Enfants et nature : reconnecter les enfants à l’agriculture avec Marie-France Barrier #220
Les enfants et la nature : comment recréer du lien avec le vivant ? Aujourd’hui, beaucoup d'enfants grandissent loin des forêts, des champs et des fermes. Leur quotidien est marqué par des écrans, des espaces bétonnés et une alimentation dont ils ignorent souvent l’origine. Ce lien rompu avec le vivant a pourtant des conséquences profondes. Il limite leur compréhension du monde naturel, appauvrit leur imaginaire et les prive d’expériences essentielles à leur développement.
Renouer avec la nature est bien plus qu’un simple plaisir. C’est un enjeu éducatif, écologique et humain. Observer un arbre, toucher la terre, comprendre le rôle des agriculteurs, autant d’expériences qui façonnent une conscience plus respectueuse de l’environnement. Comme le souligne Marie-France Barrier, réalisatrice et fondatrice de l’association Des Enfants et des Arbres, les arbres « nous parlent beaucoup de ce qu'est l'être humain aujourd'hui. Ces êtres sont comme nous, verticaux, avec toute cette symbolique, mais cette réalité d'être très enracinés, ici et maintenant et de grandir, cycle après cycle vers la lumière en étant en connexion avec tout plein d'autres être vivants. »
Pourquoi est-il essentiel de reconnecter les enfants et la nature ?
Les enfants ont un besoin inné de connexion avec le vivant. Dès leur plus jeune âge, ils explorent le monde avec leurs sens. Observer un insecte, sentir l’écorce d’un arbre, écouter le bruissement des feuilles… Ces expériences façonnent leur rapport au réel. La nature est un espace d’apprentissage naturel, où chaque découverte stimule la curiosité et l’autonomie.
Grandir au contact du vivant apporte aussi de nombreux bienfaits pour le développement. Être dehors :
réduit le stress ;
améliore la concentration ;
favorise l’éveil sensoriel.
Contrairement aux environnements artificiels, la nature est imprévisible. Elle encourage l’adaptabilité, l’expérimentation et l’imagination.
Pour Marie-France Barrier, l’arbre est bien plus qu’un élément du paysage. C’est un compagnon de vie.
« Très tôt, j’ai trouvé dans la forêt une présence, un réconfort, confie-t-elle, ayant souffert d'être une enfant unique.[...] J'ai trouvé ce lien, cette protection et en fait, un vrai sentiment de complicité dans cet univers foretier. Je fais partie des gens qui, depuis maintenant des décennies, ont un rapport très tactile à l'arbre, parce que le toucher, l'enlacer, ça a vraiment été quelque chose qui m'a appelée. »
Marie-France Barrier avoue avoir eu spontanément cette connexion au végétal, comme d'autres peuvent l'avoir avec le monde animal. L'arbre l'inspire. Elle a le sentiment de beaucoup apprendre d'eux, en les observant, en les écoutant, en les comprenant.
L’arbre ne se contente pas d’être un compagnon de vie. Il est aussi un modèle d’organisation et d’harmonie avec le vivant. D'ailleurs, dans son livre La vie secrète des arbres, Peter Wohlleben décrit les forêts comme des systèmes organisés, presque semblables à des sociétés humaines.
« Je pense que c'est plus nous qui devrions tendre à fonctionner comme ces sociétés naturelles, explique Marie-France Barrier. Réapprendre à travailler dans la symbiose, dans la coopération, dans la mutualisation de l’énergie, des informations, des ressources, des nutriments. »
Cette capacité des arbres à interagir avec toutes les formes de vie l’a toujours fascinée. Ils coopèrent avec les champignons, nourrissent les insectes et autres animaux sur et sous terre, protègent les sols et créent des écosystèmes où chaque élément a sa place.
« C’est pour ça que très souvent, on décrit l'arbre comme un chef d’orchestre qui donne du rythme et de l’élan à une symphonie, jouée et cojouée par tellement de formes de vie, dont nous. »
Loin d’être de simples éléments du paysage, les arbres incarnent une philosophie du lien et du partage. Une manière de voir le monde que Marie-France Barrier a voulu transmettre aux enfants. Reconnecter la jeunesse à la nature, c’est lui offrir un modèle d’équilibre et de coopération. C’est ce qui l’a poussée à créer Des Enfants et des Arbres : un projet qui recrée des connexions, non seulement entre les enfants et la nature, mais aussi entre les jeunes générations et ceux qui cultivent la terre.
