Jardiner à l’école avec les enfants pour les ouvrir au monde avec Sylvain Wagnon #193
Jardiner à l'école est bien plus qu'une simple activité de plein air. Il s'agit d'une pratique éducative riche qui intègre de multiples dimensions de l'apprentissage et du développement des enfants. Selon Sylvain Wagnon, agrégé et docteur en histoire, spécialiste de l'éducation nouvelle et professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Montpellier, le jardinage offre des opportunités uniques pour connecter les enfants à la nature, développer des compétences psychosociales variées et s'ouvrir au monde. C’est ce qu’il détaille au micro du podcast Les Adultes de Demain.
Dans un contexte où la végétalisation des espaces scolaires devient une priorité, notamment avec la loi Climat et Résilience, le jardinage à l'école prend une place de plus en plus importante. De nombreux projets d'école s'articulent désormais autour des jardins pédagogiques, intégrant des aspects scientifiques, écologiques et culturels. Sylvain Wagnon a choisi ce sujet pour son livre, coécrit avec Corine Martel, Jardiner à l’école pour s’ouvrir au monde. Petit tour d’horizon pour comprendre :
comment et pourquoi jardiner à l’école ouvre les enfants au monde ;
les différents types de jardins pédagogiques et leur intégration dans les programmes scolaires ;
la collaboration nécessaire avec les parents et la communauté.
Jardiner à l'école pour quels bienfaits ?
Le jardinage à l’école développe des compétences psychosociales
Le jardinage est une activité qui enseigne aux enfants :
l'autonomie ;
la persévérance ;
la patience.
En s'occupant des plantes, les enfants apprennent à suivre des tâches régulières et à observer les résultats de leurs efforts sur le long terme.
Les pédagogues d'éducation nouvelle du début du XXe siècle, dont Sylvain Wagnon est spécialiste, avaient déjà bien perçu l’intérêt du jardin. Le pédagogue belge Ovide Decroly disait d’ailleurs : « la classe, c'est quand il pleut ». Cela ne signifie pas qu’il était contre la classe. Mais il essayait de faire passer le message qu’il faut sortir un maximum.
Jardiner à l’école entraîne également un apprentissage de la coopération et du travail en équipe… et pas seulement entre enfants ! Comme l’explique Sylvain Wagnon, mettre « en place un jardin, c’est une affaire d’équipe… C'est aussi une collectivité qui doit être pensée, bien sûr aussi avec les élèves, mais aussi avec les parents. »
Un jardin pédagogique offre une opportunité de connexion à la nature
1 - Sensibilisation à l'environnement et à la biodiversité
Le jardinage permet aux enfants de se connecter à la nature de manière tangible et significative. Ils apprennent de façon beaucoup plus concrète et expérimentée. Et pour les écoliers en milieu urbain, les jardins pédagogiques permettent de découvrir la nature en ville et offrent une connexion à la nature. Ils découvrent les différentes plantes, les insectes et autres éléments de la biodiversité présents dans le jardin. « On utilise le jardin, pas simplement comme un lieu qui va permettre d'avoir une récolte, mais quelque chose qui amène une vraie relation, en réalité, avec la terre, avec l'environnement et avec les autres », explique Sylvain Wagnon. Le jardin aide les enfants à se sensibiliser à l’environnement.
🎧 Écoutez un précédent épisode avec Sylvain Wagnon sur l’école dans et avec la nature
2 - Compréhension des cycles naturels et des écosystèmes
Le jardin pédagogique aide à la prise de conscience du défi climatique, à comprendre l’environnement et l’enjeu de la végétalisation.
Être dehors avec un jardin amène un côté régulier, lié à un rythme très particulier, qui est celui des saisons, du climat, rythme aussi des activités de l'école. Le jardin est donc « un outil majeur parce qu'il rend concret cette école dehors ».
Le jardin est un écosystème à lui tout seul, lieu d’interactions entre tout le monde, avec notamment tous les animaux qui gravitent autour du jardin, les insectes, les vers de terre. L’enfant va pouvoir comprendre toute la logique de ces animaux et leurs besoins en partie remplis par la terre du jardin.
Jardiner avec les enfants a un impact sur leur bien-être
Même si cela ne fut pas abordé précisément au cours de l’épisode, rappelons que pour tout être humain, enfant ou adulte, le jardinage a des effets positifs sur la santé mentale et physique.
