Comment améliorer l’école ? 3 pistes et 4 propositions
Comment améliorer l’école dans un contexte de crises multiples ? Instabilité ministérielle, perte de sens chez les enseignants, montée des inégalités sociales et déclin des performances des élèves… Le système éducatif français est confronté à des défis majeurs qui interrogent son rôle et ses finalités. L’urgence de trouver des solutions se fait chaque jour plus pressante.
Pourtant, malgré ce tableau préoccupant, des initiatives et des réflexions audacieuses émergent. Enseignants engagés, chercheurs passionnés, parents concernés et citoyens militants travaillent ensemble pour réinventer l’école et la rendre à nouveau inclusive, collaborative et épanouissante. Leur ambition : construire un système qui répond aux besoins des élèves et aux défis du XXIᵉ siècle.
Cet épisode du podcast Les Adultes de Demain revêt le format particulier de la table ronde. Autour de Stéphanie d’Esclaibes sont réunies trois figures majeures de la réflexion éducative :
Emma Bertoin, militante éducative et fondatrice de L'École Change Demain ;
Juliette Doberva, ancienne enseignante et responsable pédagogique chez Plume ;
Marie-Laure Viaud, experte des pédagogies alternatives, autrice de l’essai Changer l’école et fondatrice du collège alternatif, L’Autre Collège.
Ensemble, elles ont partagé leurs constats, leurs solutions concrètes et leurs visions ambitieuses pour répondre à cette question essentielle : comment améliorer l’école ?
Cet article synthétise leurs échanges et met en lumière :
les constats alarmants ;
les actions possibles dès aujourd’hui ;
leurs propositions ;
pour transformer durablement notre système éducatif.
Les constats : un système scolaire en crise
Un manque de sens pour les enseignants
La crise de sens vécue par les enseignants est l’un des constats les plus frappants. Juliette Doberva, ancienne professeure de lettres modernes, évoque une profession écrasée par une « lourdeur administrative » qui « noie la passion » des enseignants et « dilue les interactions en classe ».
Ces contraintes, combinées à une multiplication des missions et à une charge mentale excessive, entraînent une perte de sens dans l’exercice du métier.
Elle explique : « On leur demande parfois énormément, parfois trop et parfois ça déborde un peu. » En conséquence, l’essence même de leur vocation, « cette magie de l’interaction » avec les élèves, s’efface sous le poids des tâches administratives et organisationnelles.
Ce constat soulève une problématique centrale : comment redonner du souffle et du sens à un métier où la passion et l’engagement sont pourtant essentiels ?
Une école sans vision claire
Pour Emma Bertoin, experte en intelligence collective, la crise actuelle de l’école dépasse la simple question des moyens. Elle pose une problématique plus fondamentale : « Aujourd’hui, on parle beaucoup de la crise des moyens à l’école. Pour moi, le problème, c’est d’abord qu’il y a une crise des fins, c’est-à-dire qu’on ne sait pas à quoi sert l’école. On ne sait plus à quoi sert l’école. »
Historiquement, l’école française s’est construite autour d’un idéal républicain d’égalité. Mais cet idéal semble aujourd’hui insuffisant pour guider l’action éducative.
« Grosso modo, il y a deux grandes écoles : il y a les politiques conseillées par des grands cabinets de conseil pour qui l’école est un outil au service du marché du travail, et puis après, il y a les enseignants qui sont plutôt au service de l’humain. »
Ce décalage illustre l’absence de consensus sur le rôle fondamental de l’école dans la société contemporaine.
Des défis structurels persistants
Au-delà de ces crises internes, l’école française est confrontée à des défis structurels majeurs. Parmi eux, les résultats scolaires des élèves français restent en deçà de ceux observés dans de nombreux pays de l’OCDE. Les faibles performances en mathématiques et en lecture sont souvent mises en avant comme des symptômes d’un système à bout de souffle.
De plus, les inégalités sociales et éducat
ives continuent de peser lourdement sur le parcours des élèves, avec un ascenseur social quasiment à l’arrêt. Ces problématiques soulignent l’urgence de redéfinir les priorités et les objectifs de l’école pour qu’elle redevienne un levier de justice sociale et de progrès collectif.
Comment améliorer l'école dès aujourd'hui ? 3 pistes concrètes
1 - Mettre les enseignants au cœur de la transformation
Prendre soin des enseignants
Comment améliorer l’école ? Peut-être en commençant par se préoccuper du bien-être des enseignants. Comme l’explique Emma Bertoin :
« On n’a pas encore tout à fait compris que le bien-être des enfants dépendait de celui des enseignants. »
Cela passe par une révision des priorités : « Il faut prioriser le programme de formation pour les adultes comme on le fait pour les enfants, et réfléchir au cadre de travail des enseignants. »
Elle propose également de renforcer les dynamiques collaboratives au sein des établissements :
« Moi, mon utopie, c’est qu’il y ait une personne qui soit payée dans chaque établissement, qui soit un prof en plus et dont le métier soit d’organiser le lien entre les enseignants, de prendre soin des enseignants. »
💡 William Lafleur, auteur du livre L’ex plus beau métier du monde, était intervenu au micro des Adultes de Demain pour évoquer les conditions de travail des enseignants.
