Prendre la parole en public avec Bertrand Périer #199

Prendre la parole en public est une compétence essentielle pour les jeunes. Encore faut-il la développer.  Bertrand Périer, avocat et enseignant de l'éloquence, comme le film documentaire À voix haute l’a montré, souligne l'importance d'éduquer les adolescents à cette prise de parole. Ils pourront ainsi s’exprimer, partager leurs opinions et convictions. Pourtant, oser prendre la parole en public nécessite de relever certains défis comme la peur du jugement et les déterminismes sociaux. L’école et la famille jouent un rôle clé dans l’accompagnement des enfants et adolescents pour qu’ils puissent s’exprimer librement et avec confiance. Bertrand Périer nous livre quelques constats et conseils pour favoriser la prise de parole chez les jeunes

Pourquoi savoir et oser prendre la parole en public est essentielle pour les jeunes ?

Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Bertrand Périer enseigne la prise de parole en public aux jeunes. Il est ainsi l’auteur de l’ouvrage Prendre la parole, pas de panique ! aux Éditions Magenta, à destination des adolescents. La parole, et notamment celle de conviction, fait aujourd’hui partie de son quotidien. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Et il a regretté de ne pas avoir, lors de ses années collège, un enseignement sur la prise de parole. Avec son livre, Bertrand Périer a souhaité combler ce vide autour de la prise de parole chez les ados, à cet âge de « bascule entre l’aisance un peu insouciante des enfants et la formation des lycéens ».

Oser prendre la parole et développer la confiance en soi

Bertrand Périer rappelle que dans nos sociétés, la parole est une conquête pour les enfants. C’est un espace que leur laissent ou non les adultes.  Mais c’est aussi un espace qu’il faut investir sinon d’autres le feront à leur place. 

Oser prendre la parole permet clairement de développer la confiance en soi. C’est ainsi que Bertrand Périer a vaincu sa timidité. En participant à des concours d’éloquence notamment, avec ce regret de ne pas avoir reçu un enseignement en la matière plus tôt, au début de son adolescence. En effet, l’adolescence est à ses yeux « un âge critique pour la prise de parole en public, c'est un âge où le rapport au corps, à l'image de soi, à la confiance en soi, tout ça se construit, c'est parfois un peu friable. »

💡 Découvrez, à ce sujet, les conseils d’Anne Claire de Pracomtal sur le mal-être des ados.

Et pour qu’à la fois cette parole et cette confiance en soi se développent, il est important que la prise de parole puisse se faire dans un environnement bienveillant, afin d’aider les jeunes à s’exprimer sans crainte.

Savoir prendre la parole pour exprimer ses opinions et convictions

Oser prendre la parole et savoir la prendre permet aux jeunes de donner leurs avis. Bertrand Périer constate d’ailleurs que les jeunes ont des convictions sur la société, l’économie, la politique, de plus en plus tôt.  Et ils sont avides de les partager. 

On peut le constater, par exemple, avec l’expérimentation menée par la ville de Sion en Suisse et l’intervention du conseil municipal des enfants. Thierry Paquot l’a mentionné quand il s’est exprimé sur « la place des enfants dans la ville ».

Il s’est aussi rendu compte à leur contact que ce qui leur importait, c’était de pouvoir s’exprimer sur des sujets du quotidien, sur la laïcité, les violences policières, l’égalité homme-femme. La parole, en tant que récitation, celle qui est une lecture ou une déclamation, leur importe moins que celle qui permet de débattre

« La dimension esthétique de la parole était pour eux d’une importance moindre que sa puissance persuasive… Ce qui est important pour eux, c’est de pouvoir porter leurs idées dans la sincérité et l’authenticité et d’avoir des mots pour résister aux discriminations. »

Parce que prendre la parole, c’est avant tout pour véhiculer un message. 

Image extraite du documentaire À voix haute, la force de la parole.

Quel est l’impact de la culture générale sur la prise de parole ?

Bertrand Périer explique que la parole n'est pas une génération spontanée.

