Famille recomposée avec Ivy Daure #219
Les familles recomposées sont une réalité de plus en plus fréquente. Avec près d’un enfant sur dix vivant dans une configuration familiale recomposée en France*, ce modèle familial bouscule les repères traditionnels et soulève de nombreux défis relationnels. Comment réussir sa famille recomposée ? Comment gérer les défis émotionnels, construire des relations saines, trouver sa place de beau-parent ? Les nouvelles dynamiques qui se créent au sein d’une famille recomposée, bien qu'enrichissantes, impliquent souvent des ajustements émotionnels complexes pour tous les membres du foyer : parents, beaux-parents et enfants.
Dans cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, Stéphanie d’Esclaibes reçoit Ivy Daure, docteure en psychologie et autrice de l’ouvrage Belle-mère Beau-père, Trouver sa place, faciliter les relations dans les familles. Ivy Daure partage des clés essentielles pour comprendre et surmonter les difficultés inhérentes aux familles recomposées. Que ce soit pour apaiser les craintes des enfants, déconstruire les clichés autour des beaux-parents, ou favoriser une transition sereine, cet échange riche en enseignements nous guide vers une meilleure compréhension de ce modèle familial.
Les défis des familles recomposées
Comprendre les enjeux émotionnels : l’amour et le respect
Pour Ivy Daure, le grand enjeu des familles recomposée, c’est l’amour, un enjeu qui est finalement celui de tout être humain. « Est-ce qu'on m'aime ? Est-ce que je suis aimée ? Est-ce qu'on va être aimée ? ». Et plus précisément, du côté des adultes : « Est-ce que cet enfant m'aime ? Est-ce que je suis un beau-parent aimé ? » ; du côté de l’enfant : « est-ce que mon beau-père, ma belle-mère m'aime ? »
À cela s’ajoute une deuxième angoisse sous-jacente : est-ce qu’on est vraiment une famille ?
Ivy Daure explique que l’amour ne peut pas être une attente immédiate entre beaux-parents et beaux-enfants. Elle rappelle que cette relation doit se construire avec patience et tolérance. Au lieu de chercher en priorité des liens affectifs, elle invite à privilégier le respect mutuel et la curiosité pour apprendre à se connaître. Elle souligne l’importance d’un état d’esprit ouvert :
« On a la vie devant nous pour nous découvrir, pour nourrir, alimenter et cultiver notre relation. L’amour viendra, mais ce qu’il nous faut avant tout, c’est du respect, de la tolérance et de la curiosité. »
Ce cadre de respect constitue une base solide pour permettre à chacun de trouver sa place dans cette nouvelle dynamique familiale.
Faire face aux représentations négatives
Les clichés autour des beaux-parents, et plus particulièrement des belles-mères, restent profondément ancrés dans l’imaginaire collectif. Ivy Daure rappelle que ces représentations négatives, véhiculées par les contes de fées comme Cendrillon ou Blanche-Neige, continuent d’influencer notre vision des familles recomposées. On se méfie de ce personnage, souvent qualifiée de marâtre.
« Les belles-mères sont souvent sous le regard des autres, testées par les enfants, l’entourage, et même par la famille », déplore-t-elle.
Ce poids culturel, souvent invisible, mais bien présent, peut créer une pression importante pour les belles-mères. Elles craignent de ne pas répondre aux attentes ou de ne pas être à la hauteur. Pour déconstruire ces imaginaires, il est essentiel de privilégier la bienveillance et de ne pas chercher à répondre aux stéréotypes imposés. Le rôle des beaux-parents ne doit pas être vu comme une menace, mais comme une opportunité de créer de nouveaux liens riches et apaisés.
À lire également : Faire famille avec Sophie Galabru, un épisode qui explore la diversité des configurations familiales et les moyens de bâtir une unité solide malgré les différences.
Réussir sa famille recomposée : quelle place pour les enfants ?
