Quel rôle le sport a-t-il à jouer dans l’éducation des jeunes ? avec Guillaume Prévost #190

Le sport, au-delà de ses bienfaits pour la santé physique et mentale, des apprentissages techniques qui le sous-tendent et des performances auxquelles on peut aspirer, est un outil éducatif puissant. Guillaume Prévost, délégué général du think tank « Vers le Haut » revient sur la relation forte entre sport et éducation. « Vers le Haut » se concentre sur la jeunesse et l’éducation et discute de l’impact du sport dans le développement des enfants

Ce think tank réalise chaque année des études. La dernière en date lors de l’enregistrement de cet épisode du podcast Les Adultes de Demain, intitulée « Le sport, terrain d’éducation », examine comment le sport est pratiqué par les jeunes en France. Elle soulève des questions sur la capacité potentielle du sport à transformer, changer l’éducation. Explorons la dimension éducative du sport.

Le sport, un outil éducatif ?

Pour le think tank « Vers le Haut », la pratique sportive a un réel rôle à jouer en matière d’éducation. Néanmoins, son utilisation en tant qu’outil éducatif reste limitée à l’école. Et sur les temps extrascolaires, les activités sportives manquent également d’une dimension éducative ambitieuse. 

Forts de ce constat, les auteurs de l’étude « Le sport, terrain d’éducation » ont cherché à savoir comment les pratiques sportives et l’éducation pouvaient s’articuler. Ils sont allés à la rencontre d’initiatives inspirantes. 

Le sport, avec sa composante ludique et adaptable, offre des opportunités éducatives qui vont au-delà de la motricité et de la lutte contre la sédentarité. Il permet de travailler sur le rapport au corps, sur les émotions, sur la confiance en soi… autant de piliers essentiels pour des apprentissages efficaces. 

Le sport invite aussi les jeunes à :

  • s’engager dans des activités ;

  • rejoindre des groupes sociaux ;

  • aborder les problèmes clés de santé physique et mentale.

Pour que sport et éducation se rejoignent, ils doivent s’inscrire dans un projet éducatif qui assure une continuité de la pratique sportive entre l’école et les clubs et associations sportives, entre la cour de récréation et les terrains et salles de la collectivité. 

Découvrez une autre étude du think tank Vers le haut, avec Stephan Lipiansky
qui s’est intéressé au développement de la petite enfance.

Sport et éducation : quelle relation ?

Quels sont les derniers constats sur la relation entre sport et éducation ?

L’étude « Le sport, terrain d’éducation » s’articule en trois grands temps.

1 - Sport et éducation, une rencontre évidente qui n’a pourtant pas lieu

Bien que couramment perçu comme un vecteur éducatif bénéfique, capable de renforcer la confiance en soi et de favoriser le travail d'équipe, l'intégration effective du sport dans les systèmes éducatifs n'a pas vraiment eu lieu. Tant à l'école que dans les contextes extrascolaires, le sport n'a pas atteint son potentiel éducatif attendu

Ce premier point de l'étude met en lumière l’écart entre la perception généralisée des bienfaits éducatifs du sport et la réalité de son application. Pour Guillaume Prévost, ce premier constat soulève des questions sur les véritables avantages éducatifs, les vertus supposées du sport… et la réalité.

2 - Sport et éducation, des rencontres locales et spécifiques

La deuxième partie de l’étude s’intéresse aux initiatives locales. Guillaume Prévost explique que sur le terrain, la rencontre entre le sport et l’éducation a lieu, mais dans des endroits éducatifs et sur des thèmes très spécifiques. 

  • Elle a ainsi lieu pour la remédiation, le sport étant utilisé comme un outil éducatif pour les jeunes en difficulté.

  • Elle a lieu pour le collectif, pour apprendre la coopération.

  • Elle apparaît comme un catalyseur d’échanges entre les différents éducateurs de l’enfant.

Reste à savoir comment faire pour que ces initiatives locales se propagent et gagnent du terrain.

3 - Sport et éducation, une rencontre autour du corps ?

Bien que la fusion du sport et de l'éducation n'ait pas été globalement réussie, il existe des cas à l’échelle locale où cette intégration fonctionne. Sur le site internet « Vers le Haut » sont notamment mentionnées les initiatives : 

Afin que la rencontre entre le sport et l’éducation s’étende, Guillaume Prévost propose de changer l’approche du sport pour améliorer les résultats éducatifs visés par cette pratique sportive. Il incite à examiner ce lien entre pratique sportive et éducation sous l’angle du corps. Il s’interroge : est-ce que mettre le corps, le changement du corps de l’enfant, celui complexe de l’adolescent, au cœur du processus d’apprentissage ne permettrait pas de changer l’éducation ?

Pour lui, la réflexion doit s'orienter vers une réévaluation de comment et pourquoi intégrer le sport dans les parcours éducatifs, en tenant compte de ses véritables capacités à contribuer au développement des jeunes. 