« La parole ne naît pas de rien, elle naît de votre environnement, quel qu'il soit, mais en effet, si l'on veut bien que la parole soit une exigence, elle se nourrit de la culture que l'on acquiert petit à petit… La parole naît de la culture. »

La parole se nourrit de :

  • la discussion avec les autres ;

  • la lecture ;

  • l’écoute des autres.

Alors, il est certain que « plus on a de culture, plus on a fréquenté d’autres opinions que les siennes, plus on a fréquenté des auteurs, des inspirations, quelles qu’elles soient, plus la parole est riche, notamment riche du vocabulaire que l’on acquiert en lisant. »

La culture générale, qu’elle soit littéraire, scientifique, économique, artistique, a bien sûr un impact considérable sur la prise de parole. Elle contribue à l’enrichissement du vocabulaire et des idées.

Quels défis les jeunes rencontrent-ils pour prendre la parole en public ?

La peur du jugement et du ridicule

La peur du jugement de l’autre est un des plus grands freins à la prise de parole. Qu’il s’agisse du jugement des adultes, des professeurs, de la famille, des camarades, la personne qui doit prendre la parole a peur d’être ridicule. On redoute le jugement malveillant, le regard de l’autre. On craint qu’il ne pointe une faille dans notre personnalité. 

D’ailleurs, à l’adolescence, à cet âge où l’on peut parfois avoir un rapport complexe à son corps, la peur de prendre la parole en public n’en est que plus amplifiée.

L’exigence de performance

Nous sommes dans une société qui loue la performance. Et pour Bertrand Périer, « beaucoup d’inhibitions et d’autocensures naissent de cette exigence de performance et de cette survalorisation d’une perfection qui est inatteignable par la parole. »

Car oui, « la parole est une imperfection, elle est un acte friable de sensibilité, de personnalité, au contraire du livre qui est un objet de papier glacé. »

L’influence des déterminismes sociaux et familiaux

Parmi les défis à la prise de parole, chez les jeunes notamment, les déterminismes sociaux et familiaux sont loin d’être anodins. Si bien sûr, certains ont des prédispositions à l’expression orale, comme d’autres sont bons en mathématiques ou histoire ou sciences, l’environnement social et le caractère collectif de la prise de parole en public jouent un rôle non négligeable.

Bertrand Périer fait ainsi référence à une étude de l’université de Poitiers qui montrent que les inégalités sociales au niveau de la prise de parole sont déjà cristallisées à l’âge de 5 ans. 5 caméras placées dans une salle de classe de grande section de maternelle ont ainsi révélé que les élèves qui prennent la parole le plus facilement, le plus longuement aussi, sont ceux issus de milieux favorisés.

Et toujours grâce à cette étude, il a été constaté que ce n’était pas tant la qualité de la parole qui faisait la différence que la capacité à la prendre, c’est-à-dire à évoluer dans un groupe et à s’y imposer. C’est une recherche qui a permis de révéler l’importance du rapport à la parole tant dans le milieu familial que scolaire.

En conséquence, les situations sont très variées. Elles vont de jeunes qui ont « un rapport très contrarié à la parole et se sont réfugiés dans des écrans, dans une vie virtuelle » à ceux qui sont « très engagés dans la vie de la cité ». Ils peuvent être très jeunes et souhaiter dire, dès le collège, aux adultes et à leurs camarades, ce qu’ils ressentent et pensent. 

Une méfiance à l’égard de la spontanéité : le contre-exemple des pays anglo-saxons

Cette crainte de la spontanéité rejoint ce souci de la perfection, très caractéristique de la société française. En France, nous avons « une pratique de la parole qui se rapproche beaucoup de l’écriture… l’expression parler comme un livre est considérée comme l’idéal pour un enfant ».  La culture française valorise une parole proche de l'écrit, ce qui peut freiner l'aisance orale des jeunes.

Dans les pays anglo-saxons, qui sont en avance en matière de prise de parole par les jeunes, l’indulgence pour une parole spontanée, imparfaite, prévaut. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on retrouve dans l’apprentissage des langues étrangères…

Quelles sont les solutions pour favoriser et améliorer la prise de parole chez les jeunes ?

Face à ce constat, existe-t-il des solutions pour soutenir la prise de parole chez les jeunes ? Bertrand Périer ne prétend pas avoir de recette magique. Voici les conseils relevés au cours de son interview.