Comprendre les craintes des enfants
L’arrivée d’un beau-parent représente un bouleversement émotionnel majeur pour un enfant. Ivy Daure souligne que cette transition peut réveiller de nombreuses craintes et résistances. Parmi les inquiétudes les plus fréquentes figurent :
la peur de perdre le lien privilégié avec le parent biologique ;
l’assimilation de cette nouvelle relation à un obstacle pour un éventuel retour à la famille d’origine.
« L’arrivée du beau-père ou de la belle-mère confirme ou réaffirme le deuil du couple d’avant et de la famille d’avant pour l’enfant », explique-t-elle.
Cette étape est particulièrement marquante, car elle met un terme aux espoirs de réconciliation, même lorsque ces derniers étaient inconscients ou implicites.
Ivy Daure incite à respecter la temporalité émotionnelle des enfants. Ils n’avancent pas au même rythme que leurs parents dans le processus de recomposition familiale. Alors que le couple est souvent porté par un élan amoureux et une envie de fusion, l’enfant est encore en train de s’adapter à la nouvelle réalité familiale.
« L’enfant est encore en train de pleurer sur le cercueil de la famille telle qu’elle était », illustre Ivy Daure.
Pour que cette transition soit vécue le plus sereinement possible, aux adultes de reconnaître et de valider les émotions de l’enfant, sans les minimiser ni les brusquer. Roseline Roy avait expliqué au micro du podcast Les Adultes de Demain, comment accueillir les émotions de l’enfant.
Favoriser une transition en douceur
La préparation en amont et une communication adaptée jouent un rôle clé dans l’accueil d’un beau-parent au sein d’une famille recomposée. Ivy Daure insiste sur l’importance d’un temps de transition avant d’introduire un nouveau partenaire dans la vie de l’enfant. Ce processus nécessite que :
le deuil de la famille d’avant soit bien avancé ;
de nouveaux rythmes de vie soient installés ;
l’enfant ait eu le temps de s’habituer à la séparation.
« Cette temporalité est très importante et demande un peu de temps, souvent à contre-courant de ce que vit un couple amoureux », précise-t-elle.
Lors de la rencontre initiale entre l’enfant et le beau-parent, Ivy Daure encourage à privilégier la simplicité et la progressivité. Elle conseille de préparer l’enfant en expliquant les bienfaits que cette nouvelle relation apporte au parent, sans chercher à la lui imposer. Elle souligne que l’amour ne doit pas être vendu comme un bénéfice direct pour l’enfant, mais présenté comme une source de bien-être pour le parent. Ainsi, l’enfant pourra aborder la situation avec moins de pression et plus de compréhension.
La réussite de cette transition repose sur un équilibre délicat entre la patience et l’adaptation. Comme le rappelle Ivy Daure :
« on ne peut pas s’attendre à ce qu’un enfant fasse une place immédiate à un beau-parent dans sa vie ».
C’est un processus qui se construit avec le temps, dans un climat de respect mutuel et d’ouverture.
À lire également : Adoption et parentalité adoptive, un article qui explore l’importance de l’attachement et de l’intégration dans des configurations familiales non conventionnelles.
Rôles et limites des beaux-parents
Le rôle éducatif du beau-parent : jusqu’où aller ?
Dans une famille recomposée, la question du rôle éducatif des beaux-parents est souvent source de tension. Ivy Daure met en garde contre l’envie de certains beaux-parents d’imposer une autorité trop marquée, surtout au début de la relation.
« Le rôle éducatif, c’est quand même plutôt un truc qui nous embête quand on est parent », affirme-t-elle. Elle souligne que cette responsabilité éducative reste avant tout celle des parents biologiques. Les beaux-parents doivent se positionner avec patience et prudence, car une autorité imposée trop rapidement risque de nuire à la relation naissante avec l’enfant.
Ivy Daure partage ainsi l’anecdote du bœuf bourguignon. Un beau-père, persuadé de devoir « asseoir son autorité« , choisit de préparer ce plat pour une adolescente qui venait de déclarer qu’elle ne mangeait plus de viande rouge. En agissant ainsi, il provoque un conflit qui aurait pu être évité avec davantage de respect pour les besoins et les choix de l’enfant.
Comme le souligne Ivy Daure, cette tentative d’affirmation d’autorité révèle un malentendu fondamental : la légitimité dans le rôle éducatif se construit avec le temps, et non par des décisions autoritaires.