Rétablir ce lien entre les enfants et la nature, c’est leur offrir un ancrage essentiel dans un monde en perpétuel mouvement.
L’agriculture et les enfants : un lien perdu à reconstruire
Autrefois, les familles entretenaient un lien direct avec l’agriculture. Beaucoup d’enfants grandissaient à la ferme ou participaient aux récoltes chez leurs proches. Aujourd’hui, cette connexion a disparu. En 70 ans, un fossé s’est creusé entre le monde agricole et les nouvelles générations. Les paysages cultivés sont devenus de vastes étendues mécanisées, où les agriculteurs travaillent loin des regards.
Ce métier, pourtant essentiel, est devenu invisible.
« C’est un non-sens total, rappelle Marie-France Barrier. C’est le seul métier dont on dépend tous, et pourtant, il est mis à la marge. Alors qu’il devrait être au cœur du collectif, car il en est le cœur battant. »
Cette déconnexion a des conséquences profondes. Les agriculteurs souffrent d’un manque de reconnaissance, et les enfants grandissent sans savoir d’où vient leur nourriture.
Recréer du lien avec l’agriculture, c’est aussi revaloriser le travail de ceux qui nous nourrissent. Un enfant qui comprend ce qu’il mange développe une relation plus consciente avec son alimentation. Il apprend à voir au-delà du produit fini, à reconnaître les efforts nécessaires pour cultiver une simple carotte. Comme le souligne Marie-France Barrier, un simple geste de gratitude peut déjà changer le regard sur la nourriture.
« On oublie que ce que l’on mange est vivant. On oublie tout le travail derrière. Se rappeler qu’il y a des humains au bout de la chaîne, c’est déjà un premier pas. »
Planter des arbres avec les enfants : une initiative éducative et écologique
Face à l’urgence climatique, planter des arbres avec les enfants est bien plus qu’un simple geste symbolique. C’est une action concrète qui restaure la biodiversité et recrée du lien entre les jeunes générations et la terre, entre les enfants et la nature. C’est tout l’objectif de l’association Des Enfants et des Arbres, fondée par Marie-France Barrier. Depuis sa création, elle a permis la plantation de 42 000 arbres sur les parcelles de 170 agriculteurs, avec l’aide de 5 000 élèves.
Un projet ambitieux qui reconnecte les enfants à la terre et aux hommes qui la cultivent. Plus qu’une action symbolique, planter un arbre devient un engagement fort. Un premier pas vers une relation retrouvée entre les jeunes d'aujourd'hui et le vivant.
L’impact de ces plantations va bien au-delà de l’aspect environnemental. L’arbre devient un support pédagogique à part entière.
« Les enfants plantent des petits arbres pleins de promesses, explique Marie-France Barrier. Ils y voient leur propre avenir. »
À travers cette expérience, ils découvrent le rôle des arbres dans l’écosystème :
protection des sols ;
régulation du climat ;
abri pour la biodiversité.
Ils se familiarisent aussi avec l’agroforesterie, une pratique qui associe cultures et arbres pour un équilibre durable.
L’association accompagne deux types de plantations :
Certaines permettent de restaurer des haies bocagères, ces barrières naturelles qui, autrefois, structuraient le paysage rural. Elles protègent les cultures du vent, enrichissent les sols et offrent un habitat précieux à la biodiversité.
D’autres arbres sont plantés au cœur des champs, en alignements, pour créer des îlots de fraîcheur destinés aux animaux d’élevage.
Ces projets illustrent le rôle clé de l’arbre dans les pratiques agricoles de demain. Il ne se contente pas de pousser, il participe à l’équilibre d’un écosystème vivant, dont l’agriculteur et l’enfant deviennent les acteurs.
Cette démarche repose sur la transmission directe des savoirs. Chaque agriculteur impliqué dans le projet vient d’abord rencontrer sa classe. Il explique son métier, son parcours, et pourquoi il a choisi de planter des arbres. Ce lien concret entre un professionnel et les enfants donne du sens à leur apprentissage.
Les effets sont visibles immédiatement. En plantant eux-mêmes, les enfants prennent conscience de leur capacité à agir.
« Si on leur demande pourquoi ils le font, ils répondent toujours : j’aide la planète », confie Marie-France Barrier.
Cet engagement fait d’eux de véritables ambassadeurs de la nature, capables de porter un regard nouveau sur leur environnement et d’inspirer leur entourage.
