Les lycées professionnels en France avec Dylan Ayissi #166
En France, la filière professionnelle fait régulièrement parler d’elle. Conçue initialement pour proposer un enseignement pratique et professionnel aux jeunes, elle est malheureusement trop souvent perçue comme un système qui reproduit les inégalités sociales. Dylan Ayissi, ancien élève de lycée professionnel, est fondateur d’Une Voie pour Tous. Cette association œuvre au changement de regard porté sur les lycées professionnels. Au micro des Adultes de Demain, Dylan Ayissi explique en quoi le lycée professionnel perpétue les disparités socio-économiques. Il évoque les problèmes de cette orientation trop fréquemment subie. Mais il ne baisse pas les bras. Son association multiplie les actions pour redonner la place qu’elle mérite à la filière professionnelle.
Les lycées professionnels, reproduction d’inégalités sociales et scolaires
Qu’appelle-t-on la voie professionnelle ?
Les lycées professionnels sont apparus en 1985, dans la lignée des lycées d’enseignement professionnel, nés en 1977. Ils ont notamment été créés pour atteindre l’objectif des 80% de réussite au bac, promis en 1981. Ils faisaient partie de la réponse à cette question : comment augmenter le taux de jeunes qui obtiennent le bac ?
À cette époque, une partie des élèves n’obtenait pas le précieux sésame parce qu’ils rejoignaient précocement (niveau 5ᵉ) des voies de professionnalisation. Mais déjà, la population concernée par ces orientations était majoritairement issue des milieux défavorisés.
La philosophie du lycée professionnel, c’est de former initialement une élite ouvrière. Historiquement, cela s’entendait, car l’industrie était encore prospère. Et elle avait besoin d’ouvriers qualifiés dans un tas de métiers. La voie professionnelle n’était alors synonyme ni de désintérêt ni d’échec social.
Aujourd’hui, 40% des élèves des lycées professionnels se concentrent dans les filières du tertiaire : vente, gestion, administration, commerce, logistique, soins à la personne… Si les besoins d’ouvriers qualifiés sont certes moins grands, Dylan Ayissi regrette que les filières qui accueillent le plus d’élèves soient celles qui coûtent le moins cher en termes d’installations…
État des lieux des lycées professionnels en France
Les lycées professionnels représentent un tiers des élèves du secondaire. Ils proposent plus de 250 filières, avec comme vu précédemment, une orientation majoritaire vers les métiers du tertiaire.
Les enfants issus de milieux défavorisés ont 93% de chances en plus d’être orientés en bac pro. Ce score monte à 169% pour l’orientation en CAP. 60% des élèves en lycée pro ont au moins un an de retard scolaire. Et 60% des titulaires d’un bac pro sont au chômage six mois après l’obtention de leur diplôme. Pour Dylan Ayissi, cette dernière donnée est notamment due au fait que les élèves orientés vers les métiers du tertiaire n’ont finalement pas envie de travailler dans ce secteur. « Ils ne trouvent pas de métier qui corresponde à leurs ambitions ». C’est une conséquence de l’orientation subie et non choisie.
L’autre raison qui peut expliquer ce taux de chômage très élevé est liée aux faiblesses académiques des élèves. Ils arrivent bien souvent en lycées pro avec énormément de retard scolaire, en particulier sur les savoirs fondamentaux. Ils ont aussi des bagages sociaux très lourds. Dans ces établissements, beaucoup de choses se jouent qui ne sont pas forcément scolaires. Dylan Ayissi explique : « Le lycée pro n’est pas nécessairement un espace de scolarisation… Il y a tout un tas de choses à rattraper avant de mettre à niveau la scolarité pure, l’académique ». Lui-même explique n’avoir réussi à produire des phrases sans fautes d’orthographe importantes qu’à partir de la licence. Ces compétences fragiles pénalisent les élèves dans leur vie et mobilité professionnelles.
La filière professionnelle chez nos voisins européens
Le fait que ce soit prioritairement les élèves en difficultés scolaires et sociales qui soient orientés vers les filières professionnelles est une situation internationale. Néanmoins, en Europe, quelques pays tirent leur épingle du jeu et montrent de beaux exemples de réussite dans la voie professionnelle. C’est le cas de la Suisse, de l’Allemagne. Dans ces pays, les élèves se dirigent majoritairement, par choix, vers les établissements scolaires professionnels. De vrais parcours d’ascension sociale les y attendent, notamment dans les filières industrielles. Ainsi, on peut commencer par un bac pro de tourneur-fraiseur et finir par un diplôme d’ingénieur. C’est très compliqué d’avoir un tel parcours aujourd’hui en France.
