Les jeunes face aux défis sociétaux et environnementaux avec Flore Vasseur #192

Dans un monde confronté à des crises environnementales et sociales de plus en plus intriquées, Flore Vasseur, réalisatrice du film documentaire Bigger than us, nous aide à comprendre l'impact de ces défis sur la jeunesse. Comment sont les jeunes face à la crise sociétale et environnementale en cours ? Souvent au cœur des tempêtes écologiques et sociales, ils sont non seulement les plus affectés, mais aussi paradoxalement les plus motivés à chercher des solutions

À travers son film Bigger than us, Flore Vasseur met en lumière ces jeunes militants du monde entier qui répondent avec force et résilience à ces crises. À travers leurs histoires, le film explore comment ces crises interconnectées façonnent les perceptions, les émotions et les actions des jeunes. Dans cet épisode, Flore Vasseur livre notamment son point de vue sur ce qui impacte aussi négativement les jeunes et leur délivre quelques conseils pour qu’ils ne restent pas seuls avec leurs questionnements.

Les jeunes face à la crise : de quoi parle-t-on ?

La naissance d’un film : Bigger than us

Deux déclencheurs sont à l’origine de cette volonté pour Flore Vasseur de réaliser le film Bigger than us :

  • la question de son fils, « ça veut dire quoi la planète va mourir ? » ;

  • et la rencontre avec Melati, jeune balinaise, qu’elle interviewe une première fois alors qu’elle travaillait pour Arte. Elle la revoit 4 ans plus tard. Elle est alors toujours en train d’agir pour faire interdire les sacs plastiques sur son île, mais sur le point d’arrêter. En effet, Melati pensait que son action lui prendrait le temps d’un été et 4 ans après, elle est toujours en train d’œuvrer, elle se sent seule et n’a plus le temps.

Alors, elle va partir aux quatre coins de la planète et ramener les témoignages de 7 jeunes qui luttent pour :

  • la justice environnementale ;

  • le pouvoir de la jeunesse ;

  • le droit des femmes ;

  • l’éducation des réfugiés ;

  • l’accueil des réfugiés ;

  • la sécurité alimentaire ;

  • la liberté d’expression.

Son objectif premier, c’est d’amener des réponses à son fils et de montrer à Melati qu’elle n’est pas seule. Flore Vasseur a compris que « les activistes, les gens qui agissent, se sentent seuls, qu’ils s’arrêtent parce qu’ils se sentent seuls ». « Peut-être que ce que je peux faire, moi, c’est leur montrer qu’ils ne le sont pas ».

Aider à la prise de conscience de l’ampleur de la crise qu’affronte la jeunesse

Ce film, ce fut aussi un moyen d’expliquer à Melati qu’il n’y avait pas que l’environnement. Flore Vasseur déplore avec véhémence que les politiques tentent de diviser en séparant les problèmes avec :

  • d’un côté, l’écologie ;

  • de l’autre, la condition des femmes ;

  • puis encore les problèmes sociaux ;

  • les migrants ;

  • la sécurité alimentaire ;

  • ou encore la liberté de la presse et de la démocratie, etc.

En fait, tous ces problèmes, loin d’être tous cités, sont les conséquences et les symptômes d’un seul et même problème : « le système économique avec lequel nous fonctionnons et que nous avons choisi comme loi. »

« Ce n’est pas un blasphème de le dire, le capitalisme nous tue. Voilà, point. Il faut le dire en fait. »

Flore Vasseur va même plus loin en expliquant qu’on perd du temps à parler d’écologie, de tri sélectif, de panneaux solaires, sans pointer le vrai problème, à savoir le système économique qui sous-tend notre société

Des crises sociales et environnementales interconnectées

Les crises environnementales et sociétales que nous vivons aujourd'hui ne sont pas des phénomènes isolés. Elles sont intrinsèquement liées par des structures économiques et politiques qui façonnent notre société. Et elles affectent profondément la vie quotidienne des jeunes à travers le monde. 

Flore Vasseur, à travers son travail sur le film Bigger Than Us, illustre comment ces crises sont exacerbées par des inégalités économiques et des politiques publiques inadaptées, et comment elles sont toutes les deux symptômes d'un système plus vaste qui nécessite une refonte complète.

« Moi, j'ai eu envie de faire confiance aux gens et de dire : je ne vais pas faire un film que sur l'écologie, je vais vous montrer que tout est lié, que tout est interconnecté, que nous sommes tous interconnectés. Je vais choisir X causes qui me parlent à moi, parce qu'après tout, c'est moi qui fais le film, et je vais vous montrer combien tout est lié et combien à chaque fois ça pointe vers cette même cause racine. »

À travers les témoignages du film, on se rend compte que les jeunes, en réponse, ne restent pas passifs. Leur mobilisation est souvent inspirée par une quête de justice et d'équité, cherchant à relier les combats écologiques à des luttes sociales plus larges, en quête d'un changement systémique. Cette génération montre un désir d'agir très grand, pas seulement pour l'environnement, mais pour leur propre avenir et celui des générations futures.

