Jesper Juul : repenser la relation adulte-enfant avec David Dutarte #225
Et si nous changions radicalement notre manière d’envisager notre modèle éducatif et notamment la relation adulte-enfant ? C’est le pari qu’a fait Jesper Juul, thérapeute familial danois et auteur de l’ouvrage Regarde... ton enfant est compétent. Figure majeure de l’éducation bienveillante en Scandinavie et en Allemagne, il reste pourtant peu connu en France, où les modèles éducatifs traditionnels sont encore profondément ancrés dans une vision hiérarchique de l’autorité. À contre-courant des approches descendantes qui imposent l’obéissance aux enfants, Jesper Juul propose une vision fondée sur l’équidignité : un respect mutuel entre l’enfant et l’adulte, où chacun a la même valeur en tant qu’être humain.
David Dutarte est le spécialiste français de son travail et traducteur de ses écrits. Responsable du réseau Familylab France - le laboratoire des familles, il est aussi l'auteur de l'ouvrage, De l’équidignité, cultiver cette présence qui fait grandir, aux éditions Fabert. Au cours de cet épisode du podcast les Adultes de Demain, il revient sur l'approche éducative proposée par Jesper Juul. Il explique en quoi elle permet de remplacer l’obéissance par la responsabilité, l’autorité descendante par une guidance bienveillante, et le contrôle par une véritable confiance réciproque. Une philosophie éducative qui pourrait bien transformer nos relations avec les enfants… et avec nous-mêmes.
Jesper Juul : une nouvelle vision des relations éducatives
David Dutarte tombe dans la marmite Jesper Juul alors qu'il va devenir papa. On lui offre le livre Regarde... ton enfant est compétent écrit par le thérapeute et dès les premières pages, il découvre que l'objectif de cet ouvrage,
« c'est de montrer que l'essentiel de ce qu'on appelle traditionnellement éducation, non seulement c'est superflu, mais c'est nocif. Nocif parce que c'est malsain pour l'enfant, parce que ça empêche l'épanouissement des enfants et des adultes. Et puis que ça fausse les relations, en fait, d'une manière toxique ».
L’éducation traditionnelle repose encore largement sur une vision hiérarchique de la relation adulte-enfant, où l’adulte impose les règles et où l’enfant est sommé d’obéir. Jesper Juul propose une alternative radicale : une éducation fondée sur la confiance, le respect mutuel et l’accompagnement du développement naturel de l’enfant.
Dans cette approche, l’adulte n’est plus un dominateur qui impose son autorité, mais un guide bienveillant, attentif aux besoins de l’enfant sans renoncer à sa propre intégrité. C'est une vision qui transforme profondément les dynamiques éducatives et remet en question de nombreux dogmes encore bien ancrés.
Une approche qui va au-delà de l’éducation traditionnelle
L’une des critiques majeures de Jesper Juul concerne la façon dont l’autorité est souvent définie en fonction du statut de l’adulte plutôt que de ses actes.
Dans le modèle éducatif traditionnel, le respect est souvent perçu comme une obligation liée au rôle : l’enfant doit obéir à son parent parce qu’il est parent, respecter son enseignant parce qu’il est enseignant. L’autorité repose alors sur une hiérarchie figée, où l’enfant est considéré comme un subordonné.
David Dutarte souligne cette distinction :
« Dans ce modèle vertical descendant, il y a un respect qui est à sens unique. L’enfant doit respecter l’adulte parce que c’est un adulte. L’enfant doit respecter son parent parce que c’est son parent. L’enfant doit respecter son enseignant parce que c’est son enseignant. »
À l’inverse, Jesper Juul propose de sortir de cette logique de domination en instaurant un respect basé sur l’intégrité personnelle de l’adulte, et non sur son statut. L’enfant apprend à respecter l’adulte parce qu’il incarne le respect, la clarté et la cohérence, et non parce qu’il est en position d’autorité.
Depuis des générations, l’éducation repose sur un schéma rigide : les adultes donnent des ordres, les enfants obéissent. Cette logique descendante façonne encore largement notre manière de voir l’autorité : l’enfant est perçu comme un être inachevé, qui doit être façonné et discipliné pour devenir un adulte accompli.