Il incite aux mouvements que ce soit pour son entretien ou pour pérégriner en son sein. Il invite à l’introspection quand on est seul, mais à de multiples interactions quand on le fait entre élèves, à l’école, avec l’aide d’adultes, qu’ils soient enseignants, parents ou jardiniers de la collectivité.
Le simple acte de jardiner, de prendre soin des plantes et de voir les résultats de son travail peut être extrêmement gratifiant et apaisant. Cela réduit le stress et améliore l’humeur. Des chercheurs allemands ont d’ailleurs montré au cours d’une étude que passer du temps à l’extérieur, dans la nature, était profitable pour le cerveau. Être dans un environnement naturel a un effet calmant et revitalisant.
Apprentissages : jardiner à l'école ouvre les enfants au monde
Sylvain Wagnon explique que « la salle de classe existera toujours, c'est une évidence, c'est un lieu d'apprentissage. Mais à côté, de façon complémentaire, permettre un enseignement dehors est une nécessité aujourd'hui. C'est une nécessité déjà climatique, mais c'est une nécessité à mon avis aussi pédagogique. » Il existe de plus en plus de recherches, très précises, notamment en Angleterre, sur l’intérêt de l’activité du jardin scolaire.
Les différents types de jardins pédagogiques
Quand on pense à un jardin pédagogique, l’image qui vient souvent en tête en premier, est celle d’un jardin potager. Et pourtant, il en existe d’autres types de jardin, tout autant riches d’apprentissages.« Il n’y a pas un jardin scolaire, il y a des jardins scolaires », explique Sylvain Wagnon.
1 - Le jardin potager
Le jardin potager est fréquemment le premier type de jardin pédagogique auquel on pense. Il permet aux enfants de cultiver des légumes et des fruits. Il offre ainsi une expérience concrète de la production alimentaire. Sylvain Wagnon rappelle que le jardinage est une activité ancestrale qui sert de moyen de subsistance. Les enfants apprennent à planter, arroser, entretenir et récolter des plantes comestibles, ce qui leur donne une compréhension pratique des cycles de croissance des aliments qu'ils consomment.
Néanmoins, le jardin potager n’est pas forcément celui le plus adapté aux rythmes scolaires.
Il présente bien des défis.
Les récoltes se font pour beaucoup de fruits et légumes, sur le temps des vacances.
Ces mêmes vacances peuvent interrompre le soin régulier des plantes, ne serait-ce que l’arrosage. Cela complique la gestion de ce type de jardin. Comme l'explique Sylvain Wagnon, les enseignants doivent souvent trouver des solutions créatives, comme l'implication des parents ou la mise en place de jardins partagés, pour assurer la continuité des soins durant les périodes d'absence.
« On voit que le potager a un peu déçu, entre guillemets, certains enseignants parce qu'ils trouvaient ça un peu compliqué. Les vacances étaient difficiles à gérer. C'est pour ça que nous, on essaye de proposer des jardins partagés avec les parents. Cela permet de résoudre à la fois ce problème ici, mais aussi de fédérer, en tout cas autour du jardin, un vrai travail. »
2 - Le jardin floral et aromatique
Le jardin floral et aromatique met l'accent sur la diversité des plantes à fleurs et des herbes aromatiques. Ces jardins sont particulièrement intéressants pour leur richesse sensorielle et éducative. Les enfants y découvrent une grande variété de plantes aux propriétés et aux utilisations multiples. Sylvain Wagnon note que les plantes aromatiques et les fleurs enrichissent l'expérience de jardinage en apportant des couleurs, des parfums et des textures variées.
L'un des principaux avantages des jardins floraux et aromatiques pédagogiques est l'exploration sensorielle qu'ils permettent. Les enfants peuvent toucher, sentir et goûter différentes plantes, ce qui stimule leurs sens et renforce leur apprentissage.
Sylvain Wagnon explique : « l'intérêt des jardins aromatiques et sensoriels, c'est que les élèves peuvent sentir, sous-peser. Pour les plus petits, voir aussi la plante, sa texture, le velouté de certains de ses éléments est aussi très intéressant ».
Le jardin aromatique est assez fondamental aujourd'hui, parce qu'on se rend compte que selon les régions, selon les éléments, on peut ici à la fois permettre aux élèves
de travailler sur le jardin ;
de découvrir les textures ;
de connaître les odeurs, etc.