Faire du corps, le cœur de l’éducation grâce au sport

Le sport peut améliorer le rapport à soi, aux autres et à l’avenir

Le think tank «  Vers le Haut » a la conviction que les jeunes sont en grande difficulté dans leur rapport à eux-mêmes, aux autres et à l’avenir. Pour les accompagner, les contributeurs estiment que cela doit passer par le corps, par le fait de remettre au cœur de l’expérience éducative la présence concrète de soi, une présence charnelle : le bien-être avant l’apprentissage académique.

  • Le sport est bien plus qu'une simple activité physique. Il joue un rôle essentiel dans le renforcement de la confiance en soi et dans l'amélioration du bien-être psychologique des jeunes. Guillaume Prévost insiste sur l'importance du sport comme moyen de « présence à soi », qui aide les jeunes à développer une meilleure image de soi et une stabilité émotionnelle. Cette « présence » est essentielle, surtout dans un contexte où les jeunes sont souvent distraits et perturbés par les technologies numériques.

  • Cette idée de présence s’étend aussi aux autres. Dans notre société, l’isolement social est croissant. Il est exacerbé par l'utilisation généralisée des technologies numériques, en particulier les téléphones portables.
    Dans un bus ou un métro, chaque personne est absorbée par son propre monde via son téléphone. Les gens se regardent beaucoup moins. Ils ne se sourient que peu, ne partagent que rarement des moments. La technologie a tendance à isoler les individus les uns des autres. Les interactions humaines simples deviennent rares.
    Repenser l’éducation en remettant le corps en son centre permettrait de surmonter ces barrières, de renforcer les compétences psychosociales, la conscience de soi et de l’autre, des éléments essentiels pour le bien-être individuel et collectif.
    Le sport offre un cadre structuré pour aborder et gérer des problèmes sociaux comme la violence et le harcèlement. À travers le sport, les élèves apprennent le respect mutuel, la discipline, et l'importance de travailler ensemble vers un objectif commun. Ces leçons sont vitales pour former des individus capables de gérer des conflits de manière constructive et de participer à une société plus harmonieuse.

  • Le rapport à l’avenir est également compliqué. Guillaume Prévost évoque le doublement des tentatives de suicide entre 18 et 24 ans depuis 2 ans, signe du mal-être des adolescents et jeunes adultes. Pour lui, il y a là aussi un enjeu de présence et de mobilisation du corps. 

Les liens entre activité physique et compétences métacognitives

Les sciences de l'éducation et les sciences cognitives montrent bien qu’il n’y a pas d’un côté les enfants intelligents et de l’autre ceux qui ne le seraient pas. La réussite dans les apprentissages mobilise des capacités métacognitives, sortes de pré-requis nécessaires pour apprendre.  Parmi ces capacités, Guillaume Prévost cite le fait :

  • d’être en mesure de donner du sens à ce que l’on fait ;

  • d’avoir confiance en soi, pour nourrir sa motivation et savoir que l’on peut dépasser ses difficultés ;

  • d’apprendre avec des gens que l’on aime

À ce propos, il mentionne cette phrase : « les jeunes aiment ce qu'aiment les gens qu'ils aiment ». 

On retrouve ce rôle central de l'exemplarité, du rôle modèle dans l'éducation

Or aujourd’hui, l’école en France est très inégalitaire au niveau de ces capacités métacognitives :

  • certains jeunes les acquièrent en famille, d’autres non ;

  • certains parents racontent des histoires à leurs enfants, qui rentrent facilement dans la lecture quand d’autres jeunes ne bénéficient pas de ces histoires racontées et rencontrent de grosses difficultés pour lire ;

  • certains jeunes peuvent compter sur leur famille s’ils sont en difficulté et s’en sortiront quand d’autres n’ont pas une famille sur laquelle s’appuyer en cas de problème. Ils auront beaucoup plus de mal à s’en sortir. 

Le constat a pu être réalisé : pour les jeunes de 15-16 ans, en grandes difficultés, le sport est un formidable vecteur pour les remobiliser et leur redonner confiance en eux. Guillaume Prévost s’interroge donc : pourquoi attendre cet âge-là et la perte de confiance en soi pour agir ? L’école aujourd’hui ne parvient pas à réduire les inégalités, mais la carte à jouer est sans doute de redonner au corps et au sport leur place dans l’éducation.

Sport et éducation, l’exemple des États-Unis

Travailler la confiance en soi et le dépassement individuel et collectif grâce au sport

Pour Guillaume Prévost, s’il y a bien un pays qui accorde un rôle particulier au sport dans l’éducation, ce sont les États-Unis. Les Américains ont cette compétence (et volonté) de mettre au cœur de la vie de leurs petites communautés, le dépassement individuel et collectif et la capacité de faire équipe.

Certains peuvent porter un jugement sur leur façon de faire, les trouver naïfs, enfantins, d’autant plus qu’en France, on a tendance à avoir un regard un peu plus complexe sur la vie. Mais selon Guillaume Prévost, avec les enfants, apprendre à être simple peut être bien plus productif. Et dire :

  • être courageux, c'est bien ;

  • être loyal, c'est bien ;

  • être honnête, c'est bien ;

  • fuir ses responsabilités, ce n'est pas terrible ;

  • garder les choses pour soi, ne pas se tourner vers l'autre, ce n'est pas terrible ;

  • etc. ;

c’est peut-être ce dont les enfants ont besoin.

