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Pourquoi lire des contes aux enfants ? avec Myriam Dahman #208

Faut-il lire des contes aux enfants ? Cette question divise parfois. Pour certains, les contes traditionnels sont souvent trop effrayants. Ils exposent les enfants à des personnages terrifiants comme les ogres, les sorcières, le loup, etc. D’autres estiment qu’ils sont trop éloignés de la réalité, remplis de magie et d’improbabilité, loin des expériences du quotidien. Enfin, certains soulignent les stéréotypes présents dans ces récits, notamment en termes de rôle genré.

Forte d’une riche tradition orale héritée de son enfance au Maroc, l’autrice Myriam Dahman défend la lecture de contes, classiques et contemporains, aux enfants. Ils sont essentiels à leur développement. Elle explique comment elle adapte les récits aux enjeux de notre époque, dans ses livres jeunesse, dont La magicienne, La fille des quatre vents et Naomi et le gnome des forêts. Les contes nourrissent l’imaginaire des enfants et les aide à appréhender le monde.

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Pourquoi lire des contes aux enfants ?

Les contes, ce sont des histoires qui sont « belles, passionnantes », comme le rappelle Myriam Dahman. Ils procurent un « plaisir de la lecture évident ». Ce type de récits va toutefois au-delà de ce premier constat.

Transmettre un patrimoine culture et bâtir un socle commun de références

« Ne serait-ce que parce que c’est un socle de références communes » explique Myriam Dahman. Lire des contes aux enfants, particulièrement les contes dits traditionnels, permet de transmettre patrimoine culturel commun. Ces contes classiques constituent une base de références partagées à travers les générations

Du coup, quand Myriam Dahman s’empare d’un récit traditionnel pour en proposer sa version contemporaine, elle sait que si elle fait référence au récit initial, son lecteur devrait connecter. 

« Je n'ai pas spécialement un million de références communes avec mes lecteurs, mais je sais que les contes de fées, c'est des choses qu’on partage. » 

Et le lecteur devrait trouver d’autant plus drôle la référence s’il a en tête la version d’origine. « Il peut comprendre le clin d’œil, il peut comprendre comment on renverse certaines choses. »

 « S’ouvrir aux contes des autres cultures »

Bercée par les récits oraux transmis oralement par sa grand-mère et son père lors de son enfance au Maroc, Myriam Dahman invite à compléter les contes traditionnels de Grimm, Andersen, Perrault, par des contes arabes, asiatiques, etc. 

Lire des contes permet de transmettre un imaginaire culturel riche et varié, et ce, d’autant plus en introduisant des histoires issues d’autres cultures. Ce sont « des imaginaires différents, des animaux fantastiques, des créatures magiques et merveilleuses qui ne vont pas être celles que l’on connaît. » 

Des récits porteurs de débats

Qu'ils soient classiques ou issus de traditions orales, les contes véhiculent des récits pleins de symboles puissants, d'archétypes et de personnages hauts en couleur. Ces histoires, souvent ancrées dans différentes cultures et époques, peuvent parfois poser question. 

« Est-ce qu’on peut embrasser une jeune fille endormie ? » 

« La question du consentement est essentielle. Ça ne veut pas dire qu’il faut censurer ces histoires. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas les lire. Ça veut dire que peut-être, on peut aussi en parler après la lecture ou avoir une discussion ou poser la question. »

Le conte soulève des questions et devient support de débat. Myriam Dahman mentionne d’ailleurs une revue belge de philosophie pour enfants, Philea et Autobulle, avec laquelle elle collabore. Elle écrit ainsi des récits autour d’une question et les construit afin qu’ils suscitent une discussion. Une ressource intéressante pour mener des ateliers philo pour enfants, non ?

« L’intérêt, c’est de ne pas avoir des histoires qui donnent une réponse toute faite, définitive et absolue. »

Des histoires qui nourrissent la vie intérieure des enfants

Pourquoi les contes traversent-ils les époques, les générations. Quelle recette renferment-ils et pourquoi peuvent-ils, a contrario, poser problème ? Myriam Dahman ne révèle pas la recette magique qui permet d’écrire un récit intemporel et qui plaira de génération en génération. Elle pointe néanmoins deux leviers qui peuvent expliquer le succès d’un conte à travers les âges. Elle met ainsi en avant la dimension émotionnelle des contes, qui aborde souvent des sujets lourds, mais essentiels pour l'enfant. 

  • Les contes marquent les esprits par leurs symboles puissants et inoubliables.

« Il y a ces images qui sont à la fois fortes, originales, effrayantes, qui en tout cas marquent les esprits et font qu'on va se souvenir de cette histoire-là. », fait-elle remarquer.

