Cela mène à des décisions politiques souvent clientélistes, davantage destinées à répondre aux attentes des électeurs âgés qu'à préparer un avenir meilleur pour les jeunes générations. Emmanuelle Duez est d'ailleurs engagée dans l'ONG Youth Forever, dirigé par Jasmine Manet, intervenue précédemment sur le sujet des jeunes d'aujourd'hui, au micro du podcast Les Adultes de Demain.
Elle déplore également la centralisation excessive des décisions en France, qui conduit à ce manque d'engagement pour l'enfance.
« La politique devrait davantage prendre en compte le sujet pas simplement comme un enjeu politique en tant que tel, mais vraiment comme un processus. En Suède, il y a un ministère du futur qui est un ministère transversal qui va aller projeter les conséquences à moyen et à très long terme des décisions politiques prises aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu'en fait, on est responsable de ce qu'on est en train de faire pour les générations de demain. Et un ministère du futur, c'est une prise en compte de l'intérêt très supérieur des générations à venir et donc de cette idée de faire de l'enfance un projet politique total. Oublions nos turpitudes d'adulte.»
Pour Emmanuelle Duez, il est nécessaire de replacer l'enfance au centre des débats publics pour enrayer cette invisibilisation. En faisant de l'enfance un véritable projet politique, il devient possible de redonner une vision à long terme à notre société, qui pourrait être moins autocentrée et plus tournée vers l'avenir. Cette approche permettrait non seulement d'améliorer la qualité de vie des enfants, mais aussi de garantir une société plus juste et résiliente.
Pour rappel, les discriminations faites aux enfants, c'est ce que l'on appelle l'infantisme, sujet sur lequel Laelia Benoît est intervenu au micro du podcast Les Adultes de Demain.
Changer notre regard sur l'enfance : du rejet à l'accueil
L'intolérance croissante vis-à-vis des enfants
Emmanuelle Duez insiste sur la nécessité de repenser notre culture pour accueillir les enfants. Elle invite à s'inspirer de la manière dont d'autres pays valorisent leur présence. Elle évoque, par exemple, l'Italie, où les enfants sont perçus comme une véritable richesse.
« En Italie, les enfants sont les bienvenus partout : les restaurants sont pour les enfants, la ville est pour les enfants, les magasins sont pour les enfants ».
Ce contraste avec la France, où les enfants sont souvent considérés comme une nuisance, est marquant. Emmanuelle raconte que dans un restaurant parisien, deux femmes ont demandé à être déplacées pour éviter de s'asseoir à côté de ses enfants. Cet incident symbolise, selon elle, le désamour et l'intolérance croissants envers les enfants en France.
Elle souligne qu'en France, un enfant qui rit ou pleure dans un train est immédiatement perçu comme un problème. Depuis la pandémie, cette intolérance s'est même intensifiée : il n'est plus rare que des adultes expriment ouvertement leur agacement, voire leur hostilité, envers les parents et leurs enfants.
« Comment en est-on arrivé à ce point de désamour de soi pour ne plus avoir la tolérance de regarder un enfant et de s'émerveiller ? », s'interroge-t-elle.
Pour Emmanuelle, cette attitude traduit un mal culturel profondément enraciné, un manque de bienveillance qui prive les enfants de la place qu'ils méritent.
L'inadaptation de la ville à l'enfance
La place que l'on accorde à l'enfance passe également par la façon de concevoir les espaces publics. Emmanuelle Duez prône un changement radical en la matière, en appelant à « penser la ville à hauteur d'enfant ». Thierry Paquot était d'ailleurs intervenu au sujet de la place des enfants dans la ville dans l'épisode 179 du podcast.
Accorder une place aux enfants dans l'espace urbain signifie créer des villes où ils sont pris en compte dans la conception des infrastructures, des espaces de jeu,et des aménagements . En Italie, par exemple, la communauté se mobilise pour protéger les enfants : un enfant seul dans une rue verra tous les commerçants sortir pour s'assurer qu'il est en sécurité. Cette culture de l'attention collective et du respect de l'enfance est précisément ce qui manque en France, selon Emmanuelle Duez.
« Il y a, derrière cette approche culturelle, le respect de la vie, la joie du quotidien, la capacité à s'émerveiller de tout », affirme-t-elle. Pour elle, c'est une question de valeurs, mais aussi de survie sociétale : tant que nous continuerons à considérer les enfants comme des éléments perturbateurs, nous perdrons de vue ce qui fait la beauté et la richesse de la vie collective.
Emmanuelle Duez invite à revoir notre rapport aux enfants pour les considérer non plus comme une nuisance, mais comme une opportunité de croissance et de renouveau pour toute la société.
Et de faire référence à Hannah Arendt, qui disait, selon les mots d'Emmanuelle Duez, que « l'humanité se renouvelle par la natalité, au sens où chaque génération qui advient finalement c'est un nouveau logiciel, c'est une page vierge. Et donc c'est autant de futur, de potentiel et d'impact et de trajectoire et de mouvement qu'on va créer ».
Bugali : une technologie au service de l'enfance
Son engagement en faveur de l'enfance, Emmanuelle Duez le manifeste également à travers son entreprise, Bugali. Si elle n'est pas (encore ?) engagée en politique pour travailler à politiser l'enfance, une des raisons qui l'a poussée à créer Bugali est politique.