Jesper Juul s’oppose fermement à cette vision. Selon lui, exiger l’obéissance d’un enfant n’a jamais contribué à son épanouissement, mais bien au contraire, a souvent nuit à son estime de soi.
« Dans l’approche autoritaire, on n’apprend pas à l’enfant à respecter l’adulte, on lui apprend à le craindre », explique David Dutarte
Plutôt que de chercher à obtenir une soumission aveugle, Jesper Juul propose une autre voie : celle de la responsabilité partagée. Il insiste sur le fait qu’un enfant, pour apprendre à respecter les autres et lui-même, doit évoluer dans un cadre où son propre ressenti et ses émotions sont entendus et pris en compte.
Une éducation stricte basée sur la contrainte produit des adultes qui ont appris à obéir, mais pas à penser par eux-mêmes.
Or, si l’enfant apprend uniquement à obéir à des ordres sans en comprendre le sens, il devient soit un adulte qui se soumet sans réfléchir, soit un adulte en révolte contre toute forme d’autorité. Dans les deux cas, il n’a pas intégré la notion de responsabilité personnelle.
Ce modèle dominant-dominé, encore largement présent en France, est donc profondément remis en question par Jesper Juul, qui plaide pour une relation éducative plus équilibrée où l’enfant est reconnu comme un individu à part entière, avec des droits et une voix qui mérite d’être écoutée.
L’enfant, un être compétent dès la naissance
L’un des concepts majeurs développés par Jesper Juul est celui de l’enfant compétent. Contrairement à la croyance selon laquelle un enfant naîtrait égoïste, asocial et dominé par ses pulsions, les recherches en psychologie et en neurosciences montrent aujourd’hui qu’un nourrisson est, dès la naissance, un être de relation et d’empathie.
« L’enfant est un être social, un être tourné vers les autres, un être d’empathie dès la naissance, voire même avant », précise David Dutarte.
Autrement dit, un bébé ne « manipule » pas ses parents, il exprime ses besoins de la seule manière qu’il connaît. Il n’a pas besoin qu’on le dresse ou qu’on le contraigne pour apprendre à vivre en société : il est naturellement programmé pour interagir avec son entourage et développer des relations harmonieuses.
Pourtant, nos modèles éducatifs traditionnels ont longtemps nié cette réalité, considérant que l’enfant devait être corrigé et formaté pour correspondre à un certain idéal d’obéissance et de discipline.
Ce décalage a souvent conduit à couper l’enfant de son propre ressenti. Lorsqu’un enfant manifeste une émotion forte (colère, tristesse, peur), il est souvent réprimandé, minimisé, voire moqué.
« Nous avons grandi dans des systèmes où les émotions des enfants étaient ignorées, réprimées ou jugées excessives. Mais en refusant aux enfants le droit d’exprimer ce qu’ils ressentent, nous les privons d’un élément fondamental de leur développement », explique David Dutarte.
Un enfant qui n’apprend pas à reconnaître et exprimer ses émotions de manière saine risque de devenir un adulte qui ne sait pas écouter ses propres besoins.
L’enjeu fondamental soulevé par Jesper Juul est donc de considérer l’enfant non pas comme un être inférieur à modeler, mais comme un individu à part entière, digne de respect dès le premier jour de sa vie.
En abandonnant l’idée d’un rapport de force entre l’adulte et l’enfant, et en reconnaissant dès la naissance les compétences relationnelles de ce dernier, Jesper Juul ouvre la voie à des relations plus harmonieuses, basées sur le respect, la confiance, l’écoute et la qualité des relations.
L’équidignité : une relation fondée sur le respect mutuel
L’un des concepts centraux développés par Jesper Juul est l’équidignité, un terme qui peut sembler abstrait au premier abord, mais qui constitue en réalité une véritable clé pour des relations équilibrées entre adultes et enfants.
Plutôt que de s’inscrire dans un schéma autoritaire, où l’adulte impose son pouvoir, ou permissif, où l’enfant est laissé sans cadre, l’équidignité repose sur une idée simple : chaque individu, quel que soit son âge, mérite le même respect dans sa dignité et son intégrité.
