Les premières relations amoureuses avec Florence Millot #163
Qu’entend-on par premier amour de l’enfant ? Quelle attitude doit-on adopter en tant que parent ? Comment réagir face au premier chagrin d’amour de l’adolescent ? Pourquoi est-il si intense ? Florence Millot, psychologue auprès des enfants, des adolescents et de leurs parents, apportent des éléments de réponse. Conférencière, autrice de plus de 35 livres, elle aborde le sujet du premier amour et du premier chagrin d’amour, non pas sous l’angle de la sexualité, mais bien en termes de sentiment.
Le premier chagrin d'amour chez l'adolescent
Le premier chagrin d'amour, c’est toujours important dans la vie d'un adolescent, comme l'explique Florence Millot, psychologue spécialisée dans le développement de l'enfant et de l'adolescent. Généralement, les parents ne comprennent pas pourquoi leur enfant se met dans un tel état pour ce qu’ils estiment être une petite amourette. Ils se disent que leur enfant a la vie devant lui pour tomber amoureux. Ils ne comprennent pas que l’amour, à l’adolescence, à 20 ans, est vrai, entier.
« Alors qu'en réalité, au contraire, je crois que c'est pendant l'adolescence que les amours sont parfois les plus forts parce que l'ado s'ouvre à 100% pour l'autre », nous éclaire Florence Millot.
Pourquoi le premier chagrin d’amour est-il important ?
Par ailleurs, l’adolescence est une période de réactivation de l’enfance. Jusqu’à 6 ans, l’enfant vit de nombreuses expériences, dont des séparations (crèche ou nounou, école, deuil, divorce, déménagement, etc.), des conflits et événements familiaux…
L’enfant vit de nombreuses situations, mais pris dans cette énergie de vie, il avance. Il garde en mémoire, inconsciemment, certaines douleurs qu’il n’a pas eues le temps d’exprimer.
À l’adolescence, tout ce qu’il avait oublié, qui s’est imprimé en lui avant ses 4-6 ans, ressurgit à l’occasion d’un événement déclencheur. C’est ainsi qu’on peut se retrouver avec des enfants, des adolescents qui ont des fragilités qu’ils n’avaient pas forcément eues le temps de guérir. On a alors du mal à les comprendre, car tout se passait bien, et tout d’un coup, ils flanchent.
C’est pourquoi un chagrin d’amour peut être extrêmement fort à l’adolescence.
Florence Millot prend l’exemple d’un jeune qui, par exemple, n’a jamais vraiment trouvé sa place dans sa fratrie. Il rencontre pour la première fois l’amour, qui le quitte. Le jeune peut alors avoir l’impression de perdre totalement pied, décrit-elle. Il perd confiance en lui, il a l’impression que rien ne fonctionne.
Qu’est-ce qui est en jeu dans les relations amoureuses de l’adolescent ?
Pour l’adolescent, la relation amoureuse, c’est aussi une quête identitaire : est-ce que l’autre m’aime comme je suis ? Cela remplit aussi ce besoin de sortir du cadre familial. De nombreux enjeux gravitent autour des relations amoureuses adolescentes.
En tant que parents, proches, accompagnants, avoir cette notion en tête est importante en cas de chagrin de l’adolescent. Car cet état est peut-être beaucoup plus grand qu’un chagrin d’amour et peut conduire à l’isolement, à un état de déprime.
Consultez l’article sur le mal-être des ados avec Anne-Claire de Pracomtal pour mieux comprendre les bouleversements que les jeunes vivent à l’adolescence.
Le premier amour de l’enfant : le rôle du parent
Florence Millot rappelle qu’il faut bien comprendre, même si ça nous fait rire, que les premiers amours, même tout petits, sont des vraies formes d’amour.
Comprendre les premiers sentiments forts
Certes, on ne peut pas qualifier d’amour, la relation forte qu’un enfant peut établir, dès la crèche, avec un autre, au sens où les adultes l’entendent. Néanmoins, dès la petite enfance, cet amour mêlé aux repères existe. On peut ainsi voir des relations symbiotiques s’installer. L’autre devient un repère pour l’enfant, au point que s’il n’est pas là, l’enfant ne va plus jouer, voire ne plus manger. Il est complètement perdu. Il s’épanouit à nouveau quand l’autre revient.
Cela ne concerne bien sûr pas tous les enfants. Certaines enfants iront vers l’amour bien plus tard, parce que ça ne les intéresse pas du tout. Leur stabilité familiale, amicale leur convient. Certains iront dans cette quête de l’autre plus tôt. Ils auront plus besoin de cette validation de l’autre, d’être bien vu dans son regard.
Nous sommes tous différents. Nous évoluons chacun à notre rythme.
« Certains adultes sont contents d’être en relation, mais ils n’ont pas cette intensité d’amour, cette passion. Ils vont avoir des relations plutôt raisonnables, presque amicales », explique Florence Millot.
D’autres, au même âge, auront besoin de vivre intensément les relations.
Parler d’amour aux enfants
Qu’il s’agisse de parler du sentiment amoureux ou de sexualité, on n’est pas toujours à l’aise pour aborder un tel sujet avec ses enfants. Pour Florence Millot, parler d’amour, c’est surtout savoir écouter, avec empathie.
Elle détaille : « ça veut dire regarder, prendre le temps de sourire, donner des silences, laisser la place à l’enfant d’exprimer ce qu’il a besoin de dire sans chercher à lui donner des conseils, par exemple, sur sa relation amoureuse. »
L’objectif, c’est de respecter le sentiment de l’adolescent, de son enfant, pour ne pas avoir besoin de lui parler d’amour, mais qu’il ressente ce sentiment, ce qui est un peu différent.