À titre de comparaison, dans un des épisodes du podcast La revanche des pros, un ancien élève de filière professionnelle, Marwan Mohamed, passé par les cases BEP compta, déscolarisation, puis reprise d’études, et aujourd’hui sociologue, disait clairement : « le lycée pro, c’est tout sauf un endroit de scolarité. Beaucoup de choses s’y jouent, mais pas nécessairement liées au parcours scolaire, à l’école ».
Quels regards sur l'orientation professionnelle ?
Pourquoi la filière professionnelle est-elle dévalorisée ?
Pour Dylan Ayissi, deux raisons expliquent le regard négatif porté sur les lycées professionnels.
En France, le rapport au diplôme est encore prépondérant, comme s’il conditionnait la réussite future. Par ailleurs, certains métiers, notamment ceux dits intellectuels, sont « surcotés ». Ils sont plus reconnus et mis en valeur que les professions techniques et manuelles. Tout un champ de qualités et de capacités n’est donc pas développé et exploité dans le cadre scolaire classique. L’école est essentiellement structurée pour enseigner ces compétences « intellectuelles ». Et celles-ci nécessitent un cadre d’apprentissage serein.
Les élèves qui peinent à développer ces compétences seront de fait prioritairement orientés vers la filière professionnelle. Cette dernière développe avant tout d’autres compétences que celles travaillées en voie générale. Mais la société donne un ordre d’importance aux savoirs et classe ceux techniques et manuels en bas de l’échelle.
Les études montrent qu’il faut généralement six générations pour espérer avoir une ascension sociale et que le parcours scolaire est étroitement lié au parcours social. Le lycée professionnel va donc concentrer les élèves issus de ces milieux défavorisés. La mixité sociale ne se fait pas. Les forces de l’ordre interviennent régulièrement pour récupérer certaines personnes. Des étudiants allophones vivent dans des conditions dramatiques, sans domicile, avec le risque de se faire expulser à tout moment. Alors même si les élèves bénéficient de cours pour rattraper les compétences en français et en math et d’autres animés par des gens qui viennent du monde professionnel, l’image renvoyée ne donne pas envie.
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Quelles sont les pistes pour changer de regard sur les lycées professionnels ?
L’évolution passera par la prise de conscience de la nécessité de s’adapter au marché et aux besoins vitaux. Pour Dylan Ayissi, l’enseignement professionnel pourra répondre à de nombreuses questions sur la transition environnementale par exemple. On commence à se rendre compte que c’est là que pourront être formés des gens, à condition qu’ils soient épanouis dans leur cadre de formation. La filière professionnelle va pouvoir préparer des personnes compétentes, opérationnelles rapidement, qualifiées pour accompagner les transitions qui s’amorcent. C’est une première piste pour modifier la vision que la société a des lycées professionnels.
La deuxième piste passe par la transformation du récit qui entoure la voie professionnelle. Ainsi, dans ce cadre, une expérimentation est lancée avec Sciences Po Paris. Pour la première fois, des élèves de lycées pro vont pouvoir candidater à l’intégration de cette école. L’objectif est de faire évoluer les réponses aux questions suivantes : « comment se voit-on lorsqu’on est envoyé, orienté dans la voie professionnelle ? Quelle perspective d’ambition a-t-on pour soi-même ? Quelle valeur se donne-t-on ? ». Le lycée pro ouvre la porte à l’innovation sociale. Tout reste à penser, imaginer, faire.
Enfin, on constate un regain d’intérêt en France pour les métiers plus manuels. Effet post Covid ou pas, de nombreux jeunes, voire moins jeunes, ont envie de se reconvertir vers des métiers plus porteurs de sens, plus créatifs. Des métiers dans lesquels ce qu’ils conçoivent se matérialise. Effectivement, on voit des individus qui ont fait une grande école, puis qui se réorientent vers des filières plus manuelles. L’inverse n’est pas contre, pour le moment, pas possible (ou en tous les cas, très difficile).