Favoriser la pédagogie de projet
Juliette Doberva met en avant l’importance des projets transdisciplinaires pour redonner du sens au métier d’enseignant.
« Construire des projets qui impliquent toutes les disciplines », explique-t-elle, permet de fédérer les équipes pédagogiques tout en engageant les élèves dans des apprentissages plus concrets.
Elle témoigne de son expérience en collège :
« Avec un seul projet très fédérateur, on peut faire des maths, de la musique, de la géographie… et on faisait toutes les matières. » Renforcer les liens entre école et société
2 - Renforcer les liens entre école et société
Impliquer les parents
Un autre levier clé pour améliorer l’école est de renforcer la participation des parents. Marie-Laure Viaud partage l’exemple de L’Autre Collège, où chaque parent effectue quatre heures de participation par semaine. Elle constate :
« Le fait d’être tout le temps ouvert a créé une vraie confiance. Ils voient qu’il n’y a rien de caché, ils voient comment on travaille et ça change complètement leur rapport à l’école. »
Cette transparence instaure un climat de confiance, bénéfique pour tous les acteurs.
Cependant, comme l’a souligné Emma Bertoin, il est souvent difficile de mobiliser les parents en raison de leurs contraintes professionnelles. Elle propose de réfléchir à des dispositifs au sein des entreprises pour permettre aux parents de s’impliquer davantage dans la vie scolaire de leurs enfants.
Collaborer avec d’autres acteurs
Au-delà des parents, elle imagine une équipe pédagogique élargie qui inclurait « des enseignants, des médecins, des assistants sociaux et des parents ». Une telle organisation permettrait de prendre en charge les besoins variés des élèves tout en créant un véritable réseau d’accompagnement. Elle souligne également l’importance d’ouvrir l’école à d’autres parties prenantes, comme les collectivités locales, pour renforcer son rôle dans la société.
3 - Tirer parti du numérique et de l’IA comme outils pédagogiques
Un assistant pour les enseignants
Au sujet du numérique, Juliette Doberva explique qu’il peut jouer un rôle complémentaire dans l’amélioration de l’école, notamment pour soulager la charge des enseignants.
« Le numérique va permettre aux enseignants d’accompagner de façon simultanée beaucoup d’élèves. »
Elle partage ainsi son expérience : « Quand je lançais un travail de production d’écrit, je m’asseyais à côté de chaque élève pour analyser son brouillon. Le numérique peut offrir des retours personnalisés et simultanés, ce que je ne pouvais pas faire pour 30 élèves à la fois. »
De nécessaires précautions
Toutefois, l’introduction du numérique et de l’intelligence artificielle à l’école doit se faire avec prudence. Emma Bertoin met en garde contre les effets délétères d’une exposition précoce et excessive aux écrans :
« Les enfants sont tellement sur des écrans qu’ils n’ont plus les gestes de motricité fine, ce qui les rend moins autonomes, même pour aller aux toilettes. »
Elle insiste sur l’importance de combiner innovation numérique et réflexion pédagogique pour que ces outils restent au service des apprentissages, et non l’inverse.
💡 Trois épisodes du podcast ont déjà abordé la question du numérique et des enfants :
l’éducation des enfants au numérique avec Amélia Matar ;
les conseils d’Yves-Alexandre Thalmann pour lutter contre l’addiction aux écrans ;
la surexposition aux écrans avec Anne-Lise Ducanda.
Réinventer l'école pour demain : 4 propositions audacieuses
1 - Vers une école ouverte et inclusive
L’inspiration des pédagogies alternatives
Pour réinventer l’école, Marie-Laure Viaud s’appuie sur les succès et l’intérêt des pédagogiques alternatives.
Elle explique que ces approches permettent d’allier savoirs fondamentaux et développement des compétences sociales et environnementales.
« Toutes les recherches en sciences de l’éducation montrent que les enfants apprennent autant au niveau des matières scolaires et qu’en plus ils apprennent toutes ces compétences psychosociales. »
À L’Autre Collège, les élèves travaillent sur des projets pluridisciplinaires qui intègrent théâtre, écologie et expression artistique. Ces projets ne sont pas seulement enrichissants ; ils permettent aussi aux élèves de réussir dans le cadre scolaire traditionnel :
« Ils montent des pièces de théâtre, écrivent des films… Et on voit que c’est en faisant justement ça qu’ils arrivent finalement à avoir le brevet et à être à l’aise au lycée. »
Une école qui suit les saisons
L’ouverture de l’école à de nouvelles idées peut aussi venir des élèves eux-mêmes. Emma Bertoin partage ainsi une réflexion d’une élève de CM1, recueillie lors des événements organisés au sein des établissements dans le cadre du projet L’école change demain.
« Moi, je pense que l’école, il faudrait qu’elle suive les saisons. » Cette enfant a ainsi imaginé toute une école où on n'apprendrait pas la même chose, on ne mangerait pas la même chose en fonction des saisons.