Comme l’explique David Dutarte, ce n’est pas l’enfant qui doit obéir aveuglément à l’adulte, ni l’adulte qui doit tout céder à l’enfant, mais bien une dynamique relationnelle où chacun est écouté et reconnu dans ses besoins.
Qu’est-ce que l’équidignité ?
Le terme équidignité est une traduction du mot scandinave utilisé par Jesper Juul pour désigner un respect identique accordé à l’enfant et à l’adulte. Il est composé de « dignité » et « équi », qui évoque l’égalité dans le respect, sans pour autant nier la différence de rôles entre les générations.
Contrairement aux modèles éducatifs classiques, l’équidignité ne repose pas sur une autorité descendante, mais sur une reconnaissance réciproque des besoins et des émotions.
« L’enfant doit respecter l’adulte, mais l’adulte doit aussi respecter l’enfant. Si nous voulons que l’enfant nous respecte, il faut d’abord que nous lui montrions comment faire », partage David Dutarte.
Dans cette vision, ce qui compte n’est pas l’âge ou le statut, mais la qualité de la relation. L’adulte conserve bien sûr un rôle de guide, mais il ne s’impose pas comme une figure de contrôle absolu.
Cette approche permet d’éviter les deux écueils classiques de l’éducation :
L’autoritarisme, qui écrase les besoins et émotions de l’enfant au nom du respect de l’adulte.
Le laxisme, qui empêche l’enfant de construire des repères solides.
Ces deux points ont d'ailleurs été abordés dans l'épisode avec Isabelle Filliozat sur comment éduquer sans violence ni laxisme.
L’équidignité n’efface pas les rôles, elle les ajuste pour que chacun puisse s’épanouir dans une relation fondée sur la compréhension et le respect mutuel.
Construire une relation de confiance : le rôle de l'adulte
Si l’équidignité repose sur une égalité de respect entre adultes et enfants, elle ne signifie pas pour autant une relation sans cadre ni limites. Au contraire, c’est en instaurant un socle de confiance que l’enfant apprend à se sentir en sécurité et à coopérer naturellement avec l’adulte.
« Sans confiance, il y a méfiance. Et une relation fondée sur la méfiance entraîne nécessairement du contrôle, de l’incompréhension et des conflits », précise David Dutarte.
L’un des piliers essentiels de cette relation de confiance est la reconnaissance des émotions et des besoins, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte.
Concrètement, cela implique :
d’accueillir les émotions de l’enfant sans les minimiser (« Tu n’as pas à pleurer ») ou les réprimer (« Arrête de crier ! ») : écouter et lire à ce sujet, Roseline Roy sur l'accueil des émotions, grande figure de Faber et Mazlish en francophonie, approche dont Guila Clara Kessous s'était faite l'écho au micro des Adultes de Demain ;
d’exprimer ses propres ressentis en tant qu’adulte de manière authentique (« Là, je me sens fatigué, j’ai besoin de calme ») ;
de poser des limites claires tout en restant bienveillant (« Je comprends que tu sois en colère, mais je ne peux pas te laisser taper »).
Quand un enfant voit que son parent ou son éducateur est lui-même capable d’exprimer ses émotions et d’écouter celles des autres, il apprend naturellement à faire de même.
« Un parent qui est clair, qui exprime ses limites avec authenticité, est un repère sécurisant pour l’enfant. À l’inverse, un adulte qui oscille entre autoritarisme et permissivité crée de l’instabilité et du stress chez l’enfant », partage David Dutarte.
Le rôle de l’adulte est donc d’incarner une autorité bienveillante, basée sur la cohérence et la transparence.
L’un des aspects fondamentaux de l’autorité est souvent oublié : son lien avec le verbe autoriser. Un adulte qui exerce son autorité ne cherche pas à obtenir une obéissance aveugle, mais à poser des cadres clairs et réfléchis en fonction des besoins de chacun.
Comme l’explique David Dutarte :
« Il y a des moments où on ne peut pas satisfaire aux demandes de l’enfant, et c’est important de pouvoir dire non. Et donc être dans une forme d’autorité, si je reviens peut-être à l’origine du mot, dans ‘autorité’ il y a ‘autoriser’. L’adulte autorise ou non. Parfois, on va dire oui, et parfois, on va dire non. »
L’autorité ne se définit donc pas par la contrainte, mais par la capacité à poser un cadre juste, explicite et respectueux des besoins de chacun.