Myriam Dahman évoque ces éléments visuels qui, selon elle, « saisissent les esprits » : 

  • l’interdit de la porte que l’on ne doit pas ouvrir dans Barbe Bleue ;

  • la pomme empoisonnée dans Blanche-Neige ;

  • ou encore l’ogre dans la forêt sombre, etc.

Ces symboles, fréquemment effrayants, permettent aux enfants d’appréhender des peurs ou des dilemmes moraux sans avoir besoin d’explications directes. Cela facilite leur apprentissage émotionnel, qu’il est bien sûr possible d’accompagner par des échanges après la lecture. 

  • Les contes offrent par ailleurs un cadre dans lequel les plus jeunes peuvent explorer des thèmes universels et complexes comme le bien et le mal, la curiosité, ou encore la peur. À travers les histoires, les enfants apprennent à apprivoiser des émotions parfois difficiles à comprendre. En écoutant ou en lisant ces récits, ils vivent par procuration des expériences fortes qui les aident à identifier et à gérer leurs propres sentiments. 

Les contes touchent aussi à des questions sombres et complexes, comme les relations familiales ou des thèmes délicats.  Mais c’est justement cette complexité qui fascine et qui donne aux enfants des clés pour comprendre et gérer certaines réalités difficiles de la vie. Myriam évoque notamment Peau d'âne, qui traite de l'évasion d'une fille face à l'emprise malsaine de son père, un sujet dur qui, malgré son caractère lourd, fait partie de la richesse des contes. 

Myriam Dahman évoque aussi le conte de Barbe Bleue, un récit qui aborde la curiosité et la peur : « Ce qui m'intéresse, c'est d'explorer les différentes facettes d'un conte, certaines images, certains symboles, de me demander ce que ça peut cacher », confie-t-elle. 

Alors que Barbe Bleue est fréquemment vu comme un conte dans lequel la curiosité est punie, elle n’en a pas du tout cette lecture. Pour elle, ce récit est un exemple de la manière dont la curiosité peut être récompensée, en révélant des vérités parfois inquiétantes, mais nécessaires. Dans ce conte, c’est la jeune fille qui est l’héroïne et non Barbe bleu le héros.

Les contes ne livrent pas toujours un message explicite ou une morale simple. Mais ils touchent à des sujets essentiels que les enfants ressentent intuitivement, même s'ils ne peuvent pas toujours les formuler clairement. « Ça adresse des sujets qui sont des vrais sujets. Et je pense qu'en tant qu'enfant, on le sent », souligne-t-elle. 

Conseils pour lire des contes aux enfants

Quand et comment lire des contes aux enfants ?

Le moment idéal pour lire des contes aux enfants ne se limite pas à l’heure du coucher, bien que cette tradition soit très répandue. Myriam Dahman rappelle qu’il n’existe pas de moment unique pour raconter des histoires. « L’essentiel, c’est que ce soit un moment partagé », dit-elle. La lecture peut avoir lieu à tout moment de la journée, tant qu’elle permet de créer une interaction entre l’adulte et l’enfant. Que ce soit avant le coucher, durant un moment calme l’après-midi, ou même en extérieur, l’important est de prendre le temps de lire des livres aux enfants, ensemble, et de faire de ce moment un espace privilégié.

Mais au-delà du moment choisi, le véritable secret pour captiver les enfants réside dans l’attitude de l’adulte qui lit l’histoire. Pour Myriam Dahman, « ce qui marche le mieux, c’est quand l’adulte prend aussi du plaisir ». Les enfants sont très sensibles à l’enthousiasme de la personne qui leur lit un conte. S'ils perçoivent que l'adulte s’amuse, se laisse emporter par l’histoire et la raconte avec passion, ils seront d’autant plus réceptifs. 

« L’adulte qui s’éclate à lire son conte », c’est ce qui, selon Myriam, donne envie aux enfants de s’immerger dans la lecture et d’y revenir encore et encore.

Comment choisir des contes pour enfants ?

Face à l’abondance de publications en littérature jeunesse, plusieurs approches sont possibles pour s’assurer de choisir des histoires de qualité adaptées à l’âge et aux intérêts des enfants :

  1. Consulter un libraire
    Myriam Dahman recommande de faire appel à l’expertise des libraires, en particulier ceux spécialisés en littérature jeunesse. « En France, nous avons la chance d'avoir beaucoup de librairies indépendantes », explique-t-elle. Ces libraires peuvent orienter vers des titres en fonction de l’âge, des goûts des enfants, ou encore des thèmes que l’on souhaite aborder. Le conseil d’un professionnel permet souvent de découvrir des pépites que l’on n’aurait pas remarquées autrement.