1 - Travailler son message

Apprendre à prendre la parole, ça se travaille. Le premier point, c’est d’avoir quelque chose à dire et d’avoir travaillé la façon de le partager avec des mots énoncés à l’oral. 

Cela nécessite d’avoir :

  • du lexique ;

  • une structure ;

  • un message.

2 - S’entraîner à prendre la parole

Comme l’explique Bertrand Périer, « personne ne devient cuisinier en lisant des livres de recettes et donc personne ne devient orateur en lisant des livres sur la question. Il faut pratiquer. Et seule une pratique assidue permet de faire descendre le niveau de stress. »

Pour combattre la peur, le stress, le travail et l’habitude sont les meilleurs alliés. En ce sens, l’école a encore du chemin à parcourir pour offrir le plus d’occasions possibles de prendre la parole. Et pas seulement à ceux qui lèvent la main en premier. 

Cela nécessite aussi d’obtenir un environnement bienveillant de la part de l’auditoire, en faisant taire les moqueurs. Pour certains jeunes, Bertrand Périer conçoit que l’enseignement collectif est un réel obstacle. Il faudrait pouvoir faire du sur-mesure pour la plupart des élèves, ce qui est incompatible avec le fonctionnement en groupe classe. Certains ont besoin de s’entraîner en tout petit comité avant de pouvoir, progressivement, prendre la parole devant une assemblée de plus en plus conséquente.

3 - Accompagner les jeunes dans la construction de leurs propres opinions

Les adultes doivent ouvrir des espaces de parole, mais aussi jouer un rôle de guide pour que les jeunes apprennent à se faire eux-mêmes leurs propres avis. Ils ont besoin de soutien pour :

  • se repérer dans la masse des réseaux sociaux ;

  • identifier les fake news ;

  • faire le tri dans le torrent d’informations qui se déversent sur eux entre les contenus qualitatifs et ceux qui sont nuisibles.

Les adultes devraient donc :

  • effectuer un travail de défrichement ;

  • sensibiliser les jeunes à la vérification des sources, à la manipulation de l’information ;

  • les aider ainsi à développer leur esprit critique.

Néanmoins, Bertrand Périer met en garde sur le fait « d’imposer aux enfants d’avoir une opinion sur les choses. L’enfance est d’abord l’âge du doute et de l’incertitude et des idées qui se construisent ». 

Il rajoute que « la parole, c'est une façon de se dépasser, c'est soi-même en mieux ». Il est donc important que l'expression orale des jeunes ne se limite pas à des onomatopées, des borborygmes. Bertrand Périer souhaite que les adultes soient exigeants avec les adolescents. Pour lui, il est préférable de ne pas glorifier une parole, simplement parce qu’elle est émise par un jeune. À l’adulte de montrer que le discours peut s'améliorer en précision et en construction. Le vocabulaire peut gagner en richesse, la structure peut être plus rigoureuse : voici les deux piliers de la parole sur lesquels porter une attention particulière. 

4 - S’appuyer sur l'école comme égalisateur des chances face à la prise de parole

Pour Bertrand Périer, l’école doit viser, autant que faire se peut, une égalisation des situations face à la prise de parole des jeunes. Elle doit donc s’emparer de ce sujet, mener un travail d’acculturation et guider les enfants vers des lectures qui permettent de nourrir leur imaginaire, leur lexique, leur culture. Cela signifie par exemple qu’il faut peut-être inciter ces jeunes à aller vers des lectures un peu plus exigeantes que celles qui leur tomberaient sous la main.

« Un élève, ça s’élève. »

5 - Rappeler l’importance de la famille et des amis dans la pratique de la prise de parole

La famille n’est pas en reste, dans le rôle qu’elle doit jouer pour contribuer au développement de la prise de parole chez les plus jeunes. D’autant plus quand cette pratique se fait difficile à l’école  : « le meilleur ami dans ce cas-là, c'est la famille ». 