Pour Dylan Ayissi, « dans l’environnement des lycées professionnels, on conditionne à voir le travail comme quelque chose qu’on fait pour se nourrir. Or, on pourrait changer cette image du lycée professionnel si on considérait le travail comme quelque chose qui nous épanouit ». L’enjeu principal est à ses yeux la question du choix. Plus nombreuses seront les personnes à se réorienter vers ces métiers par envie, plus cette filière sera valorisée.
L’orientation en lycée professionnel, chance ou punition ?
Échec et punition
Actuellement, être orienté en lycée professionnel est vécu comme un échec par la majorité des élèves concernés. C’est comme la concrétisation de toutes les difficultés scolaires accumulées au primaire puis au collège. C’est une punition, une sanction du parcours scolaire. Si cette annonce ne surprend pas certains, car aucun autre choix ne s’offre à eux, pour d’autres, cette décision peut être très douloureuse. Tant pour l’élève que pour ses parents, qui reçoivent toute l’image négative véhiculée pour le moment par la filière professionnelle.
L’échec est donc fortement ressenti, mais également partagé. À tel point, que ce sujet n’est jamais abordé entre élèves de lycées pro. À l’exception de quelques lycéens qui choisissent certaines filières en connaissance de cause, par envie et passions, tous savent pourquoi ils ont atterri dans un tel établissement.
Parallèlement, la compétition disparaît, puisqu’« on se retrouve entre perdants et qu’il n’y a plus de meilleurs », explique Dylan Ayissini. Cela permet à certains élèves de regagner confiance en eux.
Le rôle des parents dans les choix d’orientation en filière pro
Deux situations se rencontrent :
Les parents au fait des questions d’orientation et qui connaissent les codes de l’institution scolaire. Pour peu qu’ils soient bien à l’écoute de leur enfant, ils vont pouvoir l’accompagner pour peut-être l’aider à choisir plutôt que subir une filière professionnelle.
Les familles qui sont perdues face au parcours scolaire. Il faudrait qu’elles puissent s’entourer des gens qui ont l’information pour défendre au mieux l’orientation de leur enfant. Il ne s’agit pas forcément de se battre pour une inscription en lycée général, mais pour envisager toutes les possibilités en filière profesionnelle et opter pour celle qui répondra le mieux aux ambitions du lycéen. Encore faut-il qu’il ait connaissance du panel de formations possibles et qu’il ne soit pas orienté par défaut vers un secteur qui ne lui conviendra pas.
Dylan Ayissi insiste sur l’importance de donner de la confiance à son enfant, de sorte qu'il puisse suivre sa vocation, suivre ce qu'il a envie de faire. Il ajoute que l'école doit être pensée en forum éducatif et en espace de rencontres sociales.
Les actions d’Une Voie pour Tous
L’association Une voie pour tous a un premier champ d’action tourné vers le plaidoyer :
Travail sur du texte parlementaire avec des députés et sénateurs de tous bords politiques, sur la question de la valorisation de l’enseignement professionnel.
Production d’événements pour aborder divers sujets (Le dîner des pros, espace de discussion et de réflexion sur la voie professionnelle, autour d’anciens et anciennes élèves avec le directeur de cabinet du ministre en charge de l’enseignement professionnel ; le Grand Hackathon de l’orientation à l’Assemblée nationale avec 100 élèves de la voie professionnelle qui ont réfléchi aux meilleures propositions en lien avec les questionnements soulevés par la filière professionnelle, etc.)
Travail avec le ministère de l'Industrie sur la rénovation du secteur industriel, sa dynamisation, sa mixité, etc.
L’association dispose également d’un laboratoire d'expérimentation d’innovations pédagogiques au service du plaidoyer. Ainsi, de 2023 à 2025, trois expérimentations devraient être lancées parmi lesquelles :
La coopération éducative : Comment est-ce qu'on arrive à ouvrir l'institution scolaire aux acteurs éducatifs ? Cette expérimentation est déployée dans trois établissements professionnels.
Un programme d'accompagnement inédit sur trois lycées pros à Sarcelles, Doullens et Marie-Galante pour accompagner des élèves de lycées pros jusqu'au concours de Sciences Po Paris.
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