L’équidignité, telle que pensée par Jesper Juul, invite à une transformation profonde de notre posture éducative. Il ne s’agit plus d’exiger le respect par la peur ou l’autorité brute, mais de montrer l’exemple en incarnant nous-mêmes le respect et l’authenticité dans nos relations avec les enfants.
©Gabby K
Relation adulte-enfant : repenser l’autorité avec Jesper Juul
Pourquoi l’obéissance comme objectif éducatif est un problème ?
Pendant longtemps, l’éducation a reposé sur un principe simple : « un enfant bien élevé, c'est un enfant docile, obéissant, sage ». On valorise ceux qui « filent droit », écoutent sans discuter et ne remettent pas en question l’autorité de l’adulte.
Mais Jesper Juul remet radicalement en question cette idée. Il explique que l’obéissance imposée n’est ni un signe de respect ni un gage de réussite éducative. Au contraire, elle peut avoir des conséquences néfastes sur le développement de l’enfant.
L’autorité ne se décrète pas, elle se construit à travers une posture claire, respectueuse et cohérente. Il ne s’agit pas de se positionner dans un rapport de force avec l’enfant, mais d’incarner une autorité authentique, capable de poser un cadre tout en respectant les besoins et émotions de chacun.
« Si nous voulons que l’enfant nous respecte, nous devons nous-mêmes incarner ce respect. L’obéissance imposée par la peur ou la contrainte ne crée pas du respect, mais de la soumission », explique David Dutarte.
Parmi les dangers d’une éducation basée sur l’obéissance, David Dutarte mentionne :
Un frein à l’esprit critique : un enfant qui obéit sans réfléchir ne développe pas sa capacité à analyser, questionner et prendre des décisions en conscience.
Une fragilisation de l’estime de soi : s’il ne peut pas exprimer ses émotions ou ses désaccords, il risque de se couper de son ressenti et de rencontrer des difficultés à poser ses propres limites, en tant qu'enfant et une fois adulte.
Une soumission aux figures d’autorité : si l’on associe le respect à l’absence de contestation, on rend les enfants plus vulnérables aux abus de pouvoir, que ce soit à l’école, dans le monde du travail ou dans leur vie personnelle.
Loin de garantir une éducation réussie, l’obéissance aveugle empêche les enfants de développer autonomie, responsabilité et discernement, trois compétences essentielles pour leur avenir.
L’exemple des pays scandinaves : une prise de conscience précoce
Si la France peine encore à s’affranchir de cette culture de l’obéissance, les pays nordiques ont amorcé une transition bien plus tôt.
Dans les années 1970, la Suède est devenue le premier pays au monde à interdire les violences éducatives, suivie par les autres pays scandinaves. Marion Cuerq en avait parlé dans l'épisode passionnant sur l'éducation en Suède. Dans ces pays du nord de l'Europe, ces débats existaient déjà depuis le début du XXe siècle, bien avant que ces lois ne soient votées.
« Les Scandinaves, il y a 50 ans, ont interdit la fessée. Mais c'était déjà une discussion qui existait depuis le début du XXe siècle. Donc petit à petit, ils sont arrivés à prendre conscience et à prendre en compte les besoins des enfants, au même titre que les besoins des adultes, donc avec un certain temps d'avance sur nous. » — David Dutarte
Jesper Juul a fondé un institut de formation de thérapie familiale au Danemark et rayonnait sur toute la Scandinavie. Et comme il parlait allemand, il a pu très vite partager sa pensée en Allemagne aussi. Son réseau Family Lab, le laboratoire des familles, a été lancé en Allemagne en parallèle du réseau qu'il lançait en Scandinavie. Progressivement, à l'aide du réseau, son influence s'est étendue à l'Europe centrale et aux Balkans. Il a également travaillé en ex-Yougoslavie après les conflits des années 90 et collaboré avec Marshall Rosenberg, le fondateur de la communication non violente (CNV).