3 - Le jardin écologique
Le jardin écologique adopte une approche durable et respectueuse de l'environnement. Il va par exemple mettre en avant des pratiques telles que la gestion responsable de l'eau. Les enfants apprennent à utiliser les ressources naturelles de manière efficiente et à créer des systèmes autosuffisants.
Ce type de jardin favorise également l'interaction entre les plantes et les animaux. Il n'y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises » plantes, chaque espèce a sa place dans l'écosystème.
Sylvain Wagnon évoque l'importance de laisser certaines parties du jardin s'ensauvager pour observer comment les plantes interagissent naturellement. Cette approche permet de comprendre la biodiversité et l'importance des différents éléments de l'écosystème, tels que les vers de terre et les insectes, souvent accueillis dans des hôtels à insectes, pour la santé du sol et la pollinisation des plantes.
Une éducation concrète à l’environnement et à la protection de la nature
Sylvain Wagnon souligne qu’« on est souvent resté avec de l'éducation à l'environnement qui pouvait être le tri et comment trier. Là, avec le jardin, on a quelque chose qui est aussi extrêmement moteur et extrêmement fort, parce que de comprendre la rareté de l'eau qui peut se faire, ici, on le sent très bien ».
Jardiner à l’école permet aussi d’éduquer les enfants à la biodiversité végétale et animales. Quelles sont les caractéristiques et besoins des végétaux, des animaux ? Pourquoi dit-on de certains insectes qu’ils sont pollinisateurs ? Quel rôle jouent-ils ? Quelles sont les propriétés médicinales et culinaires de certaines plantes ? Les enfants apprennent que les plantes peuvent être utilisées pour soigner des maux ou pour cuisiner. Ces connaissances les relient à des savoirs ancestraux et pratiques.
De fait, le jardinage enseigne aux enfants l'importance du respect et de la protection de la nature. En jardinant, ils peuvent observer les interactions entre les plantes, les insectes et le sol dans le microcosme du jardin. Cette observation directe leur apprend à respecter la fragilité et la résilience de la nature. Elle les sensibilise ainsi naturellement à la nécessité de la protéger.
Une mise en perspective culturelle et historique du jardin
Dans leur livre, Jardiner à l’école pour s’ouvrir au monde, Sylvain Wagnon et Corine Martel reviennent sur l’histoire des jardins depuis l’Antiquité. Ces derniers étaient alors déjà considérés comme des espaces d’apprentissage. « On voit que le jardin, effectivement, ce n'est pas simplement le jardin potager qui permet d'avoir un résultat avec des fruits et des légumes, mais c'est aussi un jardin aromatique, c'est un jardin médicinal, c'est un jardin qui a des formes multiples et variées », explique Sylvain Wagnon.
« Dans l'histoire, on s'aperçoit bien que le jardin est à la fois ce lieu de recueillement – certaines fois, il y a un côté religieux, très clairement – de compréhension du cosmos, comme le font aussi les abbayes. Ce n'est pas simplement un jardin pour récolter et pour soigner, mais c'est aussi un jardin qui permet de repenser un petit peu le monde », renchérit-il.
Les auteurs invitent le lecteur à imaginer le jardin comme un lieu d’interactions, pas seulement entre végétaux et animaux, mais aussi entre humains.
Quelle place pour les jardins pédagogiques dans les écoles ?
Jardins pédagogiques et programmes scolaires
Dans les programmes scolaires actuels, le jardin n’est pas cité comme une activité spécifique. Et pourtant, sur le site Eduscol, plusieurs documents sont consacrés aux jardins pédagogiques. Ils sont effectivement sous-entendus et intégrés de manière transversale à travers différentes disciplines. Les nouveaux programmes dont le projet a été révélé en avril 2024, reflètent cette intégration implicite. Cela montre que le jardinage a toute sa place dans le cadre éducatif.
D’ailleurs, dans leur livre, Sylvain Wagnon et Corine Martel essayent de dire, qu’on pourrait quasiment faire le programme de toutes les disciplines à partir du jardin, ce qui peut être assez ambitieux. L’ouvrage vise à guider les enseignants et la communauté éducative sur la manière de définir et de mettre en œuvre le jardinage comme un véritable projet d'école. Cela implique une approche collective et coordonnée entre les enseignants, les élèves, les parents, les collectivités, soit l'ensemble de la communauté éducative.
