Comment l’art aide les jeunes à grandir et guérir ? avec Daphné Kauffmann #198

L'art possède un pouvoir transformateur souvent sous-estimé, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes en quête de sens et d'expression. Daphné Kauffmann, ancienne enseignante, formatrice, romancière et artiste passionnée, en a vite eu conscience. Elle a fondé les Ateliers 62, un tiers-lieu à Paris où l’expression artistique et la culture servent de pilier à l'épanouissement. Comment l’art aide les jeunes dans leur chemin de vie ? Voici quelques éléments de réponse.

Comment l’art aide les jeunes à affronter leurs angoisses ?

Quand elle a imaginé Les Ateliers 62, Daphné Kauffmann souhaitait avant tout offrir un espace pour proposer des cours d’écriture et de musique. C’est aujourd’hui un lieu de 300 m² dans lequel les adolescents laissent libre cours à leur potentiel créatif, loin de tous les maux familiaux, environnementaux, sociétaux… Ils peuvent s’exprimer et créer à travers le chant, le théâtre, l’art pictural, l’écriture, la musique, le podcast et bien d’autres disciplines artistiques et culturelles

 Il se trouve que nombre de jeunes y trouvent refuge alors qu’ils ne parviennent plus à remettre un pied au collège, au lycée. Ils sont souvent étiquetés en phobie scolaire ou souffrant de refus scolaire anxieux. Daphnée Kauffmann préfère parler d’allergie, car pour elle, ils peuvent se sortir de cette phobie. Elle a d’ailleurs de nombreux exemples de jeunes qui, en à peine un mois, retrouvent le sourire. Comment ? Grâce à l’expression artistique. L’art aide les jeunes

L’art permet de s’exprimer personnellement

Alors qu’ils ne mettent plus de sens sur ce qu’ils font au lycée ou sont perdus quant à leur avenir, l’art leur permet de s’exprimer sans pression, sans notes, sans attentes de la société.  

Daphné Kauffmann décrit les Ateliers 62 comme un lieu où les adolescents peuvent « développer leur potentiel créatif à l'écart de tous les maux qui les entourent ». Loin du modèle scolaire habituel, les jeunes explorent leurs passions à travers des activités. Cela leur permet de s'exprimer de manière authentique et libre, une fois dépassée l’idée qu’ils ne savent pas écrire, dessiner ou faire de la musique.

Daphné Kauffmann raconte ces adolescents qui à la question « tu écris ? » répondent «  Ah non, je suis nul en français ». « Je ne te parle pas du français, je te parle de l’écriture… ». « Parfois, ne pas savoir dessiner, ne pas être bon en français, au contraire, ça leur permet de s’exprimer de manière plus libre [...]. Certains font un trait et y mettent toutes leurs émotions, toute leur identité ». L’art peut aider ces jeunes à sortir ce qu’ils ont en eux.  «  Il ne faut pas que ça reste à l’intérieur, parce que sinon, ça te bouffe de l’intérieur ».

L’art permet de reprendre confiance en soi

Parmi les nombreux chemins de vie dont Daphné Kauffmann peut témoigner, elle a choisi celui d’une jeune fille, qui est arrivée aux ateliers, cabossée par un système qui ne lui convient pas. Elle était en souffrance physique, toute recroquevillée sur elle-même. Elle essayait alors d’intégrer une école privée et venait d’être refusée en raison de son look trop prononcé, trop gothique. L’argument avancé ? Elle aurait pu faire peur aux autres élèves. Et pourtant, il s’agissait d’un collège qui s’appuyait sur une pédagogie alternative…

Elle a commencé doucement par de l’écriture créative. Elle écrivait ce qu’elle ressentait. Puis, elle a fait du chant, de la guitare. Puis, petit à petit, elle s’est ouverte. Elle a finalement fait des études de psychologie et est aujourd’hui dans le domaine de l’orfèvrerie.