D’où viennent l'écoanxiété et le stress des jeunes ?

L'écoanxiété est un terme de plus en plus courant dans les discussions sur l'environnement, mais pas seulement sur ce sujet. C’est par exemple un mot que l’on retrouve lorsque les jeunes se questionnent sur leur désir d’enfant. Mathilde Bouychou l’avait expliqué dans l’épisode du podcast sur « comment savoir si l’on veut un enfant ».

L’écoanxiété naît d’une absence de réponse

L’écoanxiété trouve son origine dans une prise de conscience croissante des menaces environnementales et leur impact direct sur l'avenir. Cependant, comme le souligne Flore Vasseur, cette anxiété n'est pas seulement liée aux mauvaises nouvelles écologiques. Elle provient aussi du « silence des adultes ». Lorsque son propre fils lui a demandé ce que signifie « la planète va mourir », Flore Vasseur s'est rendu compte de l'ampleur de l'angoisse que peuvent ressentir les enfants face à des réalités complexes que les adultes peinent eux-mêmes à expliquer.

« L'écoanxiété, ce n'est pas l'angoisse face aux mauvaises nouvelles. Ce n'est même pas l'accumulation des mauvaises nouvelles. L'écoanxiété, c'est le silence des adultes », explique Flore Vasseur.

La pandémie a stoppé les mouvements de la jeunesse

La pandémie de COVID-19 et ses confinements ont aussi stoppé les mouvements de jeunesse. « On n’a pas réussi à retrouver ces mouvements de mobilisation », constate Flore Vasseur. Néanmoins, « des personnes merveilleuses sont sorties du bois », donnent envie à d’autres. Ce désir d’agir, d’exister, de dire qu’on est là, existe.

Les jeunes, face à une crise pas seulement environnementale

Cette pandémie a également joué un rôle dans l'accélération de l'anxiété chez les jeunes, pas uniquement sur le plan environnemental, mais aussi social. Les confinements et les perturbations dans les routines quotidiennes ont exacerbé le sentiment d'isolement et de désarroi chez beaucoup, contribuant à un mal-être grandissant des jeunes. Ce sujet du mal-être des jeunes avait d’ailleurs fait l’objet d’un échange avec l’auteur Jérôme Colin. 

Les jeunes aujourd'hui sont non seulement préoccupés par l'environnement, mais aussi par des questions de justice sociale, d'équité et de futur professionnel. Le film Bigger Than Us illustre ces liens à travers les histoires de jeunes militants qui non seulement luttent pour protéger l'environnement, mais aussi pour créer des sociétés plus justes et inclusives.

Pour Flore Vasseur, ce mal-être provient du manque de sens. Et les enfants, les jeunes adultes, le perçoivent, ce manque de sens.  Ils voient aussi que les adultes, leurs parents, ne réagissent pas. 

« Collectivement, je n’accuse personne, mais moi, je suis là-dedans aussi, on est comme tétanisé, en fait. On est dans une espèce de catatonie. On a désiré nos enfants. Et puis là, on ne sait plus quoi leur dire. Alors, on se tait. Et ça, ça tue ».

Comment aider ces jeunes face à la crise environnementale et sociétale ?

En les considérant comme des acteurs clés du changement

Pour soutenir les jeunes dans leurs engagements face à la crise globale, Flore Vasseur s’accorde totalement avec Stéphanie d’Esclaibes sur l’idée qu’il faut cesser tout infantisme. Ce terme a été popularisé par la pédopsychiatre Laelia Benoît qui a rédigé un essai sur l’infantisme. Ce mot pointe du doigt l’idée que les adultes éduquent les enfants en les dominant et en ne leur accordant pas la place à laquelle ils ont droit

Dans le cadre de son projet de recherche sur l’écoanxiété, Laelia Benoît dresse un constat du traitement médiatique de l’engagement climatique des enfants et des adolescents par la presse américaine. Les résultats montrent que les médias ont tendance à se concentrer moins sur les causes défendues par les jeunes, comme les enjeux climatiques, que sur leur condition de jeunes. Les articles, leurs reportages vont plus s’intéresser au fait qu’ils dérangent, qu’ils manquent l’école quand ils manifestent, qu’ils grandissent trop vite. Il est vraiment très rare que les contenus médiatiques considèrent ces jeunes comme des intervenants clés dans les débats sur l’environnement, alors qu’ils sont concernés au premier chef par ces questions.