Sylvain Wagnon explique aussi que, bien que le jardinage soit naturellement associé aux sciences, il peut être intégré dans toutes les disciplines. Les enseignants de sciences, de géographie, d'histoire, de littérature et même de mathématiques peuvent trouver un intérêt à incorporer des activités de jardinage dans leurs cours. Par exemple, le jardinage peut être utilisé pour enseigner des concepts de mesure et de calcul en mathématiques, comme c'était pratiqué au 19ᵉ siècle avec l'arpentage.
Il a par ailleurs constaté, qu’initialement plus répandu dans les écoles maternelles et primaires, l'intérêt pour les jardins pédagogiques s'étend également aux niveaux secondaires. Enfin, des formations commencent à être mises en place pour les enseignants. Des ressources sont développées par des organisations comme Canopée pour aider à l'élaboration et à l'utilisation pédagogique des jardins.
« C'est pour ça qu'aujourd'hui, sans même se lier à des pédagogues d'éducation nouvelle, l'idée d'une pédagogie active par le jardin n'est pas encore une fois une évidence, mais en tout cas, c'est un levier extrêmement fort d’apprentissage. »
🎧 Ecoutez l’épisode avec Sylvain Wagnon sur les pédagogiques alternatives.
Des jardins pédagogiques en collaboration avec les parents
La réussite des jardins pédagogiques repose généralement sur un porteur de projets, l’enseignement ou tout ou partie de l’équipe pédagogique et sur la collaboration entre les enseignants, les parents et la communauté locale. Sylvain Wagnon souligne l'importance de la coéducation, où les parents partagent la responsabilité du projet avec les enseignants.
À ce titre, les jardins partagés sont une solution efficace pour impliquer toute la communauté dans le projet de jardinage. Ces jardins permettent aux parents et aux membres de la communauté de participer activement. Ils peuvent offrir leur aide, partager leurs connaissances. Ces collaborations renforcent le lien social et permettent de répartir les tâches de manière plus équitable, ce qui est essentiel pour la pérennité du projet.
Tendance à la végétalisation des cours de récréation
Ces projets de jardins pédagogiques s’inscrivent par ailleurs parfaitement dans la tendance actuelle à la végétalisation des cours de récréation. La loi Climat et Résilience encourage cette végétalisation, qui vise à réintroduire la nature dans les espaces scolaires. Ce sont aujourd’hui environ 20% des écoles qui ont bénéficié de l’introduction de végétaux dans leur cour. Alors qu’il s’agit de « repenser la cour de récréation, faire un espace pour le jardin devient de plus en plus évident », explique Sylvain Wagnon.
Ce qui se passe au niveau européen et international
Au niveau européen, de nombreux pays ont déjà intégré les jardins pédagogiques dans leurs systèmes éducatifs. Sylvain Wagnon souligne que des initiatives comme celles de la Commission européenne et de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) encouragent l'utilisation des jardins comme outil éducatif et moyen de subsistance. « La FAO, par exemple, propose énormément : pas simplement des formations, mais aussi des liens entre l’enseignant, les élèves et les parents », explique Sylvain Wagnon. Citons notamment le document Créer et diriger un jardin scolaire, proposé par la Food and Agriculture Organization.
Au niveau de la Commission européenne, les Anglais avaient ouvert « beaucoup de projets au niveau de l’école dehors en primaire. Ils avaient utilisé le jardin comme un levier majeur pour pérenniser cette école dehors »s, complète Sylvain Wagnon.
Aujourd’hui, conclut Sylvain Wagnon, « personne n'est contre le jardin. Il faut le mettre en place, ce n'est pas évident parce qu'il faut trouver un espace, le choix de l'espace. Et puis aussi, encore une fois, l'intégrer dans, on va dire, non pas le programme, mais dans l'emploi du temps aussi, parce que ça demande évidemment du temps, ça demande une régularité très forte ».
« Permettre aux enfants d’être dans le présent et quand on a les mains dans la terre, on est bien dans le présent ». Sylvain Wagnon
Références :
Jardiner à l’école pour s’ouvrir au monde, Corine Martel et Sylvain Wagnon, ESF Sciences Humaines, 2024
Eduquer autrement, tour d’horizon des pédagogies alternatives, Sylvain Wagnon, Mardaga, 2024 (2e édition - format poche)
L’école dans et avec la nature - La révolution pédagogique du XXIe siècle, Corine Martel et Sylvain Wagnon, ESF Editeur, 2022
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