Bien sûr, cet environnement familial doit constituer un « espace protégé, préservé, où la bienveillance est de mise. »

6 - Participer à des concours d'éloquence et pratiques non-jugeantes

Pour une personne timide, les concours d’éloquence paraissent absurdes, tellement ils semblent insurmontables. Et pourtant, Bertrand Périer, qui a lui-même choisi cette voie pour s’entraîner à prendre la parole, estime que ces concours ont une « vraie vocation à aider ou débloquer des autocensures ». 

Il estime que ces temps lui ont permis de prendre une parole sans enjeu, notamment judiciaire par rapport au métier auquel il se destinait. Cela l’a aidé à progresser. 

7 - Utiliser la technologie pour s’entraîner à prendre la parole

Bertrand Périer suggère d’utiliser son téléphone portable afin de s’exercer. Plusieurs pratiques sont possibles :

  • Échanger par téléphone avec des amis, des membres de la famille et dont on connaît la bienveillance : tout ceci se fait indépendamment du groupe classe. Ces personnes constituent le premier public.

  • Utiliser la fonction dictaphone de son smartphone pour enregistrer une sorte de « journal intime oratoire ». La version écrite du journal intime laisse place à une forme audio, dans un « processus de familiarisation avec la prise de parole ». Il est alors possible d’écouter le message enregistré, d’entendre les imperfections, d’identifier les progrès à faire. C’est un bon moyen de se tester sur sa prise de parole. 

8 - Dédramatiser et oser l'authenticité et la spontanéité

Généralement, Bertrand Périer essaie de faire comprendre aux jeunes à qui il enseigne l’art oratoire, que  :

  • la pratique est importante ;

  • ce qu’ils ont à dire mérite d’être entendu ;

  • leur parole a une dignité.

Pourquoi le rappeler ? Parce que même si la société évolue, elle n’en est pas encore au point de laisser naturellement les enfants s’exprimer, de les écouter avec bienveillance.

Malgré tout, quand l’espace de parole se présente, certains jeunes ne parviennent pas à dépasser, immédiatement tout du moins, leurs blocages. 

Bertrand Périer aime à rappeler que « la peur fait partie de la parole et qu’elle accompagne toutes nos vies… L’idée, c’est d’en faire plutôt une peur stimulante qu’inhibante », d’autant plus que la peur ne disparaît pas avec l’âge. Il a également compris qu’il vaut mieux privilégier une toute petite victoire plutôt qu’une exigence trop importante

Auprès des élèves, Bertrand Périer essaie de convaincre son auditoire que la parole est une chance de pouvoir partager ses émotions avec autrui, ses convictions, ses connaissances. C’est grâce à la parole que se créent les groupes sociaux, les amitiés…

Enfin, il essaie de transmettre le fait que la parole, c’est avant tout la spontanéité. La parole n’est ni un exercice d’acteur, ni une lecture offerte, ni une récitation. Donc attention à certains concours d’éloquence qui sont en fait des examens de récitation, de déclamation, qui font la place belle à une parole boursoufflée, ampoulée.

9 - Travailler la posture d’orateur

Enfin, parmi les autres conseils donnés par Bertrand Périer dans l’épisode, on retrouve la posture de celui qui prend la parole. Parce que le corps, la gestuelle, le comportement, la façon de placer son corps dans l’espace constituent aussi une composante de la parole

Bertrand Périer rappelle qu’on est non seulement « jugé sur ce que l’on dit mais aussi sur l’image que l’on renvoie, sur son apparence physique, vestimentaire ». Et typiquement, ce n’est pas la partie avec laquelle on est le plus à l’aise à l’adolescence. Car cela suppose d’être bien dans son corps, d’en accepter l’évolution, pour en faire un allié dans la prise de parole. 

Créer des espaces de parole pour les jeunes est fondamental. Bertrand Périer souligne que « plus il y a de paroles et moins il y a de violence ». L'expression orale permet de construire des relations sociales solides et pacifiques.  En attendant que la parole trouve la place qu’il se doit à l’école, c’est aux familles de jouer pour aider les jeunes à prendre la parole en public !

Références : 

- Prendre la parole, pas de panique !, Bertrand Périer, Clémentine Latron, Magenta éditions, 2024

- Documentaire A voix haute - La force de la parole


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