Pour Flore Vasseur, c’est une façon de « noyer le poisson, d’affaiblir le messager quand on ne veut pas écouter le message. L’adulte ne peut pas entendre la parole de l’enfant parce qu’il ne peut pas adresser sa propre honte de ne pas être à la hauteur. »

Et face à la crainte de faire peser sur leurs épaules la responsabilité de notre avenir, Flore Vasseur propose plutôt de leur dire : « tu es fondé à être en colère, tu es fondé à manifester, tu es fondé à proposer quelques chose, c’est ton monde. »

En redonnant sa place à l’éducation, à l’école, comme catalyseur de changement

L'éducation ne se limite pas à la transmission de connaissances ; elle est un puissant outil de transformation sociale. Flore Vasseur souligne l'importance des projections débats dans les écoles, qu'elle a activement promues avec son film Bigger Than Us

Si, au cours de ses voyages et ses interactions, elle a découvert à quel point l'école peut être précieuse, elle pointe également du doigt la dégradation de l'école dans de nombreuses sociétés. Les professeurs, souvent sous-payés et sous-estimés, luttent pour maintenir l'intégrité de leur mission éducative. Elle appelle à une revalorisation de l'école et de ses acteurs, en suggérant que l'éducation doit être reconnue comme un pilier fondamental pour former des citoyens conscients et engagés, capables de répondre aux défis de notre temps.

L'engagement de Flore Vasseur avec le film Bigger Than Us illustre comment l'école peut servir de catalyseur pour éveiller les jeunes aux problématiques mondiales. Les projections et les discussions qu'elle organise ne sont pas juste des occasions d'apprendre sur les crises. Ce sont des temps forts pour que les jeunes expriment leurs peurs, leurs espoirs et discutent de solutions concrètes. Elle observe « des enfants qui sont merveilleux, qui n’ont pas choisi de voir le film, qui ne seraient jamais tombés dessus et qui, à son contact, se posent des questions, se mettent à réfléchir, posent des questions qui sont magistrales ».

Elle rappelle toutefois que si elle parvient à obtenir leur attention, c’est aussi et surtout grâce aux professeurs. Elle explique que « le film n'arrive pas à tenir face au flot, au torrent, aux mers en furie, mer de cochonneries qu'on leur balance à la figure pour ne pas qu'ils pensent. C'est quand même ça l'objectif. Les TikToks, etc., ça sert à fermer le cerveau de nos enfants… ça sert à distraire et à éviter de réfléchir ».

Ce que Flore Vasseur retient de ces projections débats, ce sont ces jeunes capables de réfléchir, de s'écouter, de se parler en confiance, parfois de pleurer, souvent de remercier. Son rôle, c’est un peu de faire des mises en route. Et la question suivante est fréquemment : qu’est-ce que je peux faire ?

En soutenant la jeunesse dans ses questionnements et engagements

Face à la question « Et moi dans tout ça, je fais quoi ? », Flore Vasseur répond généralement aux enfants  :

  • De ne pas rester seul, de profiter du groupe, de se tourner vers les adultes qui ont organisé la séance.

  • D’en parler dans leur famille, pour créer de la reconnexion.

  • De comprendre ce qui se passe avant de s’engager : s’approprier le problème avant même d’aller manifester. Le site de Bigger than us contient beaucoup de ressources pédagogiques.

  • De choisir ce pour quoi ils veulent s’engager : l’idée n’est pas de faire une marche pour le climat pour faire comme tout le monde. Il faut accepter de tâtonner, d’aimer le projet d’une association, puis, peut-être, de préférer s’investir dans une autre après. Ce papillonnage énerve les associations. Pourtant, ce n’est pas grave aux yeux de Flore Vasseur. Cela participerpour les jeunes de leur apprentissage. Cela les aide à grandir, s’affranchir, s’émanciper.

  • D’accepter de s’engager, pas parce que ça va changer les choses, sinon on risque de se brûler les ailes face à la désillusion, mais parce qu’on souhaite créer de la reconnexion.

Pour Flore Vasseur, l'objectif ultime de l'éducation et des médias devrait être d'encourager une citoyenneté active et informée. En fournissant aux jeunes les outils nécessaires pour comprendre et agir sur les crises sociétales et environnementales, nous pouvons espérer bâtir une société plus juste et durable. Elle insiste sur le fait que « la société a été très efficace à nous isoler. les uns des autres, à nous faire croire qu'on est séparés, qu'on doit avoir peur, que tout ça, ça ne sert à rien ». « Et moi, je vis tout l'inverse... Mon seul objectif, c'est le lien. »

Références : 

Infantisme, Laelia Benoit, Seuil, 2023

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