  2. Se référer aux prix littéraires
    Les prix littéraires sont également une excellente source de sélection. Myriam Dahman évoque des récompenses spécifiques à la littérature jeunesse, comme les Pépites de Montreuil ou le Prix Vendredi, qui mettent en lumière chaque année des ouvrages de grande qualité. Ces prix peuvent être un gage de reconnaissance et d’excellence dans un océan de nouveautés.

  3. Suivre les recommandations de la presse et des critiques
    La presse spécialisée, les revues littéraires ou les sites consacrés à la critique de livres jeunesse sont d’autres outils pour faire des choix éclairés. Lire des critiques permet d’avoir un aperçu des histoires, de connaître les thèmes abordés et d’évaluer si un ouvrage correspond aux attentes et besoins de l’enfant.

  4. Sortir de sa zone de confort
    Myriam invite aussi à explorer des horizons nouveaux. Plutôt que de se cantonner aux classiques ou aux contes européens, elle encourage à découvrir des récits issus d’autres cultures. « S'ouvrir aux contes des autres cultures » est une façon d'enrichir l'imaginaire des enfants, de leur offrir des points de vue différents et de leur montrer une diversité d'histoires et de créatures fantastiques. Cela permet également de leur transmettre un patrimoine culturel mondial et de stimuler leur curiosité.

  5. Prendre des risques et surprendre les enfants
    Enfin, elle suggère de prendre parfois des risques et de ne pas hésiter à surprendre les enfants. Proposer des histoires inattendues ou sortir des sentiers battus peut être une manière d’éveiller encore plus leur imagination et leur ouvrir de nouveaux horizons. L'essentiel est de ne pas se limiter aux choix habituels, mais de varier les genres et les origines des récits pour enrichir l'expérience de la lecture.

La réécriture des contes classiques : bonne ou mauvaise idée ?

La réécriture des contes classiques est une pratique qui permet d'adapter ces récits anciens aux sensibilités contemporaines. Myriam Dahman soutient cette approche : « le conte appartient au conteur » et il n'y a pas d'interdit dans la réinterprétation de ces histoires. 

Selon elle, les contes ont toujours été réécrits au fil des générations, reflétant ainsi les valeurs et les préoccupations de chaque époque. Les réécritures modernes permettent d’aborder des sujets comme le féminisme, l’inclusion ou encore les stéréotypes de genre, tout en conservant l’essence de ces récits intemporels. Par exemple, Myriam mentionne son propre travail où elle interroge la figure de l'héroïne sacrificielle et la façon dont ces représentations peuvent être repensées pour les lecteurs d'aujourd'hui.

Elle cite également des initiatives comme celles de la maison d’édition jeunesse Talent Haut, qui propose des versions plus féministes ou inclusives de contes traditionnels. Ces réécritures ne visent pas à remplacer les versions originales, mais à « proposer un autre regard, une version parmi plein d'autres ». Pour Myriam, cette diversité d’interprétations enrichit le débat et permet aux enfants d’aborder les récits sous différents angles.

Le traitement des inégalités de genre dans la littérature jeunesse a d’ailleurs déjà été abordé sur le podcast avec l’autrice-illustratrice Fanny Vella. Elle a ainsi illustré la conte Cendrillon-Cendrillo, qui propose une version du fameux récit où tous les personnages changent de genre. 

Lire plusieurs versions d’un même conte, qu’elles soient classiques ou modernes, constitue d’ailleurs un excellent moyen d’encourager la réflexion critique chez les enfants. Myriam Dahman évoque l’idée de « lire les deux versions, classique et réécrite, pour créer le débat ». Les enfants peuvent ainsi questionner les rôles des personnages, les valeurs transmises, et d’exprimer leur propre ressenti.


Au-delà de son métier d’autrice, Myriam Dahman mène également une carrière à l’Agence française de développement, où elle sensibilise les jeunes adultes aux grands enjeux contemporains tels que le climat, la biodiversité, ou encore l’égalité femmes-hommes, à travers le média digital TILT. Ce travail de sensibilisation, bien qu’adressé à un public plus âgé, se croise parfois avec son univers littéraire. Elle a d’ailleurs coécrit 10 idées reçues sur le climat, un ouvrage jeunesse publié chez Glénat, qui mêle vulgarisation scientifique et écriture créative pour sensibiliser les plus jeunes aux défis écologiques.

Dans ses contes, Myriam s’efforce de transmettre une forme d’émerveillement face à la nature, tout en rappelant sa fragilité. Sans être moralisatrice, elle infuse subtilement ses récits avec des préoccupations liées à l’écologie et à la préservation du vivant. Ces thèmes résonnent déjà avec la sensibilité des enfants d’aujourd'hui, qu’elle accompagne dans leur découverte du monde à travers des histoires merveilleuses, riches en symboles et en réflexion.

Références : 

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