Un autre exemple marquant dans le témoignage de Daphné Kauffmann est celui d’une jeune fille qui arrive en terminale, complètement mangée par le stress, sous pression du lycée, de ParcourSup, du bac. Impossible pour elle de continuer. Elle se soigne alors avec l’art aux Ateliers 62, laisse chanter sa voix magnifique. Aujourd’hui, elle vient d’être retenue dans une école de comédie musicale. Elle semble avoir trouvé sa voie… ou voix. 

À travers l’expression artistique et sans doute grâce aux modalités offertes par les Ateliers 62, les jeunes retrouvent confiance en eux. Ils explorent leur créativité, leurs passions.

L’art permet de se faire du bien

L’expression artistique, quelle que soit sa forme finalement, permet de se faire du bien, de déconnecter son cerveau. C’est ce que partage Daphné Kauffmann : «  la lecture, l'écriture - très tôt, moi, je rédigeais un journal -, c'est hyper salutaire : pouvoir mettre par écrit, même écouter de la musique, jouer de la musique… Quand on ne va pas bien, on prend sa guitare et tout d'un coup, on ne pense à rien. Et ça, c'est vraiment génial, on éteint le cerveau ».

Elle explique qu’encore aujourd’hui, quand elle se rend dans les expositions, cette expérience lui permet d’avoir « le cerveau qui remet le compteur à zéro ».

Pour les jeunes, avoir ces temps pour pouvoir faire le vide, se poser, c’est très important. Leur cerveau est sans cesse sollicité et ils n’ont finalement pas de moments vides, qu’ils pourraient combler par ce qu’ils auraient à exprimer

Et généralement, quand ces jeunes trouvent un espace où prendre le temps de s’exprimer, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas seuls à se poser des questions, à éprouver du mal-être, à se sentir en décalage.

💡 Flore Vasseur parle de ces jeunes face à la crise dans l’épisode 192 : la jeunesse face aux défis du XXIe siècle.

L’art invite aux partages et au dialogue : rencontre et travail collectif

Si l’on revient sur les élèves en refus scolaire anxieux, en phobie scolaire, en décrochage ou raccrochage, on se rend compte qu’ils sont majoritairement isolés chez eux, avec leur téléphone. Peu de solutions s’offrent à eux finalement :

  • Aller au collège, au lycée : ils n’y parviennent plus.

  • Rester à la maison : c’est ce qui se passe généralement, mais ce n’est pas une solution qui permet d’avancer.

  • sortir, mais pour aller où ? Au café ? Ces jeunes sont souvent mineurs. Ce n’est pas la solution non plus.

Des tiers lieux comme les Ateliers 62 permettent d’accueillir ces jeunes.
(Dans le même ordre d’idées, même si ce n’est pas spécifiquement tourné vers l’expression artistique, l’association Emoviv sur Lyon se veut un refuge et un tremplin pour ces jeunes en phobie scolaire.)

Daphnée Kauffmann aime les accueillir, les écouter : la rencontre fait partie de l’ADN des Ateliers 62. C’est un moyen de faire prendre conscience aux jeunes qu’ils ne sont pas tout seuls. Ils peuvent parler, échanger, sur leurs questionnements, leurs peurs, leurs pratiques… Le dialogue avec l’autre, voire le groupe, peuvent vraiment devenir une aide.

Par ailleurs, si « l’art et la culture, c’est aller voir des expos, pratiquer la musique, le faire ensemble, c’est hyper important ».

En musique, comprendre qu’on fait partie d’un tout, c’est une leçon de vie.

Daphnée Kauffmann prend l’exemple du groupe de musique, de l’orchestre. Celui qui ne joue pas sa note au moment voulu met en péril l’équilibre du morceau. Chacun a un rôle important à jouer… et en même temps, le groupe se rétablit ensemble. Les jeunes pourront transférer cette valeur fondamentale à d’autres domaines de la vie : chaque pierre de l’édifice compte.

À travers l’expression artistique, il est possible de développer des valeurs essentielles, des notions d’entraide à travers le travail collectif, le vivre ensemble, la coresponsabilité.