En revanche, son travail reste peu connu en France, en Espagne et en Italie..., où l’éducation demeure plus hiérarchique et autoritaire. Cette résistance culturelle freine la diffusion de son approche, pourtant adoptée avec succès dans d’autres pays européens. La France n’a ainsi interdit les violences éducatives ordinaires qu’en 2019, après de longues résistances culturelles et politiques.
David Dutarte évoque plusieurs hypothèses sur la résistance des pays latins à adopter une approche éducative fondée sur l’équidignité. Il mentionne notamment :
l’héritage philosophique et intellectuel (Descartes, la séparation corps-esprit, l’influence forte de la psychanalyse en France) ;
la culture de l’obéissance et du respect à sens unique (où l’enfant doit respecter l’adulte, mais pas l’inverse) ;
une influence religieuse forte, notamment celle du catholicisme, qui a pu renforcer l’idée d’une relation hiérarchique entre adultes et enfants.
Aujourd’hui, la différence est palpable entre les enfants ayant grandi dans une culture de respect mutuel et ceux ayant été élevés avec une autorité descendante.
En Scandinavie, plusieurs générations ont grandi sans violences éducatives, ce qui a profondément transformé leur rapport aux adultes et à l’autorité. Les enfants y sont respectés en tant qu'individus, comme l'expliquait Léa Johansen, du blog Manipani, dans l'épisode sur la parentalité scandinave. Ils sont encouragés à exprimer leurs émotions, à prendre des décisions et à être autonomes dès leur plus jeune âge.
En France, les mentalités évoluent plus lentement. L’obéissance reste largement valorisée dans l’éducation, et la notion de respect est encore souvent perçue comme unidirectionnelle.
« En France, on est encore profondément ancrés dans l’idée que l’enfant doit respecter l’adulte. Alors oui, l’enfant doit respecter l’adulte, mais si on veut qu’il le fasse sincèrement, nous devons aussi, voire même avant tout, respecter l’enfant. » — David Dutarte
L’une des grandes difficultés à faire évoluer notre rapport à l’autorité en France vient aussi de notre tendance à penser en termes de dualité :
autoritarisme vs. laissez-faire ou laxisme ;
obéissance vs. désobéissance.
Sans parler de la confusion entre autoritarisme et autorité.
Cette pensée binaire empêche de concevoir une troisième voie, celle d’une autorité équilibrée et respectueuse, qui ne repose ni sur la domination ni sur l’abandon de repères.
« L’humain pense en binaire : autoritarisme ou laxisme, obéissance ou désobéissance. On oscille entre ces extrêmes sans voir qu’une autre voie existe. Jesper Juul propose de sortir de ce schéma et d’envisager une relation adulte-enfant fondée sur l’équidignité. » — David Dutarte
Repenser l’autorité : du respect des rôles au respect des individus
L’un des grands changements de perspective apportés par Jesper Juul concerne la manière dont nous concevons l’autorité.
Dans les modèles éducatifs traditionnels, le respect repose sur les rôles :
« Dans ce modèle vertical descendant, en fait, il y a un respect qui est à sens unique. C'est-à-dire que l'enfant doit respecter l'adulte parce que c'est un adulte. L'enfant doit respecter son parent parce que c'est son parent. L'enfant doit respecter son enseignant, sa maîtresse, parce que c'est l'enseignant, la maîtresse. Donc c'est une forme de respect ou une forme d'autorité qui est basée sur les rôles », explique David Dutarte
Ce type d’autorité, basée uniquement sur le statut, impose une soumission aux figures d’autorité sans questionner leur légitimité.
À l’inverse, Jesper Juul défend une autorité fondée sur l’intégrité et la responsabilité personnelle.
L’enfant apprend à respecter un adulte non pas parce qu’il en a l’obligation, mais parce que cet adulte incarne lui-même le respect.
L’adulte devient ainsi un repère et un modèle, et non un chef imposant sa volonté. Il fait autorité par :
sa clarté ;
sa cohérence ;
sa capacité à respecter les besoins des autres.