©Trinity Kubassek
Comment les enseignants et les parents peuvent-ils recréer du lien entre les enfants et la nature ?
Reconnecter les enfants à la nature passe par des expériences concrètes. Enseignants et parents jouent un rôle clé dans cette démarche. À travers des initiatives éducatives ou des gestes du quotidien, chacun peut contribuer à renforcer ce lien essentiel avec le vivant.
Pour les enseignants : intégrer la nature dans l’éducation
L’école peut devenir un véritable terrain d’exploration du vivant. Marie Petit avait évoqué le sujet de l'école dehors au micro du podcast Les Adultes de Demain.
De nombreux projets sont proposés aux enseignants qui souhaitent être accompagnés dans ce projet d'ouvrir l'école sur le dehors.
Le projet de plantation d'arbres en collaboration avec des agriculteurs, proposé par l’association Des Enfants et des Arbres permet de bien l’apprentissage dans le réel et de donner du sens aux notions abordées en classe.
L’arbre peut également devenir un support pédagogique transversal. Il permet d’aborder :
les sciences, en étudiant son rôle dans l’écosystème ;
l’histoire-géographie, en expliquant l’évolution des paysages agricoles ;
les mathématiques, avec des calculs de croissance, de surface, d'intervalles ;
l’EMC (éducation morale et civique), en sensibilisant à la protection de l’environnement ;
les arts, en s’inspirant des formes et des textures naturelles.
Son association propose également des ateliers saisonniers pour guider les enseignants :
le cycle de la graine à l’automne ;
les racines en hiver ;
les bourgeons au printemps ;
les fruits et fleurs en été.
« On souhaite faire du vivant un partenaire pédagogique au sein des classes ».
Pour les parents : des gestes simples au quotidien
À la maison aussi, il est possible de recréer ce lien. Marie-France Barrier explique qu'un premier pas consiste à se reconnecter à son alimentation :
expliquer d’où viennent les aliments ;
choisir des produits locaux ;
visiter une ferme…
Autant d’actions qui permettent aux enfants de comprendre que ce qu’ils mangent est le fruit d’un long processus.
« On oublie qu’il y a des humains derrière chaque produit. Se rappeler ce chemin, c’est déjà recréer du lien », rappelle Marie-France Barrier.
Les sorties en nature sont aussi essentielles. Même en ville, des alternatives existent : parcs, jardins partagés, promenades au bord d’une rivière… comme le rappelait Joana Da Silva dans l'épisode sur découvrir la nature en ville. L’important est de laisser les enfants observer leur environnement, toucher l’écorce d’un arbre, sentir une feuille, écouter le chant des oiseaux.
Enfin, il suffit parfois de changer de regard. Encourager un enfant à grimper dans un arbre, à le serrer contre lui, à écouter le vent dans ses branches, c’est déjà lui offrir une expérience précieuse.
« Nos rues sont remplies de géants vivants, mais la plupart des gens passent sans les voir », souligne Marie-France Barrier.
Redécouvrir cette présence, c’est inviter les enfants à se sentir, eux aussi, partie prenante du vivant.
Reconnecter les enfants à la nature est une nécessité. Ce lien fondamental nourrit leur curiosité, stimule leur développement et leur offre une meilleure compréhension du monde qui les entoure. L’agriculture, longtemps absente de leur quotidien, redevient un pont vers le vivant grâce à des initiatives concrètes comme Des Enfants et des Arbres.
Planter un arbre, c’est bien plus qu’un geste symbolique. C’est un engagement vers l’avenir, une prise de conscience de notre interdépendance avec la nature.
Chacun peut contribuer à cette reconnexion entre les enfants et la nature :
les enseignants, en intégrant la nature à l'école ;
les parents, en valorisant une alimentation consciente et des moments en plein air ;
les agriculteurs, en partageant leur savoir et leur passion avec les nouvelles générations.
« Toute cette errance, c’est la nôtre, pas la leur. Le virage à venir, on va le faire avec eux », affirme Marie-France Barrier en parlant du monde agricole.
Pour les enfants, chaque action compte. En plantant un arbre, ils prennent conscience de leur pouvoir d’agir.
« Oui, je suis capable, oui, je peux faire la différence, oui, c’est éminemment joyeux et impactant de se mettre en lien, de travailler en équipe, et ça marche », confie Marie-France Barrier.
Références :
Paysans : le champ des possibles, Marie-France Barrier, Céline Gandner, Marie Jaffredo, Les Escales, 2023
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