L’art nourrit la curiosité et ouvre les esprits

Pour Daphné Kauffmann, l’art et la culture sont essentiels dès le plus jeune âge. Cela apporte une ouverture et nourrit la curiosité. Et tous les enfants sont naturellement curieux. Il faut juste les stimuler. Si on met un enfant toute la journée assis sur sa chaise de bébé face à un mur, il ne fera rien (il risque même de dépérir, NDLR). Si on le stimule, lui propose de quoi s’occuper, ainsi que d’entrer en interaction avec l’autre, alors on va l’accompagner dans son développement.

L’art, cela fait également partie de la culture générale. Cela sert toute la vie. Cela donne des références. 

La place de l’art dans le parcours scolaire traditionnel

Si l’on prend l’exemple du collège, l’heure d’arts plastiques, ainsi que celle de musique, peuvent être considérées comme mieux que rien. Néanmoins, pour Daphné Kauffmann, l’art devrait sortir de la salle de classe. Aux Ateliers, les jeunes ont accès à un studio de musique avec des instruments, du matériel d’enregistrement, un atelier d’art.

Un autre problème vient de la notation. Contre le fait de noter un dessin, contre ces formes d’évaluation pas du tout adaptées, voire absurdes, Daphné Kauffmann plébiscite plutôt les encouragements : aujourd’hui, tu as réussi à chanter devant tes camarades !

«  C’est bien de proposer des enseignements artistiques, mais cela devrait être fait différemment », comme beaucoup d’autres choses, renchérit-elle. Elle mentionne ainsi le Collège Diago d’Anne Borderieux qui proposent 2 h 30 de pratiques artistiques, les après-midis, aux élèves. 

Il existe des classes Arts-études, au même titre que les classes sport-études, mais elles n’ont pas la même aura que celles dédiées aux sports. En collège, on trouve les classes à horaires aménagés musique ou danse (CHAM et CHAD). Mais la continuité n’est pas toujours garantie sur le lycée. Pour les sportifs de haut niveau, les horaires aménagés se poursuivent. Les sportifs offrent une visibilité à la nation. C’est moins évident pour les artistes

.Daphné Kauffmann souligne également le souci de la discipline, qui entre sans doute en jeu dans le fait que les sport-études sont bien plus développées que les art-études. Les élèves en sport-études sont plus disciplinés, plus cadrés, c’est d’un certain côté plus facile de leur faire mener des études en parallèle. Pour les élèves artistes, cela s’avère souvent plus compliqué pour l’école de gérer et proposer une scolarité adaptée. 

Aperçu des programmes des Ateliers 62

Parcours art-études et horaires flexibles

Les Ateliers 62, sous la direction de Daphné Kauffmann, proposent des parcours adaptés aux jeunes désireux de concilier éducation formelle et expression créative. 

  • Le parcours art-études s’appuie sur des horaires aménagés

  • Le parcours à horaires libres s’adresse à des jeunes en cours à distance, éventuellement déscolarisés pour de la phobie scolaire, etc.

Année de césure post-bac hors du commun

Les Ateliers 62 ont construit, en prenant appui sur les retours des jeunes, en discutant avec eux, une année de césure post-bac, créative et artistique. Objectifs ? Nourrir la curiosité, faire une pause, arrêter la pression. 

Ce programme n’a pas de notes, pas d’évaluations. Il propose des ateliers de géopolitiques, de philo, de questions d’environnement le matin. L’après-midi, place aux pratiques artistiques pour permettre aussi de mieux se connaître et faire des choix alignés avec qui on est. 

Ce programme interculturel et créatif, le PIC, ouvre sa première promotion en septembre 2024. Et à la demande des jeunes, il est basé sur un emploi du temps. Daphné Kauffmann a trouvé cette nécessité intéressante. Une année de césure, un projet, c’est motivant, génial, mais le cadre est essentiel et attendu par les participants. 

À travers ce magnifique tiers lieu que sont les ateliers 62 et les projets qui s’y déroulent, Daphné Kauffmann transmet bien son vœu pour les jeunes, futurs adultes de demain. Elle leur souhaite d’être acteurs de leur propre vie, d’être dans l’action, de vivre et non d’exister. L’objectif n’est pas de faire bien, il faut faire. 

Il vaut mieux fait que parfait.

Références : 

- Ateliers 62

- Collège Diago

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