Le rapport des Américains à la performance, à l’ultraperformance (Sky is the limit), peut se discuter. Mais Guillaume Prévost invite plutôt à retenir le fait qu’ils cherchent à remettre les enfants en situation de réussite. Prenons l’expression « t’as la confiance, il a la confiance ». Sans aller jusqu’à une confiance telle qu’elle en devient désagréable, les jeunes ont besoin de prendre confiance en eux, d’avoir une confiance qui fait qu’en soirée, ils sont en mesure d’aller sur la piste de danse, d’adresser la parole à un ou une inconnu·e.

« Il y a des manières plus simples, plus saines, plus belles de construire cette confiance et ça passe par cesser de considérer que le corps est un outil en vue d'autre chose. Le corps, c'est une surface d'apprentissage et remobilisons-la en tant que telle. »

Les mille et une façons d’être remarquables… et de prendre confiance en soi

Ce que l’on peut retenir de l’approche américaine, c’est que ce peuple considère que les gens remarquables ne sont pas uniquement ceux qui sont intellectuellement brillants. Ceux qui ont du charisme, ceux qui, dans la difficulté, portent le groupe, ceux qui sont extrêmement généreux, etc. sont tout autant remarquables. 

Guillaume Prévost estime que les entreprises, l’économie, le système politique, cette fameuse façon qu'on a de vouloir briller au monde, pourraient beaucoup gagner à s'appuyer sur des artistes et sportifs de haut niveau plutôt que de sortir en batterie des polytechniciens, des ENA, des HEC, une petite élite assez fermée, assez homogène dans ses qualités. « Il en faut, mais il ne faut pas que ça. ».

Ce que cherchent les entreprises, la société aussi, ce sont des personnalités qui ont une capacité :

  • à incarner ;

  • à générer des émotions ;

  • à sortir du moule ;

  • à mettre une bonne ambiance dans une équipe, etc.

« On passe beaucoup de temps au boulot quand même. Donc pourquoi, alors même que toute la société est en train de basculer vers ça, l'école ne s'agrippe qu’à ses maths, son français et son histoire-géo ? »

Comment renforcer les liens entre sport et éducation ?

Points forts du sport en matière d’éducation

Guillaume Prévost explique que l’EPS, l’éducation physique et sportive, peut s’appuyer sur :

  • Son appréciation par les élèves : elle est l’une des matières favorites d’une grande majorité des élèves, car elle offre un espace, un temps, pour se défouler, faire du sport, s’amuser, des points clés pour leur développement.

  • Sa dimension transdisciplinaire : le sport, par sa nature active et collective, peut enseigner le respect et l'intégrité d'une manière concrète, mais aussi des concepts de matières plus académiques comme les mathématiques, le français, les sciences et notamment la santé, voire les langues étrangères, etc.

  • Ses professeurs qui se sentent et sont souvent perçus comme des éducateurs à part entière (contrairement aux enseignants d’autres disciplines qui se sentent éducateurs par la force des choses). Une grande partie des enseignants d'EPS sont également engagés dans des rôles importants en matière d'éducation inclusive et dans le suivi des élèves en situation de handicap.

Préconisations pour développer les relations entre sport et éducation

  • Fort de ce constat, Guillaume Prévost plaide pour que le sport soit considéré comme le vecteur privilégié pour ces apprentissages transversaux. L'école devrait pleinement embrasser sa mission éducative en intégrant davantage le sport pour aborder des sujets essentiels et contemporains tels que la santé, l'alimentation et la gestion de l'obésité chez les jeunes.

  • Guillaume Prévost préconise aussi de renforcer le rôle des éducateurs dans les écoles pour valoriser et intégrer efficacement les activités sportives dans l'éducation. Il propose de créer un nouveau corps d’éducateurs, en regroupant les adultes tels que les AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap), les AED (assistants d’éducation), les ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), les auxiliaires éducatifs, etc. 
    Ces éducateurs constitueraient le deuxième plus grand corps de l’éducation nationale pour fournir un soutien cohérent et spécialisé à travers tous les niveaux de l’éducation. L'accent serait mis sur la formation d'un corps professionnel d'éducateurs qui pourrait apporter une dimension pratique et théorique complémentaire à l'enseignement traditionnel.
    En maternelle, ce binôme enseignant / « éducateur » (atsem) fonctionne généralement bien. Pourquoi ne pas étendre le modèle de collaboration entre enseignants et éducateurs, jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, pour intégrer des méthodes d’enseignement plus dynamiques et interactives qui incluent le port et le jeu ?

  • Enfin, Guillaume Prévost envisage le sport comme un moyen de renforcer les liens entre l'école et la communauté, y compris les clubs sportifs et les associations. Cela favoriserait ainsi le lien avec les parents et une plus grande implication de leur part dans l'éducation de leurs enfants

L’association du sport et de l’éducation en France n’en est finalement qu’à ses débuts. Il reste un chemin à emprunter afin que le sport puisse déployer toute sa potentialité d’outil éducatif. 

Références : 

Lien vers l’étude : le sport terrain d’éducation

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