« En France, on est encore profondément ancrés dans l’idée que l’enfant doit respecter l’adulte. Alors oui, l’enfant doit respecter l’adulte, mais si on veut qu’il le fasse sincèrement, nous devons aussi, voire même avant tout, respecter l’enfant. » — David Dutarte
L’autorité, c’est autoriser et poser un cadre clair
Dans l’imaginaire collectif, l’autorité est souvent associée au contrôle et à la discipline.
« Dans l'approche autoritaire ou autoritarisme, « on n'apprend pas à l'enfant à respecter l'adulte, on apprend à l'enfant à craindre l'adulte » - David Dutarte.
Pourtant, si l’on remonte à l’origine du mot, autorité vient du verbe « autoriser ».
« Il y a des moments où on ne peut pas satisfaire aux demandes de l’enfant, et c’est important de pouvoir dire non. Et donc être dans une forme d’autorité : si je reviens peut-être à l’origine du mot, dans ‘autorité’ il y a ‘autoriser’. L’adulte autorise ou non. Parfois, on va dire oui, et parfois, on va dire non. » — David Dutarte
Alors certes, c'est plus facile de dire oui que non, parce qu'on va satisfaire l'enfant et non le frustrer. Mais dire non, c'est possible si on est dans une « verticalité qui fait écho à la verticalité de l'enfant ». Le non ou le oui de l'enfant sont tout autant entendus que le non ou le oui de l'adulte.
« On va être dans une forme d'autorité qu'on va qualifier de personnelle. C'est-à-dire que l'adulte va se faire respecter pour la personne qu'il est. Et pour ça, Jesper Juul et ses collègues s'appuient sur trois valeurs qui sont
l'intégrité,la responsabilité personnelle et l'authenticité.
C'est-à-dire que quand j'agis de manière responsable, c'est-à-dire que je prends soin de mon intégrité, c'est-à-dire de mes besoins, de mes envies, de mes pensées, et que je respecte en même temps l'intégrité de l'enfant, donc ses besoins, ses envies, et que je le fais de manière authentique, j'inspire le respect pour la personne que je suis, et pas pour juste le rôle que je joue » — David Dutarte.
©Kindelmedia
Retrouver l’enfant en soi pour mieux accompagner les enfants
L’approche de Jesper Juul ne se limite pas à proposer un nouveau modèle éducatif. Elle invite aussi les adultes à une transformation intérieure profonde. Pour accompagner un enfant avec bienveillance, encore faut-il être en paix avec son propre vécu d’enfant.
Souvent, notre manière d’interagir avec les enfants est influencée par ce que nous avons nous-mêmes vécu dans notre enfance : nos blessures, nos frustrations, nos manques. Sans prise de conscience, il est facile de reproduire inconsciemment des schémas éducatifs inadaptés.
L’importance de se reconnecter à son propre vécu d’enfant
Jesper Juul souligne à quel point notre passé joue un rôle déterminant dans notre manière d’éduquer :
« Un adulte qui n’a pas fait la paix avec son enfance aura du mal à offrir à ses enfants la liberté et le respect dont ils ont besoin. » — David Dutarte
Sans même nous en rendre compte, nous avons intériorisé des modèles éducatifs qui dictent nos réactions face aux enfants :
Si nous avons grandi dans l’obéissance aveugle, nous aurons tendance à exiger la même chose de nos enfants.
Si nos émotions ont été ignorées ou minimisées, nous pourrons avoir du mal à entendre celles de nos propres enfants.
Si nous avons été éduqués dans la peur de l’autorité, nous risquons de basculer soit dans le contrôle excessif, soit dans un laxisme inconscient.
Nous portons tous en nous des traces de notre éducation, que nous en soyons conscients ou non. Certaines attitudes que nous avons subies dans l’enfance ont pu nous blesser :
Les injonctions à « être sage » et à « bien se tenir » au détriment de notre spontanéité.
Les punitions ou humiliations qui nous ont appris à nous soumettre plutôt qu’à nous exprimer.
L’absence d’écoute de nos émotions, qui nous a coupés de notre ressenti : « quand on devient adulte, on est plus ou moins carencé affectivement, ne serait-ce que pour parler des émotions ou de nos besoins ». Boris Cyrulnik avait d'ailleurs expliqué l'impact des carences affectives chez l'enfant sur son développement et l'adulte qu'il deviendra.
