Comment lutter contre l'addiction aux écrans avec Yves-Alexandre Thalmann #165
Les écrans font désormais partie intégrante de notre vie quotidienne. Que ce soit pour le travail, les loisirs ou la communication, les smartphones, les tablettes et les ordinateurs ont envahi notre société et donc notre quotidien. Cette omniprésence n'est pas sans conséquences, en particulier chez les jeunes, qui passent de plus en plus de temps devant leurs écrans… au point de manifester parfois des symptômes de dépendance. Mais comment lutter contre cette addiction aux écrans dans le monde actuel ? Yves-Alexandre Thalmann, psychologue, professeur de psychologie et conférencier, apporte son éclairage sur la question. Il nous aide à comprendre ce phénomène de conduite addictive et nous livre sa solution à mettre en place avec les adolescents… et les adultes.
Comprendre l'addiction aux écrans
Capter et conserver l’attention
Dans le cadre de son travail, Yves-Alexandre Thalmann a pu constater que les jeunes entre 16 et 20 ans peuvent rester scotchés entre 3h30 et 4h30 (en moyenne) sur leur téléphone portable. Mais il serait faux de croire que les écrans ne sont addictifs qu’auprès des jeunes. Tout utilisateur d’écrans devient dépendant, à plus ou moins haute dose. Pourquoi ? Tout simplement parce que les écrans « sont conçus pour être addictifs » explique Y.A. Thalmann. Derrière le mot « écran », il faut bien sûr comprendre « contenus » : les applications qu’on utilise, les jeux, les plateformes de streaming qui proposent des séries et surtout, les réseaux sociaux (X (ex-Twitter), Tik-Tok, Instagram, Facebook, Snapshat, YouTubemais aussi Whatsapp, etc).
Les personnes qui sont aux commandes de ces réseaux, ceux qui les commercialisent, n’ont aucunement envie de faciliter la vie des gens ou de la rendre plus belle. Ce qu’ils veulent, et ils ne s’en cachent pas, c’est gagner de l’argent (pour accessoirement payer leurs employés). Et pour atteindre cet objectif, il leur faut vendre de la publicité et récupérer un maximum de données qu’ils pourront revendre. Ils doivent donc capter un maximum de personnes et conserver leur attention le plus de temps possible.
Y.A. Thalmann fait le parallèle avec l’industrie du tabac : « vous savez, c'est comme la cigarette, au-delà du tabac qu'on met dedans, il y a beaucoup d'additifs qui ont comme propriété de rendre les gens un petit peu plus accros à chaque fois. »
Rendre les gens accros en piratant notre cerveau
Réaliste plutôt que fataliste, Y.A. Thalmann explique que face à notre cerveau devant l’écran se trouvent les cerveaux les mieux formés de la planète pour concevoir des applications qui rendent accros. Ces personnes sont calées en psychologie et neurosciences. Elles savent donc très bien comment fonctionne notre système limbique sensible à la récompense. Celui qui produit de l’envie et du plaisir. Si à l’origine, ce circuit cérébral était destiné à la survie de l’espèce en nous poussant à nous nourrir et nous reproduire, il est aujourd’hui piraté.
Y.A. Thalmann utilise la métaphore des petites cacahuètes enrobées de chocolat coloré avec une petite inscription imprimée dessus. Vous voyez de quelle confiserie il s’agit ? Il explique que ce sont des chimères, c’est-à-dire que ces aliments n’existent pas dans la nature. Par contre, ils ont une composition en gras, en sucre et des couleurs pour les yeux, qui font qu’on picore encore et encore. Vous n’obtiendrez pas le même effet avec des pommes ou des raisins. On mange quelques grains, quelques morceaux et on s’arrête. Alors qu’avec ces confiseries chocolatées, on termine le paquet. Pourquoi ? Parce que les inventeurs de ce bonbon l’ont conçu de telle sorte qu’il va pirater le circuit de la récompense.
Lutter contre ces bonbons ou les écrans n’est pas vain, mais penser qu’il suffit de volonté, c’est aller dans le mur. Pour Y.A. Thalmann, « la volonté n’existe pas ».