Les beaux-parents doivent adopter une approche basée sur le respect mutuel et l’écoute. L’autorité doit être exercée avec parcimonie et toujours en accord avec le parent biologique. Ce dernier joue un rôle clé dans la reconnaissance et la légitimation de la place du beau-parent.
Au micro du podcast Les Adultes de Damin, Isabelle Filliozat explique comment éduquer sans violence, ni laxisme. Elle aborde notamment la question de l’autoritarisme, en tant que forme de parentalité négative. Elle y oppose l’éducation bienveillante, qui invite l’adulte, quel qu’il soit, à adopter une posture à hauteur d’enfant.
Trouver sa place comme beau-parent
Ivy Daure conseille aux beaux-parents de chercher à être des figures de référence plutôt que de contrôle. Elle rappelle que la priorité est de construire une relation de confiance avec l’enfant, sans chercher à jouer un rôle éducatif immédiat.
En plus, comme elle aime le rappeler, « le rôle éducatif, c’est quand même plutôt un truc qui nous enquiquine quand on est parent ».
Pour les beaux-pères et belles-mères, elle préconise de
« surfer sur la vague :
- je passe des bons moments avec toi ;
- je suis une figure sécure ;
- je suis là ;
- je suis une référence pour toi ;
- je suis une ressource ;
- tu peux venir vers moi. »
Cette posture permet d’établir une dynamique saine, basée sur la bienveillance et la sécurité émotionnelle.
L’appui du parent biologique est primordial dans ce processus. C’est lui qui facilite la légitimité du beau-parent auprès de l’enfant. Cependant, Ivy Daure insiste sur l’importance de ne pas devenir un simple « porte-parole » du beau-parent. Les décisions éducatives doivent toujours être prises en concertation, pour éviter que l’enfant ne perçoive le beau-parent comme une figure intrusive ou autoritaire.
« Le parent est un ambassadeur de l’autre conjoint » , précise-t-elle.
Son attitude influence grandement la qualité des interactions entre le beau-parent et l’enfant.
Construire sa place comme beau-parent est un défi qui demande du temps, du respect, et une capacité à accepter que certaines limites ne doivent pas être franchies. En se positionnant comme une figure bienveillante et stable, les beaux-parents peuvent devenir des repères essentiels dans la vie des enfants, sans empiéter sur le rôle des parents biologiques.
Les pièges à éviter pour les parents biologiques
Gérer la culpabilité de la séparation
La séparation est souvent accompagnée d’un fort sentiment de culpabilité chez les parents biologiques. Ivy Daure explique que cette culpabilité peut être enracinée dans des expériences passées ou des promesses non tenues. C’est néanmoins un sentiment important dans les relations humaines : il est l’expression du fait qu’on tient compte de l’autre, qu’on pense à la réalité de l’autre.
Elle pointe cette « culpabilité qui nous accable, qui nous met à mal et qui est très souvent une culpabilité basée sur des promesses qu'on a pu faire quand on était plus jeune ». Par exemple, un parent ayant lui-même souffert du divorce de ses propres parents peut ressentir une culpabilité liée à l’idée qu’il fait subir à son enfant une situation similaire.
Cependant, cette culpabilité, bien qu’inconfortable, peut devenir une opportunité de réflexion et de croissance. Ivy Daure encourage les parents à distinguer la « bonne culpabilité » , qui les pousse à tenir compte des besoins de leur enfant, d’une culpabilité paralysante issue d’un idéal irréaliste de parentalité.
Elle conseille d’investiguer l’origine de cette émotion :
« Si elle [cette culpabilité] est de nature très ancienne, il faut s’en débarrasser. Si elle est actuelle, elle évoluera avec le temps et les efforts pour sécuriser son enfant. »
Plutôt que de se laisser submerger par cette culpabilité, les parents peuvent s’appuyer sur leur relation avec leurs enfants pour avancer ensemble. Et si vous êtes concerné·e et que vous vous dites :
« Mais mon enfant n’a rien demandé. Eh bien oui c’est vrai, répond Ivy Daure. Mais [votre] enfant n’a rien demandé pour plein de choses. »
Le changement de dynamique parent-enfant
L’arrivée d’un nouveau partenaire modifie inévitablement la relation entre un parent et son enfant. Ivy Daure illustre ce point avec l’exemple d’Emma, une jeune fille qui ne supporte pas le nouveau compagnon de sa mère. Elle explique que cette résistance est souvent liée au changement de rôle du parent, qui n’est plus totalement disponible pour son enfant.