Prendre soin de soi pour prendre soin de l'autre
Comme l’explique David Dutarte, ces blessures non conscientisées peuvent se rejouer dans notre parentalité :
« Quand un enfant exprime une émotion forte, il vient souvent réveiller quelque chose chez nous. C’est là que nous devons faire le travail sur nous-mêmes, pour ne pas réagir avec nos propres blessures. »
Parce qu'un parent qui va bien va pouvoir prendre mieux soin d'un enfant. Jesper Juul ramène une forme d'équilibre entre les besoins de l'enfant et les besoins de l'adulte.
« Et plus que mettre l'enfant au cœur de nos préoccupations, en fait, il met la relation au cœur de sa pensée », ajoute-t-il.
Les enfants
La bonne nouvelle, c’est que les enfants sont les meilleurs enseignants pour nous aider à nous reconnecter à notre propre humanité. Sophie Marinopoulos n'a-t-elle pas écrit un ouvrage sur ce que les enfants nous enseignent ?
« Les enfants sont encore connectés à ce qu'ils ressentent. Chez l'adulte, il s'agit juste de réveiller ça, parce que c'est peut-être un peu endormi, engourdi, enfoui au fond de nous. On s'en est peut-être coupé. Mais en voyant comment font les enfants, on peut reconnecter avec ces aptitudes innées, naturelles. Et petit à petit, on retrouve le contact avec cette paix intérieure qui est là, en chacun d'entre nous » — David Dutarte
En les observant, nous pouvons réapprendre à ressentir, à être authentiques, à renouer avec notre spontanéité perdue.
Retrouver son enfant intérieur, ce n’est pas seulement guérir des blessures, c’est aussi se reconnecter à la joie, à la curiosité et à l’émerveillement, ce fameux enthousiasme de l'enfant dont parle André Stern.
Changer de regard sur l’enfant, c’est aussi changer de posture en tant qu’adulte.
Jesper Juul nous invite à :
Sortir du modèle du parent qui sait tout et qui impose
Oser montrer nos émotions et nos vulnérabilités à l’enfant, pour lui apprendre que les émotions sont normales et précieuses
Accepter que nous faisons tous des erreurs, et être capables de nous excuser auprès de nos enfants quand c’est nécessaire.
Le réseau FamilyLab : diffuser l'approche de la relation adulte-enfant selon Jesper Juul en France
Si l’approche de Jesper Juul reste encore peu connue en France, des initiatives comme le FamilyLab permettent de la diffuser auprès des parents et des professionnels de l’éducation.
Créé au Danemark puis étendu à plusieurs pays européens, FamilyLab propose :
des ateliers, conférences et séminaires pour parents et professionnels autour des valeurs et de la pensée suggérée par Jesper Juul pour des relations familiales saines et constructives ;
des ressources pour aider les adultes à transformer leur posture éducative.
Et si l’éducation, au lieu d’être une transmission descendante, devenait un chemin de transformation réciproque entre l’adulte et l’enfant ?
Références :
De l’équidignité, cultiver cette présence qui fait grandir, David Dutarte et Marie Michel, éditions Fabert, 2025
Familylab, Le Family Lab France est un réseau pour l’éducation respectueuse et empathique
Les livres de Jesper Juul en français :
Regarde… ton enfant est compétent : renouveler la parentalité et l’éducation, Jesper Juul, Chronique Sociale, 2012
De l’obéissance à la responsabilité, Jesper Juul et Helle Jensen, éditions Fabert
L’art de dire non en ayant la conscience tranquille, Jesper Juul, éditions Chronique Sociale
A qui appartiennent les enfants ? Réflexion sur la petite enfance, Jesper Juul, éditions Fabert, 2016
Me voilà, qui es-tu ? sur la proximité, le respect et les limites entre adultes et enfants, Jesper Juul, éditions Fabert, 2015
Le parent chef de meute, l’autorité aujourd’hui au regard de l’Histoire, Jesper Juul, éditions Fabert, 2019
5 piliers pour une vie de famille épanouie, Jesper Juul, Marabout, 2019
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