2 - Une vision collective : intégrer tous les acteurs
Créer un Conseil Éducatif Social et Environnemental
Pour redéfinir l’école de demain, Emma Bertoin propose d’impliquer toutes les parties prenantes dans les décisions politiques concernant l’éducation.
« J’aimerais bien qu’en 2027 on ait une forme de CESE, de Conseil Éducatif Social et Environnemental, avec des profs, des parents et des enfants pour conseiller les décisions des ministres sur l’école. »
Ce modèle collaboratif, inspiré des pratiques en Suisse, offrirait une perspective inclusive pour les réformes éducatives.
Changer la forme scolaire
Marie-Laure Viaud invite, quant à elle, à une transformation radicale de l’organisation scolaire. Elle propose de repenser les horaires :
« 1 h 30 soit de math, soit de français chaque jour, et le reste du temps, ils feraient toutes les autres choses passionnantes qu’on peut faire sans écran. »
Ces activités incluraient des projets artistiques, des visites culturelles ou des rencontres inspirantes. C’est d’ailleurs ce fonctionnement qui est adopté à L’Autre collège.
Cette approche remet également en question le cloisonnement disciplinaire, un héritage qu’elle juge dépassé :
« Les pédagogies différentes montrent que si on arrête ce découpage pluridisciplinaire et qu’on fait des projets pluridisciplinaires, tout le temps, les enfants apprendront autant de math, autant de français. »
3 - Donner la parole aux élèves
Encourager les enfants à exprimer leurs rêves pour l’école
Les enfants sont rarement consultés sur leur propre expérience scolaire, pourtant leur vision est précieuse pour réinventer l’école. Juliette Doberva évoque le concours d’écriture Les Petits Molières, organisé par Plume.
En 2024, cet événement invite notamment les élèves à imaginer une école idéale : « Cette année, on a choisi d’adopter la thématique ‘Refaire le monde’, et l’un des sujets proposés est : rêver l’école. » Ces contributions permettent de recueillir leurs idées dans une démarche créative et engageante.
Prendre en compte leurs idées pour repenser les lieux et les méthodes d’apprentissage
Comme l’a souligné Emma Bertoin, les enfants expriment souvent les mêmes aspirations que les adultes, mais avec des mots différents.
« Les enfants nous disent : ‘l’école de mes rêves, c’est dans une cabane’,
alors que les adultes vont parler de classe dehors. »
Ce parallèle montre que les besoins fondamentaux – lien avec la nature, apprentissages concrets et épanouissement – sont partagés, et qu’intégrer ces visions peut enrichir les pratiques éducatives.
Vers une école qui répond aux défis du XXIᵉ siècle
À travers cette table ronde, une vision commune se dessine pour améliorer l’école, la réinventer : une institution ouverte, collaborative et tournée vers l’épanouissement de tous ses acteurs.
Les propositions explorées, qu’il s’agisse :
de projets pluridisciplinaires ;
d’une meilleure collaboration entre enseignants et parents ;
ou d’un usage réfléchi du numérique ;
montrent qu’il est possible d’allier savoirs fondamentaux, développement personnel et engagement citoyen.
Cette transformation, cependant, ne peut être portée par un seul acteur. Parents, enseignants, décideurs et citoyens ont tous un rôle à jouer pour insuffler ce changement. Comme le souligne Marie-Laure Viaud :
« Plus on a d’enseignants qui font autrement, plus on a d’écoles qui font autrement et plus, on permet aux enseignants d’aller voir : c’est vrai, ça marche. »
Cette diffusion des bonnes pratiques est une clé pour construire l’école de demain. Vous pouvez d’ailleurs écouter l’épisode avec Jérémie Fontanieu, sur les relations parents-enseignants et la méthode Réconciliations.
Emma Bertoin invite également à repenser en profondeur le rôle de l’école :
« Si on se dit que l’objectif de l’école, c’est de former encore une fois des citoyennes et des citoyens qui soient capables de prendre soin d’eux-mêmes, des autres et de leur environnement, je pense qu’on arrivera tout seul à la conclusion que le format scolaire actuel n’est pas le bon. »
Cette réflexion sur les finalités de l’école est essentielle pour enclencher une réelle transformation.
Enfin, Juliette Doberva rappelle l’importance de l’écoute des élèves :
« Redonner la voix aux enfants, partir de leurs souhaits, de leurs volontés, de leurs désirs… Je pense que c’est important de les écouter et je pense qu’on ne les écoute pas suffisamment. »
Cette attention portée aux élèves est un point de départ essentiel pour bâtir une école plus inclusive et adaptée aux défis du XXIᵉ siècle.
Les idées sont là, les initiatives existent. Il ne reste qu’à les cultiver et les faire grandir pour que notre système éducatif devienne, enfin, un espace d’épanouissement et de transformation collective.
Références :
Changer l’école, une nouvelle école est possible, reconnectée à l’enfant et aux défis du monde, Marie-Laure Viaud, Nathan, 2023
Plume, une application pour développer le plaisir d’écrire à la maison et enseigner la production d’écrits de manière différenciée en classe.
L’école change demain, participez à un tour de France pour imaginer l’'École de Demain
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