« Le livre est le premier critère de déterminisme social. Qu'est-ce que ça veut dire ? ça veut dire qu'en fait, mettre des livres dans la chambre des enfants dès l'âge de 1 an, c'est la meilleure manière de leur donner des chances d'être libres de leur destin à l'âge adulte. Pourquoi ? Parce qu'en fait le livre expose un certain nombre de mots de vocabulaire qui vont permettre à l'enfant de se représenter le monde et une fois qu'il a pu se représenter le monde avec nuances, avec subtilité, avec de la différence, avec de la diversité, il va pouvoir y agir. »
Bugali est donc une console de lecture qui raconte les histoires autrement. Ce n'est pas une conteuse. L'enfant pose sur la console, un des 25 livres au catalogue, livres issus des plus grandes maisons d'édition jeunesse française. La technologie a permis de rendre le papier des pages du livre, tactile et interactif. L'enfant touche les textes et les illustrations. Il peut alors écouter les sons, qu'il s'agisse des dialogues, de musiques et chansons ou de jeux, en français et en anglais. L'enfant vit l'histoire de manière multisensorielle, immersive et interactive, mais 100 % sans écran et 100 % à son rythme, dans l'ordre qu'il désire !
« Avec Bugali, nous voulions que les enfants puissent toucher les pages, écouter les histoires et explorer les personnages à leur rythme », explique Emmanuelle. L'idée est de combiner le meilleur de la technologie avec le meilleur du livre, pour que l'enfant soit acteur de son apprentissage, en restant connecté à la matière du livre papier.
La liseuse Bugali a été conçue pour encourager l'autonomie et l'exploration. En touchant les pages, les enfants peuvent donc :
déclencher des sons ;
découvrir de nouveaux mots de vocabulaire ;
interagir avec les personnages ;
et créer ainsi une expérience de lecture unique.
« Nous avons intégré des mots de vocabulaire rares, des univers sonores, des comptines, afin de rendre chaque lecture inédite », ajoute Emmanuelle Duez. « Avec un livre, il aura mille histoires différentes. »
En mettant la technologie au service de l'éveil et de l'expérience de lecture des enfants, Emmanuelle Duez a voulu réinventer un outil éducatif :
en valorisant la curiosité naturelle des plus jeunes ;
en renforçant la compréhension du monde qui les entoure ;
en les éloignant de la passivité des écrans.
Dans un monde de plus en plus dominé par les écrans, Bugali propose une approche innovante et positive de la technologie au service des enfants.
« La tech, c'est fantastique, les enfants grandissent dans un univers de technologie de pointe ultra-digitalisée et on n'a rien trouvé de mieux que de les mettre 2 heures par jour devant un écran avant l'âge de 2 ans pour les transformer en espèce de plancton qui reçoit une information que d'ailleurs, ils ne comprennent pas. La tech, c'est autre chose. On ne la subit pas la tech, on la façonne, c'est de la pâte à modeler. Et donc ce que je voulais faire, c'était mettre la tech au service de cette expérience de lecture, mettre la tech au service de l'éveil au monde des enfants. »
Pour Emmanuelle Duez, Bugali est une réponse à l'urgence de repenser le rôle de la technologie dans la vie des enfants. Elle offre une alternative qui respecte leur développement tout en stimulant leur imagination. Et l'objectif est clair : « mettre la technologie au service de l'éveil et de la curiosité des enfants, sans sacrifier l'essence même du livre papier ». En créant une interaction tactile et sonore avec le livre, Bugali réinvente le plaisir de la lecture. Cette console de lecture permet aux enfants de vivre une expérience active, loin de la passivité des écrans traditionnels.
Politiser l'enfance : une vision d'avenir
En conclusion de l'épisode, Emmanuelle Duez a de nouveau insisté sur l'importance de politiser l'enfance afin de garantir un avenir meilleur.
« Ce que je souhaite à notre société au sens politique du terme puisque finalement, c'est une synthèse de mon approche : faire de l'enfance, le cœur d'une nouvelle vision politique pour la France ».
Elle appelle à placer les enfants au centre des discussions, non pas en tant que sujets passifs nécessitant une protection, mais en tant qu'acteurs majeurs de la société de demain. Elle rappelle que chaque décision publique doit être prise avec l'impact sur les générations futures à l'esprit.
Son appel à l'action s'adresse aussi bien aux décideurs politiques qu'aux citoyens. Elle souhaite que les parents, les adultes qui entourent les enfants prennent soin d'eux et « prennent conscience et se rappellent à chaque instant à quel point l'enfance représente cette fantaisie, cette liberté qu'on a peut-être perdue ou trop abîmée. ».
Elle aimerait que les enfants aient juste à être des enfants, à être libres de l'être. Elle fait référence à Christian Bobin qui dit que « les enfants sont comme les marins. Où se portent leurs yeux, partout c'est immense ». Elle désire que les enfants conservent toute leur vie cette capacité à regarder le monde avec émerveillement et à percevoir l'immensité des possibles. C'est aussi un vœu pour les adultes, qu'ils puissent « se rappeler à quel point c'est précieux, nous qui sommes désabusés et névrosés, de protéger en fait cet horizon dans les yeux des enfants ».
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