« Emma voit sa mère séduisante, heureuse, pétillante, ce qu’elle ne voyait pas avant. Elle découvre la femme qui est sa mère« , raconte-t-elle. Cette transformation, bien qu’inévitable, peut perturber l’enfant et provoquer des tensions.
D’autres exemples incluent des ajustements dans la gestion du quotidien, comme le temps consacré au coucher des enfants ou les habitudes de prise en charge. Le parent de nouveau amoureux aura tendance à écourter ces temps partagés. Ces changements, bien qu’ils puissent sembler anodins, révèlent les compromis nécessaires à l’équilibre d’une famille recomposée.
Pour réussir cet équilibre, Ivy Daure insiste sur l’importance d’écouter son enfant tout en restant aligné avec ses propres besoins.
« Le contrat de la relation avec l’enfant évolue, mais comme tout contrat relationnel, il faut que l’autre soit d’accord. »
Il ne s’agit pas de tout négocier, mais de considérer les attentes et les émotions de l’enfant dans cette nouvelle configuration familiale. En prenant en compte les besoins du couple et des enfants, les parents peuvent favoriser une dynamique plus harmonieuse et réussir leur famille recomposée.
À lire également : La fratrie avec Héloïse Junier, un épisode qui explore les ajustements relationnels au sein des familles.
Déconstruire les mythes autour des familles recomposées
Les familles recomposées sont souvent confrontées à des préjugés qui complexifient les relations entre leurs membres. Si les stéréotypes sur les belles-mères et les beaux-pères restent profondément ancrés, Ivy Daure invite à aller plus loin en explorant leurs origines et en proposant des pistes concrètes pour les déconstruire.
Plutôt que de se focaliser uniquement sur les contes de fées comme Cendrillon ou Blanche-Neige, il est important de reconnaître que ces préjugés sont également alimentés par des idées culturelles persistantes autour de :
la maternité ;
la paternité ;
les familles « idéales ».
Les belles-mères, par exemple, subissent une forte pression liée à une vision stéréotypée de la femme « parfaite ». Quant aux beaux-pères, ils sont parfois suspectés de manquer d’implication ou, à l’inverse, d’être trop intrusifs.
Ivy Daure insiste sur l’importance d’adopter une approche bienveillante pour dépasser ces schémas :
reconnaître la diversité des rôles que peuvent jouer les beaux-parents ;
valoriser leur contribution unique à la famille.
« Il faut s’avancer tranquillement, montrer patte blanche, mais aussi se donner le droit de ne pas tout réussir immédiatement », souligne-t-elle.
Un autre aspect à prendre en compte est l’impact de ces stéréotypes sur la manière dont les beaux-parents perçoivent leur propre rôle. La crainte de mal faire ou d’être jugés peut conduire à une attitude de retrait ou, à l’inverse, à des comportements excessifs. Ivy Daure rappelle que ces relations doivent se construire progressivement, avec un équilibre entre patience et authenticité.
Pour apaiser les tensions, promouvoir une dynamique harmonieuse et réussir sa famille recomposée, la communication joue un rôle central. Créer un espace de dialogue ouvert, c’est permettre de :
déconstruire les attentes irréalistes ;
bâtir des relations plus authentiques entre les membres de la famille recomposée.
Sources :
*Insee ; Ined - Institut national d’études démographiques ; Drees
Références :
Belle-mère Beau-père, Trouver sa place, faciliter les relations dans les familles, Ivy Daure, Esf, 2024
Familles entre deux cultures, dynamiques relationnelles et prise en charge systémique, Ivy Daure, éditions FABERT, 2010
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