On peut, si on en a envie, parler de notre relation amoureuse. Les enfants aiment souvent qu’on leur raconte comment leurs parents sont tombés amoureux. Même si les parents sont divorcés, savoir qu’ils sont nés d’un désir, dans l’amour, est important pour eux.
Respecter l'autonomie de l'adolescent en amour
Pour un adolescent, même si on a envie de le protéger en tant que parent, il faut aussi lui laisser vivre sa première expérience amoureuse. Il en a besoin. Même si la relation est peut-être toxique, à coups de « je t’aime », « je ne t’aime plus ».
On peut alors se positionner, non pas comme un parent qui parle d’amour, mais comme un ami qui parle à un autre ami.
On évite de jouer l’expert, parce que finalement, on ne sait rien de ce qui vit notre ado.
On peut par contre lui parler et lui demander ce qu’il ressent quand l’autre agit comme ça. « Est-ce que pour toi, c’est vraiment ça l’amour ? Est-ce que tu as l’impression de plus souffrir que tu n’es heureux ? »… On aide son adolescent à prendre conscience de ce qu’il est en train de vivre, quand c’est compliqué, sans forcément lui dire « Quitte-le ou quitte-la ! ». Il faut lui laisser faire son chemin.
Florence Millot rappelle qu’on n’est d’ailleurs souvent pas capable, en tant qu’adultes, de quitter une relation qui ne nous convient pas. Il faut parfois 40 à 50 ans pour comprendre qu’il faut avoir confiance en soi et qu’on a le droit d’exister.
Le rôle du parent, c’est d’accueillir l’enfant, l’ado, le jeune de 20 ans, là où il en est. Il convient de prendre de la hauteur et de se dire que ça peut aussi lui servir par la suite.
Être à l’écoute du jeune amoureux, pas intrusif
Quel adulte n’a pas demandé à l’enfant s’il avait un amoureux ou une amoureuse. La plupart des enfants n’aiment pas cette question. Elle est intrusive. Généralement, c’est plus la façon dont elle est posée, avec cette intention de taquiner, de se moquer, qui pose un problème.
« Pour l’enfant, ce qui est compliqué, explique Florence Millot, c’est que ça touche à la pudeur de ses sentiments. C’est la première fois, il ne comprend pas toujours ce qui lui arrive, c’est gênant. » L’enfant peut se sentir fragile, vulnérable, il peut avoir envie de rougir ou a peur d’être rejeté. L’amour est un sentiment mêlé de peur ou de gêne, dans le cas où ça ne fonctionnerait pas, où ça ne serait pas réciproque.
Alors oui, en tant que parent, on a le droit de demander sans moquerie, naturellement, tout comme l’enfant a le droit de ne pas répondre s’il n’a pas envie. L’important, c’est finalement de le faire avec respect, en ayant en tête qu’un premier amour est loin d’être anodin. En tant que parent, on lui offre un espace de parole et d'écoute à l’adolescent, s'il désire parler, se confier.
Adopter une attitude naturelle face au premier amour de son ado
La question de rencontrer l’amoureux ou amoureuse de son adolescent·e peut bien sûr se poser. Florence Millot conseille, pour sécuriser l’ado, de le faire de manière naturelle plus qu’officielle. À l’occasion d’une fête à la maison, on peut lui proposer d’inviter lui aussi des amis, son copain ou sa copine. Il vaut mieux attendre que son enfant en ait envie.
Quand on apprend que son enfant est amoureux, on peut lui dire qu’on est content pour lui, que cela nous fait plaisir de le voir heureux. On peut lui demander ce qui le mettrait à l’aise s’il a envie de ramener sa moitié à la maison. Quand la communication est ouverte et non intrusive, quand la maison est, elle aussi, ouverte, la mise en relation se fait généralement naturellement. Et l’amoureux ou amoureuse peut apprécier discuter avec des adultes, d’autant plus s'il ou elle n’a pas un tel espace de parole dans sa propre famille.
Du premier amour au premier chagrin d’amour
Le premier amour de l’enfant, de l’adolescent, tout comme son premier chagrin d’amour sont des étapes importantes dans son développement psychique. En tant que parent, il faut retenir, que dans l’expérience de tels sentiments :
Les enfants ne sont pas tous égaux. Ils n’ont pas tous les mêmes besoins, ne vont pas tous au même rythme.
Il faut les laisser vivre les situations, même si par souci de protection, on souhaiterait parfois qu’ils y mettent fin.
Il n’y a pas de petit ou grand chagrin. En tous les cas, on ne peut pas se permettre de juger l’intensité que devrait avoir le chagrin de notre enfant.
On doit apprendre à les écouter, à s’interroger, sans se positionner en expert qui donne des conseils.
Au cours de cet épisode de podcast, vous écouterez notamment les deux phrases suivantes qui peuvent vous aider en tant que parent, à adopter la bonne posture :
« Plus on accueille, ne serait-ce que le plus petit chagrin de son enfant, plus on est capable d'accueillir le nôtre en tant qu'adulte. Je trouve qu'il y a une sorte d'effet miroir, quand on est vraiment bienveillant avec son enfant, et qu'on ne fait pas semblant. On est vraiment là pour lui. Il y a quelque chose qui s'adoucit en nous aussi, qui se réconcilie aussi sur l'écoute qu'on peut avoir par rapport à nous-mêmes ».
« Je crois qu'aimer, c'est prendre un risque, et que de vivre autant d'amour que de chagrin d'amour, ça nous rend profondément vivants. »
Référence :
Accompagner son adolescent - 10 clés pour bien communiquer et l'aider à s'épanouir, Florence Millot, Hatier Parents, 2023
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