La volonté n'est pas la clé
La volonté au sens de willpower (pouvoir de la volonté) est un concept ambigu et non défini. En psychologie, cela s’appelle un construit, un terme qui semble nous dire quelque chose mais qui, en réfléchissant, ne correspond pas à grand-chose. On n’a pas de neurones de la volonté. Bien sûr, il existe des différences inter-individuelles : certains tests psychologiques qui mesurent par auto-questionnaire la volonté dans le sens de l’auto-discipline, laissent entrevoir que certains individus auraient plus de volonté que d’autres. Néanmoins, attention, ces résultats sont quelque peu biaisés puisque les personnes qui, par leurs réponses, montreraient plus de volonté, vivent entourées de bien moins de tentations…
Donc, finalement, « avoir de la volonté revient à organiser notre environnement pour ne pas avoir à utiliser notre force de résistance. » Il ne faut pas se leurrer : si on peut résister à certaines choses, quand on est en forme, le matin au réveil par exemple, la donne est tout autre le soir venu. Fatigué, chamboulé par tout un tas d’émotions emmagasinées dans la journée, résister sera beaucoup plus ardu.
La solution : la liberté de choix préalable
« On n’a pas de volonté, mais on a une liberté de choix », martèle Y.A. Thalmann.
Les vieux concepts de volonté traités par la philosophie classique, tel le cocher qui tire les rênes de ses chevaux pour les ramener dans le droit chemin ont longtemps servi de modèles. Mais ils ne correspondent plus aux données des neurosciences, qui nous indiquent de voir les choses sous un autre angle.
La métaphore d’Ulysse : anticipation et liberté de choix
Y.A. Thalmann utilise une métaphore issue l’Antiquité en s’appuyant sur le navigateur Ulysse pour nous faire comprendre la profonde nuance entre volonté et libre choix.
Ulysse revient de la guerre de Troyes. Il cherche à rejoindre sa terre natale, Ithaque. En chemin, il doit croiser de maudites sirènes dont le chant attire et fait échouer les bateaux. Ulysse ne fait pas l’erreur de croire qu’il a de la volonté. Il sait que lorsque les sirènes ne chantent pas, c’est facile de résister. Tout le monde peut résister au chocolat… s’il n’y en a pas dans la maison. Par contre, face aux sirènes, il sait qu'il ne réussira pas à résister.
Alors, il anticipe et prend une décision volontaire avant d’être confronté à la tentation. Il demande à ses marins de le ligoter au mât de son navire. C’est lui qui demande en toute liberté, à ses marins de l’attacher, afin de ne pas céder à l’appel des sirènes.
Du bon usage d’une application de contrôle
Le parallèle avec les écrans peut vite être fait. Les jeunes ont bien conscience qu’ils perdent leur temps sur les écrans. Peu vont dire : « c’est génial, j’apprends plein de choses sur les écrans ». Ils vont peut-être reconnaître qu’ils ont appris des choses pendant une demi-heure, mais qu’ils ont perdu leur temps pendant les quatre autres heures. Mais ils se sentent impuissants, c’est plus fort qu’eux. Ils veulent voir la suite, encore et encore. Et c’est normal, c’est fait pour ça.
Y.A. Thalmann propose donc de s’inspirer d’Ulysse : il faut décider à l’avance, en installant une application. Attention, pas un service qui vous indique votre temps de consommation. Non, non, installez une sorte de contrôle parental, une application que vous programmez pour vous autoriser une durée quotidienne d’usage des réseaux sociaux. Lorsque votre temps est écoulé, c’est terminé. Impossible d’accéder à vos réseaux sociaux. Il faudra attendre le lendemain. Mieux encore, parce que votre cerveau serait capable de contourner l’obstacle en saisissant le mot de passe pour débloquer l’accès : demandez à un ami de saisir un code incraquable. Voilà, plus besoin d’effort de volonté, votre application est verrouillée et vous ne pouvez plus vous en servir.
L'importance du modèle parental pour gérer les écrans
Être un exemple plus qu’un contrôleur d’écrans
En tant que parent, comment se comporter avec nos jeunes et leur addiction aux écrans ?
« La parole enseigne, l'exemple entraîne. Donc c'est clair qu'on commence par l'autodiscipline. Si j'aime avoir un impact, une influence, alors autant que j'incarne moi-même le style de vie que je pense être plus profitable », explique Yves-Alexandre Thalmann.
Il ne croit pas en l’efficacité de privation que pourraient mettre en place les parents. La jeune génération a globalement trop d’avance en matières de compétences techniques pour que la plupart des parents puissent rivaliser. On peut tenter de bloquer le Wifi, mais attendez-vous à ce que votre enfant trouve le mot de passe ou le contourne. Vous pouvez exiger que les téléphones soient posés hors des chambres… alors vérifiez bien que la carte SIM est toujours à l’intérieur, car qui vous dit que votre enfant n’a pas un autre portable dans sa chambre.
Si l’on reprend l’exemple d’Ulysse, il faut bien voir que ce ne sont pas les marins qui ont sauté sur lui, tout comme les parents pourraient entraver leur enfant. C’est Ulysse qui a décidé. Si on nous impose quelque chose et que notre liberté s’en trouve réduite, on va tout faire pour contrer ce contrôle. Par contre, si on a pris conscience qu’on souhaite que quelque chose change, on va pouvoir exercer sa « liberté suprême » en se fixant des contraintes à soi-même.
💡 N’hésitez pas à découvrir le point de vue d’Amélia Matar, cofondatrice de Colori, sur l’usage des écrans.
A travers la fresque des écrans et des ateliers de manipulation, Colori vise l’éducation des enfants au numérique.
Sensibiliser à l’addiction aux écrans pour favoriser la prise de conscience
Le problème, c’est qu’on a été élevé dans une autre approche. On fait les choses parce qu’on a envie. Or, la vie, ce n’est pas que ça. La vie, ce sont aussi des obligations. Certains jeunes finissent par s’obliger eux-mêmes, ils acceptent de se fixer un contrat. Souvent, ils ont déjà payé un prix assez fort, en ratant une année de scolarité, des examens, etc. À partir du moment où ils sont en capacité de dire qu’ils ont besoin d’aide, qu’ils ne vont pas y arriver, alors un bout du chemin est fait. Dire, montrer le problème d’addiction aux écrans ne suffit pas. Il faut que les personnes en prennent elles-mêmes conscience.
La persistance de la tentation face aux écrans
Notre fonctionnement est tel qu’on cherchera la gratification immédiate. Entre ouvrir un livre de maths pour faire des exercices, apprendre du vocabulaire d’une langue étrangère ou se faire plaisir dans l’immédiat en consultant des stupidités sur les réseaux sociaux, le choix peut être vite fait. Y.A. Thalmann a pu mener des expériences avec des jeunes qui, pendant une semaine thématique, vont dans la nature, explorent et acceptent de renoncer à leur téléphone. Bien que ravis de l’expérience, persuadés qu’on peut vivre sans téléphone, ils y retournent sitôt qu’ils en ont la possibilité. Même après avoir constaté tous les bénéfices apportés par une réduction de leur temps d’écran, comme la lecture, le sport, les sorties entre amis, certains replongent.
Pour Y.A. Thalmann, le combat est perdu sauf si on pose un cadre. C’est le principe des obligations, mais en autocontrainte. La connaissance du cerveau nous permet de poser un cadre en toute liberté, pour atteindre nos objectifs dans le moyen et dans le long terme, plutôt que de céder au champ des sirènes.
Une utilisation intelligente des écrans
Les dernières études sur le sujet des écrans montrent que ce n’est pas le temps qu’on passe derrière les écrans qui pose problème, mais la façon de passer ce temps. Regarder intelligemment les écrans, c’est le faire de façon active. Choisir ce que l’on regarde et quand on le regarde.
« C'est l'inverse de la télévision où j'ai du temps à perdre, je m'assois dans le sofa, je prends la zapette et puis je regarde toutes les bêtises qui passent par là. C'est ça qu'il ne faut pas faire. Autrement dit, quand je consulte mon téléphone, c’est parce que je vais chercher une information, parce que je veux écrire un mail, parce que je veux faire une photo, mais pas parce qu'il y a une notification qui me dit qu'il y a quelque chose qui est arrivé », explique Yves-Alexandre Thalmann.
3 conseils pour lutter contre l’addiction aux écrans
Yves-Alexandre Thalmann conseille donc de :
Désactiver toutes les notifications, toutes les fonctionnalités par défaut des applications que l’on a téléchargées. Ce sont justement elles qui captent notre attention.
Se fixer une durée d’utilisation, quitte à utiliser une application de contrôle… dont le code ne sera éventuellement connu et disponible qu’auprès d’un ami.
Trouver l’équilibre entre les contraintes, les obligations et le plaisir immédiat, dont on sacrifie certains moments pour des visées à moyen-long terme.
Références :
Dans l’épisode de podcast, Yves-Alexandre Thalmann mentionne le documentaire d’Arte, Dopamine.
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